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de sa soumission passive à ces forces, lui faisant prendre ainsi conscience de lui-même, de sa vraie place dans la vie, non comme conquérant et dominateur de la nature et des autres hommes, mais comme individu libre, pouvant librement s’associer à eux selon son choix. « Connais-toi toi même » disait alors Socrate, et Diogène lançait son : « Ote-toi de mon soleil ! » à l’Alexandre-Soleil, maître du monde qui l’importunait de sa présence et de sa puissance. La splendeur du symbolisme grec éleva le mythe hellénique au-dessus de tous les autres. Ceux du Nord, par exemple, le scandinave et le germanique, gardèrent leur rudesse primitive et sauvage malgré ce que certains, un Goethe par exemple, voulurent leur communiquer de la sagesse grecque. Sans les Socrate, les Platon et leurs continuateurs latins, les Lucrèce et les Sénèque, le monde serait peut-être encore plongé dans la barbarie préhistorique à laquelle la brute fasciste cherche à le faire retourner.

Le mysticisme, produit de l’onanisme métaphysique, obscurcit de plus en plus le symbolisme par les mystères, les fantasmagories ésotériques, dionysiaques et orphiques qui passèrent d’Éleusis dans le christianisme par la voie du néo-platonisme. Le premier christianisme s’adapta au néo-platonisme pour se faire admettre, en attendant que sa puissance fut assise. C’était d’ailleurs une nécessité pour lui. De même que la cathédrale ne pourrait avoir, sous peine de s’écrouler, d’autre principe architectural que celui de la basilique antique, le dogmatisme chrétien, si « spiritualisé » qu’il prétendrait être, ne pourrait ne pas plagier le symbolisme païen sans demeurer indifférent à l’esprit humain. Il s’adapta, mais en truquant, en s’efforçant avec toujours plus d’audace d’extirper le naturel et la vie de ce symbolisme, de le livrer aux déchéances mortifères du mysticisme.

On ne peut pas constater sans ironie qu’une religion appliquée avec tant de fureur à maudire et à détruire le paganisme, n’ait pu s’établir et se maintenir qu’en s’appropriant ses symboles, en les maquillant, en se livrant en somme à cette farce grossière consistant à baptiser carpe ce qui est volaille ! Les symboles que Hugues de Saint-Victor appela « la représentation allégorique d’un principe chrétien sous une forme sensible », et qu’effrontément l’Église déclara être de source et de vérité chrétiennes, ne furent que ceux du principe païen adaptés par l’industrie cléricale, avec parfois une incohérence inimaginable. La symbolique chrétienne s’est elle-même retrouvée, de l’aveu de ses auteurs, dans les légendes orphiques, dans les Métamorphoses d’Ovide, dans Virgile, dans cent autres qu’elle s’est annexés. Les dogmes et les symboles furent essentiellement platoniciens, tant que l’Église fut à la recherche de cette dogmatique qu’elle prétend lui avoir été « révélé » et sur laquelle elle disputa malgré cependant des siècles ! Ses premiers livres, Évangiles et autres, ne devinrent définitifs qu’après de multiples interpolations. Elle ne rejeta le néo-platonisme et ne brûla ce qu’elle avait adoré que lorsque, assurée de sa puissance, elle eut transformé les symboles d’indépendance de l’esprit en symboles de soumission, mais les ailes que ses anges portèrent dans le dos n’en demeurèrent pas moins à l’image de celles que l’enthousiasme platonicien donnait aux âmes pour les entraîner dans les cieux. A l’exemple des platoniciens, les Gnostiques avaient vu dans l’amour corporel et humain un symbole mystique de l’amour spirituel et divin. Ce symbole était devenu chrétien au point que les mouvements des sens et la volupté physique avaient été admis comme moyens d’épuration de l’âme et d’ascension vers le ciel ! Le Cantique des Cantiques était le symbole du mariage de Jésus avec l’Église. On n’avait pas encore fabriqué l’Immaculée Conception, et l’obscénité de la chasteté ecclésiastique, derrière laquelle Tartufe dissimulerait sa lubricité n’était pas encore un article de foi. Les

