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que nul par conséquent, ne peut prétendre, au regard de l’intraitable orthodoxie, revendiquer le droit de choisir ses croyances !

Il n’existe donc pas de distinction appréciable entre ces deux formes de la croyance : la religion et la superstition et les quelques faits, parmi les milliers que nous pourrions citer, empruntés aux cultes abolis ou toujours en vigueur et que nous allons très succinctement exposer ci-dessous, corroboreront notre assertion.

Dans le langage courant d’autrefois, nous dit Élie Reclus, dans son admirable ouvrage : « Les croyances populaires », les esprits des morts étaient dénommés génies ou démons. Ces génies et démons composent toute la substance des religions. En mourant, croyaient nos lointains ancêtres, les hommes passaient génies ; les génies passaient divinités — tantôt bonnes, tantôt mauvaises — mais dans leur immense majorité, mauvaises, il faut bien l’avouer. Rappelez-vous l’empereur romain qui, sentant venir la mort, dit aux amis qui s’empressaient à son chevet : « Je me sens passer Dieu ». Les mauvais démons étaient certainement en majorité, pusqu’ils avaient été des hommes comme nous. Néanmoins, les bons n’étaient pas rares. Chacun avait son bon démon et son mauvais. Qui n’entendit parler du « démon de Socrate », du « démon de justice », « de morale », « de bon sens et de bonté » ?

Le christianisme naît et se développe dans cette partie de notre planète qui, précisément, avait vu se former tant de « génies ». Et l’Église catholique, à la faveur de ce formidable mouvement religieux, s’édifie à son tour. Quel sera son premier souci, son premier soin ? De proscrire « tous les démons de l’ancien régime », de les « mettre hors la loi », de les traiter en diables et de les considérer comme autant de manifestations saugrenues de la superstition la plus coupable !

Allons chez les mahométans. Ils sont, eux aussi, en possession du seul vrai Dieu ! Aucune concurrence n’est tolérée !

Non loin de Tunis, on trouve un tombeau célèbre, celui de Sidi Fethallah. Situé à une lieue environ de la capitale, dans un site charmant, près d’un rocher haut de cinquante pieds, abrupt et très glissant, ce tombeau est toujours l’objet de la profonde vénération, de l’idolâtrie de nombreux musulmans résidant en Tunisie. Tombeau et rocher sont devenus un lieu de pélerinage et, chaque samedi, qui est le jour saint, on peut assister à ce spectacle assez réjouissant — à moins qu’il ne soit attristant — qu’offre un grand nombre de femmes qui, tour à tour, ayant une pierre plate appliquée sur le ventre, descendent le rocher sacré au risque de se rompre le cou. Il arrive même qu’elles renouvellent deux et trois fois ce pieux et périlleux exercice, dans l’unique espoir d’acquérir une fécondité que la nature leur a refusée jusqu’alors !

Il faut entendre les catholiques du Protectorat faire des gorges chaudes à la vue de pratiques qui ne sauraient relever que de la… superstition la plus répugnante et du magisme le plus primitif !

Faisons à présent — car il faut être équitable — une incursion dans le domaine sacré de la religion catholique, cette religion si pure, si éthérée, qui se flatte d’avoir impitoyablement écarté tous les rites, toutes les formules, toutes les pratiques et tous les sacrifices qui faisaient la honte et l’horreur des cultes antiques. Prenons, au hasard, le mystère de l’Eucharistie.

La religion catholique professe, avec une imperturbable assurance, qu’un miracle d’ordre matériel s’accomplit ; que le changement réel bien qu’invérifiable (toujours !) de la substance du pain et du vin en la substance du corps et du sang du Christ (lequel, d’ailleurs, en tant que glorifié, n’a ni corps, ni sang qui ressemblent à ceux des êtres vivant sur la Terre), que ce changement s’opère par la simple répétition des paroles qui sont attribuées, par saint Paul et par les évangélistes,

à Jésus instituant le rite. Et notez bien que ces paroles n’expriment pas une intention de Jésus, ni une intention du consécrateur qui les répète. Elles sont efficaces par elles-mêmes. Il suffit qu’elles soient prononcées, dans les conditions rituelles voulues, et par une personne qualifiée pour que le miracle invisible s’opère aussitôt !

