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jaune », et ses tableaux religieux, peints avec « de la fiente, de la sauce madère, du macadam » par des gens, « blêmes haridelles attelées à des sujets de commande pieux », qui peignent des Vierges comme ils peignent des Junons, décorant des chapelles comme ils décorent des cabarets. Il en est ainsi des arts plastiques comme de la musique (voir ce mot), dans leurs rapports avec la religion. A côté, la littérature pieuse est à l’avenant. Flaubert, qui la connaissait tout particulièrement, la trouvait « stupidifiante » par l’immensité de sa sottise, et il ajoutait : « Mes pieuses lectures rendraient impie un saint. » On comprend ce que peut être le symbolisme d’une telle « christolâtrie » ; il dégoûterait les plus arriérés Bassoutos. Aussi bien, comme l’a encore constaté Huysmans, la Renaissance a fait sombrer ensemble la symbolique et l’art religieux. Le naïf symbolisme des époques de foi n’est plus que la niaise symbolique des roublards exploiteurs de la foi, et d’une sottise aussi inesthétique qu’immorale. Les seules inspirations que la religion catholique a su apporter dans le symbolisme ont été celles des disputes théologiques sur la nature de Dieu et celle du Diable, et de la démonologie sortie, vers l’an mil, des monastères pour répandre la sorcellerie parmi les foules.

Un autre domaine où la symbolique est non moins pernicieuse que dans la religion, parce qu’elle y sert les mêmes buts et les mêmes intérêts, est celui des distinctions sociales, des castes et des classes où les individus sont parqués. Les préjugés nobiliaires y tiennent la plus grande place, tant il importait, jadis, pour chacun, de faire figure au-dessus des manants « sortis du pet d’un âne », et qu’il importe encore, aujourd’hui, de dominer les « espèces inférieures » méprisées des « gangsters » occupant les hautes sphères démocratiques. Rabelais a ri puissamment des faiseurs et des porteurs de blasons de son temps, « glorieux de cours et transporteurs de noms », avec leurs devises (symboles) qui n’étaient que des « paroles gelées ». Il leur opposait les vigoureux « mots de gueule » des « bons et joyeux pantagruélistes ». Il n’aurait pas moins ri des harnachements symboliques de tous ordres par lesquels le monde actuel s’accroche encore aux simulacres d’une dignité et d’un honneur perdus depuis longtemps, en admettant qu’ils aient jamais existé, et de la vaseuse rhétorique dont il accompagne sa fourberie.

Mais si le symbolisme a fourni abondamment de fétiches, de drapeaux, de déguisements, de catéchismes, de codes, le carnaval et la farce des turpitudes conventionnelles, s’il a alimenté de sophistications rhétoriciennes les entreprises de mensonge et d’exploitation humaine, il a aussi donné ses armes de défense à l’Esprit par les moyens de l’apologue, de la parabole, de l’allégorie, sous lesquels se sont couvertes toutes les ingéniosités et les audaces de la satire ou du simple bon sens en éveil contre les maléfiques influences. L’apologue a fleuri dès les premiers balbutiements humains. Tous les prophètes ont parlé par paraboles, tous les philosophes par maximes. Les paraboles des Évangiles sont bien connues. Les Maximes d’un Pythagore sont éternellement vivantes et actuelles ; notre prétendue civilisation a encore à apprendre d’elles à « ne pas attirer le feu avec une épée », à « ne pas mettre la lampe sous le boisseau », et à « s’abstenir des fèves », c’est-à-dire des suffrages des majorités qui font régner la démagogie. De même, depuis 2.000 ans, les insanités accumulées par les théologiens sur la divinité ont été d’avance balayées par cette image de Timée de Locre, identifiant Dieu avec l’univers tout entier : « Un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. » Comme l’a remarqué Voltaire : « En métaphysique, en morale (c’est-à-dire dans le domaine symbolique), les anciens ont tout dit. »

