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ceux chez lesquels l’émotion sexuelle est provoquée par un détail.

Havelock Ellis déclare, de son côté, que la tendance à collectionner les reliques d’une personne aimée et surtout des vêtements est la base la plus commune et la plus simple du symbolisme érotique. « Elle est parfaitement normale. Il est inévitable que des objets qui ont été en contact direct avec le corps de la personne aimée et qui sont intimement associés à cette personne dans l’esprit de l’amant participent plus ou moins de la même vertu et de la même puissance émotionnelles. »

Partant de ce fait qu’il n’était pas rare au Moyen Age que les amants fissent échange de leur chemise et de leurs vêtements, on citera, pour étayer l’observation qui précède, des cas devenus classiques, tel celui du châtelain de Coucy, retenu en Orient, qui envoyait sa chemise de toile à la dame de Fayal qui la mit dans son lit la nuit et la pressa contre sa chair afin de soulager ses ardeurs :

La nuit quand l’amour m’arde
la met delez moi couchier
toute la nuit à ma char nue
por mes malz assolagier.

Un auteur anglais du XVIIe siècle, l’un de ceux qui ont recueilli le plus de documents populaires sur l’amour, R. Burton, dans son Anatomie de la Mélancolie, ne mettait pas en doute le caractère entièrement normal du symboliste érotique : « Il n’y en a pas un sur mille qui devient amoureux : mais il y a toujours une partie spéciale ou une autre qui plaît davantage et l’enflamme sur le reste… S’il obtient quelque chose qui lui ait appartenu, un busc, une plume de son éventail, un cordon de soulier, un ruban, un anneau, une bague, un bracelet de cheveux, il le porte sur soi comme une faveur sur son bras, sur son chapeau, sur son doigt ou près de son cœur ; comme fit Laodamie lorsque Protésilès partit à la guerre (de Troie) et qu’elle demeura assise, son portrait devant elle ; de même une jarretière ou un bracelet de celle qu’on aime est plus précieux qu’une relique de saint ; il la met sur son casque, et chaque jour la baise et s’il est en sa présence, il n’en détourne pas les yeux, et veut boire où elle a bu, et si possible exactement au même endroit. »

Un contemporain de Robert Burton, James Howell raconte dans ses Familiar Letters qu’en dépouillant les gentilshommes français tués dans les combats livrés pour chasser les Anglais de l’Ile de Ré, ceux-ci trouvèrent qu’un grand nombre de cadavres avaient les parties génitales ornées de faveurs offertes par leurs maîtresses.

Dans les Mémoires du comte de Grammont, Hamilton, écrivain de l’époque de Louis XIV, raconte que Mrs Price, l’une des beautés de la cour de Charles II, et Dorgan étaient tendrement attachés l’un à l’autre ; quand il mourut, on découvrit une cassette pleine de toutes sortes de faveurs de sa maîtresse, y compris, entre autres choses, différentes sortes de cheveux et de poils.

Un article de Mme Jane Landré, dans l’Œuvre du 8 août 1933, indique que, durant la guerre de 1914-1918, les mêmes phénomènes de fétichisme se manifestèrent :

« Combien de combattants entre 1914-1918, eurent un fétiche, un ruban, un bout de valenciennes, arrachés aux « dessous » de l’amie chérie ? Même il en fut qui gardèrent, contre leur cœur un bas de soie, une chemise de fin linon volée à leur divine maîtresse. »

« Le dévouement et l’amour — écrivait à la fin du XVIIIe siècle, Mary Wollstonescraft, la compagne de celui qu’on a surnommé le père de l’anarchisme, William Godwin — peuvent s’attacher autant aux vêtements qu’à la personne, et il manque vraiment d’imagination l’amant qui n’éprouve pas une sorte de respect pour le gant ou la pantoufle de sa maîtresse ; il ne les confondra jamais avec les autres objets de la même catégorie. »

De tout cela, il résulte que la frontière entre les manifestations normales et morbides du symbolisme ou fétichisme sexuel ou érotique n’est pas marquée de façon certaine.