cérémonies, les processions, les fêtes chrétiennes, continuaient celles de l’antiquité. Les cabiries, en l’honneur de divinités aussi nombreuses que mystérieuses, se retrouvaient dans les fêtes des « saints ». Le corybantisme, pratiqué par les païens dévots de Cybèle, survivait au point de produire aux XVI- siècle et XVIIe siècle de véritables épidémies d’hallucinations démoniaques chez les mystiques. La procession des cierges allumés, à la Chandeleur, perpétuait celle des Romains célébrant Proserpine le même jour de février. Le Carnaval, imité des bacchanales, des lupercales, des saturnales, se déroulait dans l’Église. L’office des ténèbres, dans la Semaine Sainte, rappelait celui des païens lamentant la mort de leurs dieux. A Vénus et à Cybèle pleurant sur les corps de leurs amants Adonis et Atys, on avait substitué Marie pleurant sur celui de son fils Jésus. La Fête-Dieu renouvelait les solennités à la gloire de Jupiter et d’Isis. Les Rogations répétaient les fêtes de Cérès. La Noël était la réjouissance de la naissance du Soleil dont Jésus n’était, après tant d’autres, qu’une incarnation. « Ainsi, le christianisme allait se chargeant sur son passage de toutes les fantaisies qui avaient précédé son avènement. » (Ph. Chasles).

Pour donner le change sur tout cela, on a inventé la symbolique chrétienne. Elle est le système de la forgerie catholique afin de dénaturer le symbolisme, de faire chrétien ce qui était païen. Cette symbolique est tellement compliquée que même ses initiés, ou prétendus tels, disputent à l’infini à son sujet sans pouvoir s’entendre. Huysmans, dans sa Cathédrale, en a donné une explication qu’on peut appeler rationnelle, parce qu’il l’a vue en artiste, en homme chez qui la mystique n’avait pas obnubilé le sens véritable de l’art, et non en théologien. Et il a constaté que l’explication théologique était parfois « bien tirée par les cheveux » et « bien obscure ». Lorsqu’il a dit que l’architecture romane énonce le « repliement » de l’âme, tandis que le gothique en est le « déploiement », il a fort bien compris la contrainte des forces naturelles dans le roman, alors qu’elles débordent au contraire dans le gothique avec le flot de la vie populaire échappée à la mystique pour faire de la cathédrale la maison du peuple plus que la maison de Dieu, le symbole de la prospérité communale dans l’épanouissement d’une nouvelle vie sociale, et non celui de la foi chrétienne. C’est ainsi qu’au fronton de la cathédrale de Chartres fut sculptée la figure de la Liberté. Huysmans n’a pas vu cette figure qu’avait reconnue Michelet mais il était trop averti par tout le naturisme débordant de la cathédrale pour ne pas savoir que son symbolisme était plus populaire que religieux, plus humain que mystique, et qu’il représentait par toutes les merveilles de son « microcosme » de pierres bâties et sculptées, de clochers, de flèches et de vitraux, toutes les espérances humaines refoulées pendant mille ans.

Il n’a pas davantage échappé à Huysmans que l’art appelé « chrétien » n’eut jamais de véritable beauté que par l’inspiration naturiste et humaine, et il a été amené ainsi à dénoncer la « démence » du symbolisme chrétien. Personne n’a protesté avec plus d’indignation contre les tartufes destructeurs des images « indécentes » dans la cathédrale, contre les stupides cagots colleurs de papier sur le ventre du petit Jésus pour voiler son « obscénité », contre l’art de « bedon et de bidet », qui fit, au XVIIIe siècle, « d’un bénitier une cuvette ». Personne n’a, avec plus de verve courroucée, accusé « l’ignominie » et la « honte » de la « cohue des déicoles » appartenant à la catégorie dite « article de Munich » qui se débite dans les boutiques « d’art pieux », et cette « mascarade la plus vile que l’on ait encore osé entreprendre des Écritures », que représente ce qu’on a appelé de nos jours le « nouveau » de l’art chrétien, avec ses Christ « montrant d’un air aimable un cœur mal cuit, saignant dans des ruisseaux de sauce