L’allégorie abonde dans la multiplicité des symboles dont l’antiquité grecque a pourvu l’humanité en répan-

dant la sagesse de sa philosophie. La littérature du moyen âge a été en grande partie allégorique. Les symboles étaient alors nécessaires pour rendre claire l’expression d’un langage encore trop imparfait, mais l’allégorie l’était davantage pour faire entendre la pensée considérée comme subversive. Il l’a fallu à Érasme, à Rabelais, à Descartes, à tous ceux que l’Inquisition menaçait. Érasme trouvait ses symboles dans le monde des animaux et dans celui des fous pour attaquer les puissants, les rois qu’il comparait à « des aigles carnassiers, pillards, destructeurs, batailleurs, haïs de tous », et à des fous de carnaval qui, « dépouillés de leur couronne, apparaissent des faquins ». L’œuvre de Rabelais est d’une richesse allégorique inépuisable. Sa science comme sa conscience seront toujours bons à consulter tant que les hommes seront des moutons de Panurge.

Il serait intéressant d’examiner dans les arts et la littérature, plus que dans la religion, la place et le rôle du symbolisme. Si, dans la religion, son emploi a été régressif et funeste, il a été, en art et en littérature, progressif et bienfaisant. C’est par lui que le néo-platonisme est demeuré dans la littérature quand il a été rejeté par l’Église. Chez les poètes provençaux, puis chez les Italiens du moyen âge, ce néo-platonisme a été l’élément défensif de l’Esprit, le principe de la liberté de la pensée dressé contre les dogmatismes menaçants. C’est lui qui a inspiré le symbolisme de Dante sur lequel les scoliastes discutent toujours dans l’intention obstinée de concilier son esprit de vérité, de justice et de liberté, avec l’imposture papaline et l’Inquisition. Les symboles du néo-platonisme s’opposèrent de plus en plus à ceux du catholicisme médiéval grâce à la Renaissance. Celle-ci les fit passer dans Shakespeare et chez tous les esprits indépendants qui résistèrent au classicisme subordonné au pouvoir absolu. Ils sont dans le pré-romantisme. Ils se sont dressés contre le néo-catholicisme durant tout le XIXe siècle, et nous les retrouvons dans cette période appelée du Symbolisme qui a occupé les vingt dernières années de ce siècle et qui est née de la faillite romantique.


Le Symbolisme et son école. (Fin du XIXe siècle). — Nous n’en parlerons que d’une façon très sommaire, mais en les situant aussi exactement que possible.

De ce qui précède, on peut déduire que le mouvement symboliste, d’où est sortie l’école de ce nom, n’a nullement été le produit d’une fantaisie artistique et littéraire. Obéissant à de lointaines et constantes affinités, il a été une nécessité de l’esprit, une réaction contre l’enlisement romantique dans un conformisme de plus en plus asservi aux grossièretés des appétits bourgeois. Ce mouvement avait commencé avec le décadentisme, dans lequel on a affecté de ne voir que « la perversion de la sensibilité dans des raffinements morbides ». Certes, il y a eu beaucoup de cela dans le cas d’une foule de décadents, depuis Alfred de Musset qui :

« Chante la Syphilis sous les feuilles d’un saule ! »

(L. Bouilhet.)

jusqu’aux plus actuels futuristes, dadaïstes et surréalistes dont les manifestations ont conduit le décadentisme à la déliquescence, sans autre effet que « d’épater » les primates du snobisme. Mais le décadentisme a été, dans son principe, tout autre chose, et en particulier chez Baudelaire qui en a été promu le « théoricien » par l’hypocrisie académique et bourgeoise.

Le décadentisme a été la protestation d’une aristocratie véritable et légitime de l’esprit contre l’avilissement où il était entraîné sous prétexte de démocratisation. Il a été l’expression de la plus généreuse conception individualiste dans des rapports vraiment supé-