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simplement la joie divine d’avoir accompli strictement ce qu’il voulait accomplir. » (Stuart Merrill). Flaubert et Baudelaire lui avaient transmis cette indifférence totale du public qui leur avait fait composer leur œuvre comme elle devait être, sans aucun souci de plaire à qui que ce fût, d’épouser la querelle de quelque parti ou de quelque école que ce fût. Flaubert s’était pour cela renfermé dans l’impersonnalité la plus complète, disant : « L’auteur, dans son œuvre, doit être comme Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part. »

Nous ne pouvons, ici, que parler très brièvement de l’école symboliste et de ceux, venus de tous les côtés de la pensée, qui l’ont représentée avec une variété extrême. Après Baudelaire et ces deux grands visionnaires, Gérard de Nerval et Villiers de l’Isle-Adam, ses inspirateurs principaux furent Mallarmé, Rimbaud et Lautréamont. Tous trois, sans se connaître, lui apportèrent des tendances lointaines et dispersées qui allaient des solitaires lakistes anglais aux légendes d’où Wagner faisait jaillir tant de symboles humains, et au farouche idéalisme de l’individualisme ibsénien. Une autre influence fut celle de Verlaine, poussé par son impulsivité et sa nature à la fois subtile et naïve hors du cadre parnassien, et de la froideur impassible de « l’art pour l’art ». Concentration intérieure et expression ésotérique chez Mallarmé. Virtuosité et éclat évocateur des images chez Rimbaud. Héritage du mysticisme swedenborgien et hostilité à toute règle hors celle de l’intuition individuelle, chez Lautréamont qui a fait le pont entre le symbolisme libertaire de William Blake et le symbolisme mystiquement religieux, artistique et social de 1885. Langage libre de l’âme et de l’instinct chez Verlaine.

Sous ces influences plus ou moins directes et non nettement définies, se formèrent, après 1880, des groupements littéraires et se fondèrent une infinité de petites revues. A côté de Villiers de l’Isle-Adam, de Mallarmé et de Verlaine, s’y révélèrent et s’affirmèrent tous ceux qui apporteraient une illustration quelconque au Symbolisme. Dès 1881, le mouvement avait commencé avec le groupe de la Jeune Belgique, dont faisaient partie Max Waller, A. Giraud, Ivan Gilkin, C. Lemonnier, G. Eckhoud. Les écrivains belges devaient tenir une belle place dans le Symbolisme avec G. Rodenbach, Maeterlinck, A. Mockel, A. Fontainas, Van Lerberghe et d’autres. Leurs revues seraient : la Jeune Belgique, la Wallonie d’A. Mockel, la Revue wallone de Wilmotte, le Coq rouge de Demolder, l’Art moderne, d’E. Picard, le Réveil, etc….

En France, ce mouvement se forma des individualités les plus diverses, mais toutes évoluant dans le décadentisme qui répondait au besoin d’échapper au milieu ambiant où l’art était souillé « par le vomissement de la « Bêtise » (Fontainas), de sortir de ce que Flaubert avait appelé « les fanges bourgeoises et démocratiques ». Il serait beaucoup plus que du « dandysme intellectuel » puisqu’il rassemblerait « les mainteneurs de la civilisation » (J.-R. Bloch). Un cénacle de l’impasse du Doyenné fit la Nouvelle Rive Gauche, revue que dirigea Léo Trezenick, où débuta Moréas en 1882, et qui devint, en 1885, Lutèce, où Tailhade, H. de Régnier, Vielé-Griffin, publièrent leurs premiers vers. Les dîners de Lutèce inaugurèrent sous le nom de « Dîner des Têtes de pipe », ces soirées littéraires bruyantes et pittoresques qui furent aussi celles de la « Rose-Croix », des « Hydropathes », des « Hirsutes », du « Chat Noir », de « La Plume », et d’autres où se réunissait cette bohème mélangée et curieuse, sinon toujours sympathique, dépeinte par C. Mendès dans la Maison de la Vieille, et par Ch. Merki et J. Court dans l’Éléphant. En 1885, Ed. Dujardin fonda la Revue wagnérienne, qui fut l’organe du symbolisme musical, puis, avec Fénéon, la Revue indépendante qui eut pour principaux rédac-