Que le lecteur veuille, à présent, conclure. Mais peut-être sera-t-il plus convaincu encore de l’identification profonde, indéniable, de la superstition — forme originelle de la Religion — et de la Religion — dont le fond même n’est fait que de superstitions — s’il a le loisir de se rendre à Beauraing où il assistera, consterné, à l’indigne et burlesque comédie si magistralement jouée depuis plusieurs mois par le clergé belge et où des milliers et des milliers d’adeptes de la religion du vrai Dieu (elle aussi !) attendent patiemment, sans se décourager, l’apparition, pour le moins problématique, d’une Vierge, faite comme vous et moi, de chair et d’os, qui, il y a quelque dix-neuf siècles, accoucha d’un Dieu, conçu pourtant de toute éternité bien qu’immatériel, et dont la fonction obligatoire fut de créer l’univers ! — A. Blicq.


SURVIE n. f. Il n’est pas de mensonge plus cher aux nations occidentales que celui d’une survie pour la personne humaine, d’une existence individuelle continuée après la mort. Rien n’est épargné pour faire croire aux humbles qu’un sort meilleur les attend par-delà la tombe, s’ils obéissent docilement ici-bas à tous leurs maîtres, petits et grands. Fortement soutenus par les autorités civiles, seuls chargés d’instruire la jeunesse et de façonner l’opinion, les prêtres réussirent longtemps, chez nous, à maintenir la croyance à un enfer et à un ciel dont ils donnaient, sans rire, les descriptions minutieuses. Mais ces gendarmes spirituels ont beaucoup perdu de leur prestige, depuis que les peuples devenus plus défiants refusent de les prendre au sérieux. Aussi, les pouvoirs civils leur ont-ils adjoint des équipes de philosophes, d’écrivains, voire de farceurs ou de malades, qui, sans admettre les dogmes absurdes de la théologie chrétienne, déclarent que l’âme humaine demeure vivante, même après la disparition du corps. Comme la Royauté et l’Empire, la Troisième République réserve à des philosophes spiritualistes les principales chaires de ses grandes écoles. Un Paul Janet, un Caro, phraseurs aujourd’hui universellement méprisés, furent les oracles du monde universitaire à la fin du XIXe siècle. Ils cédèrent la place à l’insignifiant Boutroux et à Bergson, la fine mouche, dont l’alchimie verbale devait éblouir les bourgeois du XXe siècle commençant. Un Brunschvicg, leur digne successeur, s’imagine qu’il a dit des choses profondes quand il a pondu une phrase obscure et alambiquée ; il trône en Sorbonne à notre époque, soucieux avant tout de plaire aux maîtres de l’heure quels qu’ils soient. Aidé par d’autres pontifes, il endoctrine une jeunesse avide de parchemins. Les romanciers gâteux de l’Académie diluent les formules du nouveau spiritualisme dans de fades volumes destinés au grand public. De leur côté, spirites, théosophes, médiums et sorciers divers se jettent sur le troupeau des gens crédules en quête d’un nouveau messie. Thaumaturges, voyants, mages, instructeurs se multiplient d’une façon invraisemblable ; et la variété de leurs doctrines, leurs chicanes, les injures et les reproches qu’ils s’adressent mutuellement ne les empêchent pas de tomber d’accord pour affirmer, conformément aux directives des chefs de la police bourgeoise, que l’âme survit après la mort. À cette condition seulement, ils ont droit d’ouvrir boutique et de monnayer les mystérieux pouvoirs qui les élèvent au-dessus de l’humanité ordinaire. C’est en 1877 qu’une obédience maçonnique, celle du Grand Orient de France, cessa de rendre obligatoire pour ses membres la croyance au Grand Architecte de l’Univers et à l’immortalité de