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SYN
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et sociale d’une collectivité quelconque, ils commettent une erreur grave.

Ils ne se rendent certainement pas compte :

1° Que l’économie et l’administration de la production, son échange, sa répartition doivent être organisées ;

2° Que cette organisation, reposant sur des bases libertaires, doit donner, sous peine de faillite et de catastrophe, des résultats supérieurs à ceux qui étaient obtenus auparavant par une organisation autoritaire et despotique.

Comment peuvent-ils croire que la société communiste libertaire ne sera pas organisée ?

Est-ce que, du fait même qu’on indique qu’elle sera : d’une part, communiste et, d’autre part, libertaire, cela ne suffit pas à faire comprendre qu’elle sera organisée, comme le veut le communisme, et selon les principes de la plus grande liberté possible comme l’implique le mot libertaire qui signifie littéralement : tendance à être libre.

Il y aura donc, après la révolution, une société organisée sur des bases communistes libertaires, et cela aussi longtemps que l’anarchie ne sera pas totalement réalisée.

Et cette organisation, pour porter ses fruits, devra être homogène, c’est-à-dire fonctionner aussi identiquement que possible sur les trois plans suivants : économique, administratif et social.

De toute évidence, cette organisation devra être conçue de façon telle que les rouages correspondants, sur les trois plans, agissent de concert, en accord.

En effet l’économique sera la base, l’administratif l’expression et le social la conséquence. S’il n’y a pas homogénéité et concordance ce sera le chaos et quel chaos : celui que les détracteurs bourgeois appellent l’anarchie, c’est-à-dire le désordre !

Nous prétendons, nous, que c’est le capitalisme qui est le désordre et nous voulons que l’anarchie soit l’ordre, l’ordre sans autorité ni contrainte, mais l’ordre tout de même, l’ordre qui découlera des actes conscients et réfléchis de tous.

Cette conscience éclairée devra être collective et le premier terrain sur lequel elle devra se manifester sera le plan économique.

Il ne suffira pas de substituer la notion du besoin à celle du profit ; il faudra connaître réellement l’étendue et la diversité de ce besoin, le chiffrer, par conséquent.

Et ceci fait, il faudra examiner l’autre face du problème : rechercher, apprécier, connaître aussi exactement que possible les possibilités de satisfaire tous les besoins.

En un mot, il faudra établir le rapport convenable entre la somme des besoins et celle des possibilités.

Et ce rapport devra être tel que les moyens de production permettent aussi largement que possible la satisfaction des besoins.

Les uns et les autres devront donc être connus et chiffrés au préalable et, si les moyens apparaissent insuffisants au début, il faudra les augmenter et, bon gré, mal gré, en attendant qu’ils soient suffisants, restreindre la consommation.

Cette constatation suffit à elle seule à indiquer parmi les trois grands facteurs économiques : production, échange, consommation quel est celui qui est essentiel et à classer les deux autres dans leur ordre.

Consommer, c’est-à-dire assurer la continuité de la vie physique de l’être, est certainement l’acte le plus important, l’acte vital qui permet, à la fois, de produire et d’échanger. Mais produire et échanger, c’est donner aux hommes la possibilité de consommer, donc de vivre.

Dans ces conditions, il apparaît clairement que la tâche essentielle consiste d’abord à produire, à produire pour satisfaire les besoins de la consommation.

Et qui, mieux que les syndicats, sera qualifié pour extraire, transformer et mettre à la disposition du consommateur tout ce qui est nécessaire à la vie ?

Est-ce que, en régime capitaliste, ce ne sont pas, déjà, les producteurs, par leur force-travail, mal utilisée, mal rétribuée, qui assurent, en fait, cette tâche ?

Qui oserait soutenir que les banquiers, les détenteurs de l’argent et des instruments de travail y sont pour quelque chose ?

Qui nierait que les producteurs, groupés dans leurs syndicats, représentent la force essentielle de lutte et de construction révolutionnaire ?

Quel organisme peut-on, en vérité, essayer de substituer aux syndicats qui luttent et se préparent, chaque jour, à cette tâche constructive ?

Poser toutes ces questions, c’est les résoudre.

Lorsque, dans sa charte fameuse, toujours confirmée sur ce point précis, le syndicalisme en même temps qu’il exprimait à Amiens, en 1906, sa volonté d’exproprier le Capitalisme et de transformer la société, proclamait que : « le Syndicat, aujourd’hui groupement de résistance serait, demain, le groupement de production base de la réorganisation sociale », il énonçait une vérité profonde.

Qu’il revête un caractère nettement coopérateur, c’est incontestable. C’est même évident. Mais il est nécessaire aussi qu’il conserve son caractère originel afin d’être apte, le cas échéant, à s’opposer à certaines entreprises qui pourraient être tentées contre la Révolution elle-même.

Maîtres de l’appareil de production et d’échange, les syndicats de producteurs seraient tout qualifiés, s’il le fallait, pour réduire rapidement à néant les prétentions d’une coterie ou d’un clan qui pourrait menacer à un moment quelconque les conquêtes et l’ordre social révolutionnaires, en dépit de toutes les précautions prises sur le plan administratif.

S’il y a péril, les syndicats seront là pour le vaincre. Ce n’est pas à dédaigner.

Ils sont donc indispensables avant, pendant et, surtout, après la Révolution.

Avant, pour préparer les cadres de lutte et de réalisation ; pour lutter contre le capitalisme et réduire sa puissance dès maintenant.

Pendant, pour abattre définitivement le capitalisme, s’emparer des moyens de production et d’échange et les remettre en marche au profit de la collectivité et pour son compte.

Après, pour assurer la vie économique collective, en accord avec les offices d’échange et de répartition locaux, régionaux, nationaux et internationaux qui indiqueront les besoins à satisfaire.

Contrairement à ce que pensent et déclarent certains hommes, qui n’examinent la question que sous l’angle politique et non sous son jour véritable, c’est-à-dire social, les syndicats de producteurs ne seront jamais ni une gêne ni un danger pour l’ordre nouveau issu de la révolution sociale.

Partie intégrante de celle-ci, ils entendent, certes, en défendre l’intégrité, mais ils ne visent ni ne prétendent à aucune dictature.

Adversaires de la dictature et de l’État, sous toutes leurs formes, composés d’éléments qui discutent, exécutent et contrôlent, par leurs divers organes, tout ce qui se réfère à la vie économique, ils limitent à ce domaine leur effort et leur activité.

Ils laissent aux individus le soin d’administrer la chose collective, par le jeu normal des organismes de tous ordres qu’ils se donneront.

Ils n’entendent être que la base — parce que c’est l’évidence même — de la Société nouvelle, une base soli-