« D’ailleurs, c’est dans la Nature entière que l’on rencontre des symboles sexuels d’autant moins viables qu’ils n’exigent aucune imagination morbide. Le langage est plein de métaphores sexuelles qui tendent peu à peu à perdre leur symbolisme pratique pour tomber au rang de lieux communs. Le « semen » est la semence et, pour les latins surtout, le processus sexuel ainsi que les organes males et femelles s’exprimaient en images empruntées il la vie agricole et horticole. Les testicules étaient des fèves (fabae), des pommes (poma, mela) ; le pénis un arbre (arbor), une baguette (thyrsus), une racine (radix), une faux (falx), un soc (vomer) ; la semence était aussi de la rosée (ros) ; les grandes et les petites lèvres étaient des ailes (alae) ; la vulve et le vagin un champ (ager, campus) ou un sillon (suleus), ou un vignoble (vinea), une fontaine (fons), tandis que les poils du pubis étaient des herbes (plantaria) ».

Tout le monde sait que dans le fruit du myrte, consacré à Vénus, les Grecs voyaient une image du clitoris et dans la rose, celle des petites et grandes lèvres. La poésie érotique de nombreux peuples fait, d’ailleurs, usage de la rose dans le même sens.

Le Talmud dit des petites lèvres qu’elles sont la porte dont les grosses lèvres sont les montants et le clitoris la clé. Les livres hindous énumèrent complaisamment toutes les qualités physiques de la « padmini », ou femme-lotus, autrement dit, la femme parfaite. Sa démarche est celle du cygne ; son odeur celle du santal ; sa peau est lisse et tendre comme celle d’un jeune éléphant ; sa voix est semblable au chant du kokila mâle captivant sa femelle ; sa sueur a l’odeur du musc ; ses yeux sont comme ceux de la gazelle ; son nez est pareil au bouton de sésame ; ses lèvres sont roses comme un bouton de fleur qui s’épanouit ou rouges comme le corail ou le fruit du bimba : ses dents sont blanches comme le jasmin d’Arabie, elles ont le poli de l’ivoire ; son cou arrondi ressemble à une tour d’or ; ses seins ressemblent aux fruits du vilva ; ils se dressent comme deux coupes d’or renversées et surmontées de la fleur du bouton de grenadier.

Toutes les parties du corps de la femme peuvent devenir autant de symboles ou de fétiches pourvu que chacune d’elles corresponde à un certain idéal esthétique de l’amant.

Krafft Ebbing dans sa Psychopatia sexualis, a prétendu que la sélection sexuelle tout entière n’est pas autre chose qu’une sorte de fétichisme, c’est-à-dire de symbolisme érotique de l’objet. De même le célèbre pathologiste G. Tarde considérait l’amour normal comme un genre de fétichisme : « Il nous faut longtemps, écrit-il dans son traité de l’amour morbide, avant de tomber amoureux d’une femme ; nous devons attendre pour voir le détail qui nous frappe et nous plaît, et nous fait dédaigner ce qui nous déplaît ; ce n’est que dans l’amour normal que les détails sont nombreux et toujours changeants. La constance en amour est rarement autre chose qu’un voyage autour de la personne aimée, un voyage d’exploration et de découvertes toujours nouvelles. L’amant le plus fidèle n’aime pas la même femme deux jours de suite de la même manière. »

Toutes ces déclarations, toutes ces formules vaudraient la peine d’être examinées, vérifiées et analysées de près. Elles font montre de trop d’arbitraire ; elles sont trop péremptoires. Ceux qui ont étudié la question hors de toute déformation professionnelle concluent qu’un très grand nombre d’objets ou d’actes peuvent présenter par hasard la valeur de symboles érotiques. Les objets et les actes qui deviennent fréquemment de véritables symboles sont en nombre relativement restreint.