teurs : Villiers de l’Isle-Adam, Mallarmé et Huysmans, ce dernier détaché du Naturalisme après la publication d’A. Rebours. « L’école décadente » prit le titre de « symboliste » à la suite d’un manifeste de Moréas, paru au Figaro, le 18 septembre 1886. Elle réunit E. Mikhaël, Fontainas, Darzens, Vanor, Lefèvre, Guillaumet, Bonnin, etc… Son but précis fut de réagir, comme l’avait proposé Moréas, contre les Parnassiens et l’école de Zola. Des revues nombreuses parurent successivement : les deux Vogue, celle d’Orfer puis celle de G. Kahn, le Symboliste de Kahn et Moréas, les Taches d’encre de M. Barrès, le Chat Noir de Salis, la Pléiade de Mikhaël, Saint-Pol Roux et P. Quillard, l’Ermitage de Mazel et de Ducoté, le Décadent de l’instituteur Baju qui l’imprimait lui-même et avait comme collaborateurs : Tailhade, M. du Plessys, J. Renard, E. Reynaud, les Entretiens politiques et littéraires de Vielé-Griffin, P. Adam et Bernard Lazare, la 'Revue septentrionale de Roinard, l’Humanité nouvelle et Psyché de V. E. Michelet. Toutes ces revues, que nous citons sans ordre chronologique, et bien d’autres, eurent une existence plus ou moins éphémère. Les plus importantes furent La Plume, fondée par L. Deschamps (1889-1904), la Revue Blanche de Natanson (1889–1903), et le Mercure de France, ressuscité par A. Vallette, en 1890, et qui paraît toujours.

Verlaine donna, en 1884, au Symbolisme un Art poétique qui serait surtout l’art des synesthésies (voir ce mot). Mais le genre trouva son sens et sa forme définitifs dans Mallarmé qui réalisa cette gageure de faire un art de l’obscurité en la rendant lumineuse et vivante. Beaucoup ont voulu imiter sa recherche de l’image à la fois précise et splendide et sa forme elliptique, s’approprier sa faculté de transmutation de toutes choses en symboles magnifiques, dans la préoccupation farouche de ne jamais laisser ternir l’intimité et la pureté de son rêve par une intervention extérieure ; ils ne sont arrivés qu’à ne pas se faire comprendre en ne se comprenant plus eux-mêmes. Ils ont alors tenu cela pour la fin suprême de l’art ! Seul un Mallarmé aussi profondément artiste, aussi complètement désintéressé, hostile à tout bruit et indifférent à toute gloire, pouvait, comme un César Franck en musique, réaliser une telle œuvre. Son meilleur continuateur a été Paul Valéry qui, à vingt ans de distance, a apporté dans la poésie, depuis 1917, un symbolisme mûri de toutes les expériences et de toutes les observations de la pensée contemporaine.

La préoccupation du rythme plus que du nombre conduisit les poètes symbolistes à l’emploi du vers libre. G. Kahn paraît en avoir été le novateur dans La Vogue, en 1886. Il en a été le théoricien. Il fut suivi par J. Laforgue, Moréas, Mockel, Vielé-Griffin, R. de Souza, etc…

La virtuosité plus ou moins excentrique, qui vient d’un besoin de pensée et d’expression neuves particulières à des formes spéciales de l’esprit, et qui demande des dons au-dessus de la moyenne pour ne pas tomber dans les procédés du banquisme, avait commencé dans le Symbolisme avec Rimbaud. Presque tous les symbolistes en usèrent, mais avec des réussites inégales. Parmi les plus originaux furent Rollinat qui semble hanté de Poe et de Lautréamont, Laforgue, froid railleur d’une vie trop « quotidienne », Tailhade, contempteur du « mufle » et cravacheur des « groins ». D’autres furent des humoristes plus ou moins macabres auprès de qui, comme dit Verlaine, « le seul rire encore logique est celui des têtes de morts ». La fantaisie symboliste prit avec le « surmâle » A. Jarry et son Ubu-Roi le ton de la satire la plus funambulesque. Virtuosité et fantaisie tombèrent dans la mystification et le maboulisme avec les futuristes et les dadaïstes, les Marinetti, Apollinaire, Max Jacob, Cendrars, Tzara. Ce dernier voulut « tuer l’art » après qu’on eut tué les hommes. Le surréalisme, qui participe d’un « freudisme » avalé de