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de cette situation, s’il n’est pas assez « habile » ou « perspicace » pour y échapper.

Si on s’occupe de l’inverti sexuel, personne ne s’occupe du symboliste, du fantaisiste sexuel. C’est qu’il n’a pas à présenter une lignée de grands ascendants intellectuels, lui. Les grands intellectuels fétichistes se gardent bien de se proclamer tels : ils sont encore trop esclaves de l’opinion publique, de l’opinion de leur milieu. Malgré la fréquence des symptômes de morbidité congénitale (comme s’il n’y en avait pas parmi les normaux) de « toutes les manifestations de la psychologie sexuelle les phénomènes relevant du fétichisme sexuel sont ceux qui sont le plus spécifiquement humains. » « Plus que tous les autres, ils présupposent une force plastique très développée de l’imagination. Ils nous montrent à nu l’homme individuel, non seulement séparé de ses contemporains, mais en opposition avec eux, et forcé de créer tout seul son propre paradis. Ils constituent le triomphe suprême de l’idéalisme humain (Havelock Ellis : Le symbolisme érotique).

Dans son Précis de Psychologie sexuelle (Alcan 1934), Havelock Ellis reste fidèle à lui-même, déclare à nouveau :

« J’ai toujours cherché à montrer qu’il n’y a pas de limites tranchées entre le normal et l’anormal. Toutes les personnes normales sont anormales à tel ou tel point de vue, et les anormaux sont toujours menés par des impulsions fondamentales semblables à celles qu’éprouvent les normaux. »

On comprend que dès lors qu’il n’y a ni violence, ni fraude, ni cruauté, ni dol, « L’anomalie sexuelle » ait paru, à maint esprit dépouillé de préjugés, tout autant fondée que les autres propriétés de l’homme à revendiquer sa place au soleil. Il ne faut pas oublier ici cette phrase de Nietzsche : « Sans une certaine exaspération du système sexuel, nous n’aurions pas eu Raphaël. »

L’attitude des individualistes anarchistes à l’égard des fantaisistes sexuels (titre sous lequel j’englobe les anormaux, les pervers, les déviés, les symbolistes, les fétichistes, etc.) n’est pas plus dictée par la répulsion que leurs actes inspirent aux moralistes que par la classification arbitraire en sains ou morbides. Ils ne se demandent pas non plus si les fantaisies dont il est question sont congénitales ou acquises, guérissables ou irrémédiables, etc. Ils acceptent tout simplement leur existence.

Deux conditions se présentent :

Ou les fantaisistes sexuels sont des autoritaires, c’est à-dire entendent, pour la réalisation de leurs fantaisies, — dont la plupart ne peuvent s’accomplir qu’en compagnie — user de violence ou de contrainte à l’égard d’autrui ; et, dans ce cas, il n’y a pas à hésiter, il faut se défendre contre eux, comme il importe de se garer de tous ceux qui, dans un domaine quelconque, politico-économique, éthique ou intellectuel, s’arrogent d’utiliser la contrainte ou la violence à l’égard d’autrui ; et il ne faut pas faire de distinction. Quiconque, groupe ou personnalité, pour arriver à ses fins, se sert de la violence ou de la contrainte, est dangereux pour l’individu comme pour le milieu.

Ou bien les fantaisistes sexuels n’usent ni de violence ni de contrainte, c’est-à-dire que, pour trouver des compagnons de pratique, ils ne recourent qu’à l’invite ou à la publicité, qu’à la persuasion ou au graphisme verbal ou figuré, et ne s’adressent qu’à des personnes en état de les comprendre : autrement dit font tout ce qu’accomplissent les associationnistes de toute espèce pour se gagner des amis ou des adhérents.

Intervenir alors — selon les individualistes anarchistes — est du domaine de la persécution, quel que soit le prétexte invoqué ou inventé. Est persécution toute action légale ou administrative ou autre ayant

pour but d’empêcher une personne parvenue à l’âge où elle est capable de passer contrat, de disposer (dans des buts sexuels ou érotiques) comme il lui plaît de tout ou partie de son corps.

À vrai dire, quand on y regarde d’un peu près, on s’aperçoit vite que les plus acharnés persécuteurs des fantaisistes sexuels ou érotiques sont, dans leur genre, eux aussi, des fantaisistes : mais excessivement dangereux. Je parle des sincères comme des hypocrites.

Je conclus en disant que les ruines et les désastres accumulés par les « fantaisistes » religieux ou moraux, pour ne citer que ces deux catégories — ceux-là par le dogme (dont la naissance miraculeuse du Christ est un type caractéristique) — ceux-ci par la morale, qui vise à faire le bonheur de tous ceux qu’elle s’assujettit par une réglementation écrite qui ne satisfait peut-être pas le dixième des hommes — ne peuvent être mis en parallèle, comparativement parlant, avec les quelques accidents auxquels a pu donner lieu l’exagération de certaines fantaisies sexuelles. De temps à autre, la chronique judiciaire attire l’attention publique sur un cas d’anomalie sexuelle ou érotique dont le danger est très souvent et à dessein amplifié et qui n’aurait eu aucune répercussion s’il était resté secret : mais que sont ces cas isolés et assez rares par rapport aux crimes innombrables qu’ont perpétrés les perversions et les fanatismes politico-économiques, religieux ou moraux ? Il est dans le rôle des individualistes anarchistes de proclamer, de défendre le droit du fantaisiste sexuel (dès lors, je le répète, qu’il n’entend user ni de violence, ni de contrainte) à s’associer à autrui, à faire comme tout autre associationniste, de la publicité pour entrer en relations avec d’autres fantaisistes de son genre et de protester chaque fois qu’on le persécute et qu’à l’encontre de ce qui se fait pour les entrepreneurs de distractions et d’amusements de toute espèce, on lui interdit de publier des journaux, des tracts ou des brochures, etc., traitant des variétés sexuelles qui lui tiennent à cœur. Réclamer, revendiquer la liberté d’expression, de réunion et de publicité s’entend pour les individualistes dans tous les domaines, ce qui est d’ordre sexuel ou érotique inclus. — E. Armand.


SYNDICALISME n. m. Le syndicalisme dont je vais parler ci-dessous est révolutionnaire, social et non corporatif seulement. Il est, aussi, fédéraliste et anti-étatiste.

Il prend sa source doctrinale dans Proudhon et a retenu les enseignements de Bakounine, de Kropotkine, de James Guillaume ; et Malatesta, malgré son point de vue particulier, ne l’a pas traité en indifférent. Voilà pour le passé.

Pour le présent, il s’est efforcé, par son observation des faits sociaux contemporains, de renforcer sa doctrine et de dégager les tactiques les mieux appropriées à son action et à ses buts.

J’ai déjà dit tant de choses sur ce mouvement particulier des travailleurs, notamment dans l’étude historique que j’ai consacrée à la Confédération Générale du Travail qu’il me paraît inutile de me livrer à de longs développements qui ne seraient que la répétition de mon ouvrage : Les Syndicats ouvriers et la Révolution Sociale.

La présente étude n’aura donc pour but que d’exposer certains aspects du syndicalisme, après l’avoir défini, et d’examiner quelques points actuellement controversés dans le monde anarchiste.

Définition. — Le syndicalisme est un mouvement naturel qui groupe, sous des formes diverses, des hommes qui ont des intérêts communs et des aspirations identiques ; des hommes chez lesquels la concordance des intérêts et l’identité des buts déterminent normalement et logiquement le choix de moyens d’action semblables pour atteindre le but qui est commun à leurs efforts.