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humains. Le doute ! Quand il s’empare de vous, il vous donne quelquefois des apparences de joie, mais plus souvent il vous terrasse. Lutter, c’est vivre (selon le dicton)… Oui, c’est vrai. Tenter sans relâche d’affirmer sa puissance par des actes de grandeur et d’intelligence, c’est se montrer quelqu’un au milieu des quelques choses. Lancer un défi aux puissants et aux flagorneurs en s’insurgeant sans cesse contre les lois qui oppriment l’individu et contre les hommes qui les érigent, c’est se montrer de grande taille. Mais, hélas ! Il y a des différences de taille. Néo-stoïcien, j’aime celui qui, fièrement et courageusement, mène (sans haine) le combat pour son indépendance. J’aime le « fort » qui toujours espère dans son désespoir (je suis de ceux qui croient que, même les plus hardis, sont parfois désespérés). J’aime celui qui, sans arrêt, dénonce la nocivité de l’autorité et de son succédané, la contrainte. J’aime par-dessus tout celui qui va « jusqu’au bout ». Mais, encore une fois, je dis, hélas ! que les héros sont rares (même au temps des héros sans héroïsme) et il nous faut reconnaître que, même dans le domaine de la bonté et de l’intelligence, il y a des faiblesses qui sont humaines.

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Oui, vivre !… c’est très bien, mais mourir ! c’est parfois beau. Quand vivre veut dire : être indompté et indomptable, posséder une solide santé, trouver sur son chemin des âmes qui vibrent à l’unisson de la sienne et qui, dans les passages difficiles, vous tendent, sans arrière-pensée, fraternellement la main, je crie : « Vive la Vie !… ». Mais (malgré mon ferme désir d’aller jusqu’au bout, vu mes conceptions et quoique atteint d’une maladie incurable), quand la sensibilité est trop forte, la dignité trop élevée, l’intelligence trop éveillée pour le cadre et le composant d’une société rapace et criminelle ; quand les armes que possédait le combattant — santé, énergie et volonté — ne sont pas assez fortes, mieux vaut — c’est mon idée — qu’il accomplisse l’action qui le précipite, au lieu de se laisser choir dans la vile indifférence de ceux « d’en bas » ou dans la fameuse crapulerie de ceux « d’en haut »… »

L’individualiste souffre davantage de la laideur de notre société. De quel droit l’empêcherions-nous de se libérer ? C’est pourquoi je revendique pour l’individu la libre disposition de sa personnalité, m’insouciant peu de la prétention de la collectivité qui veut, par je ne sais quel devoir social, la retenir malgré lui ! — Hem Day.


Bibliographie. — Bayet Albert : Le Suicide et la Morale, éd. Alcan ; Durkeirn Emile : Le suicide, étude de sociologie, éd. Alcan ; Legoyt A. : Le suicide ancien et moderne, éd. A. Drouin, ; Sur le suicide (enquête, « Le Disque vert », Bruxelles) ; Rizzardi Luca : Le suicide, éd. « La Société Nouvelle » ; Denis H. : Le suicide et la corrélation des phénomènes moraux en Belgique, (Académie Royale de Belgique) ; Jacquart : Essais de Statistique morale. Le Suicide, éd. Dewit ; Dr Binet-Sanglé : L’Art de Mourir ; « Clarté », n° 72 : Le Suicide est-il une solution ?  ; « En dehors », n° 64-66-67-68, 4e année : Enquête, Un individualiste a-t-il le droit de se suicider ?


SUPERSTITION On connaît le mot de Voltaire : « La superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie ; la fille très folle d’une mère très sage. »

Si la comparaison est juste en ce qui concerne l’astrologie et l’astronomie, la première n’étant — on le sait — qu’une science purement empirique, consistant en l’art de prédire ( ?) l’avenir par l’inspection ( ?) des astres et qui n’a jamais pu passionner que des esprits prévenus et plus ou moins teintés de religiosité, alors que l’astronomie est une science positive, basée tout entière sur l’observation méticuleuse, patiente, délicate des astres, dont il s’agit de rechercher la constitution, les positions relatives, les diverses lois qui président à leurs

mouvements, observation renouvelée mille fois et dont les résultats sont toujours sujets à révision, science qui, entre toutes les siences naturelles, est, aux dires du grand Laplace, celle qui présente le plus long enchaînement de découvertes ; si, nous le répétons, la comparaison est juste dans ce premier cas, nous estimons qu’elle est foncièrement inexacte lorsqu’elle s’applique à la superstition et à la religion, ces deux vocables pouvant indifféremment servir à exprimer les sentiments, à traduire les diverses manifestations d’une même mentalité qui, dans l’un et l’autre cas, ne peut que s’accommoder des principes, base de toute foi : Credo quia absurdum, quia ineptum, ce qui se traduit par ceci : « Je crois parce que c’est absurde, parce que c’est inepte, et je crois d’autant plus que c’est absurde, d’autant plus que c’est inepte !… »

Le Dieu des religions dites révélées, ne se révèle-t-il pas, en effet, par la négation même du naturel, et le mystère n’est-il point le seul, l’unique moyen de preuve ? Toutes les « vérités » enseignées, imposées par les religions ne procèdent-elles pas de conceptions, d’opinions, d’appréciations, d’idées a priori qui toutes sont du domaine de l’incontrôlable et même de l’inobservable ? Ces « vérités éternelles et nécessaires » dont la puérile métaphysique a gâté, empâté nos esprits, que sont-elles, au fait, si ce n’est l’antithèse même des éternelles et inflexibles lois de la nature ? La foi ne découle-t-elle pas des affirmations — et non des démonstrations faites par les maîtres (parents et éducateurs) et acceptées par des esprits forcément dociles, où le sentiment joue le plus grand rôle ? « Le cœur bien souvent affirme, alors que l’esprit nie. »

La religion, on le sait, n’est vraiment facile à définir que pour l’adepte d’une religion particulière. Celui-ci ne saurait admettre comme conforme à la vérité que sa religion propre, toutes les autres croyances étant délibérément, sans examen, rangées dans la catégorie des superstitions grossières. Pour lui évidemment — mais pour lui seul — la religion c’est sa religion, type absolu, indiscutable, à l’égard duquel les autres cultes ne sont que des formations fausses, imparfaites, indignes de la moindre considération !

Qu’on ne nous oppose pas certains croyants dont les connaissances, dont le savoir, dont l’acquis scientifique seraient considérables et indéniable la rectitude de jugement. Nous répondrions que s’ils admettent le mystère, les faits invérifiés et indémontrables, ils font tout simplement bon marché de leur intelligence et de leur esprit critique ; que d’ailleurs, c’est aller à l’encontre même de l’affirmation invariable des autorités ecclésiastiques de tous les temps, que c’est nier l’enseignement archiséculaire de toutes les Églises en prétendant pouvoir s’acheminer vers la croyance, vers la religion par la raison ! Non, la foi, c’est-à-dire cette adhésion irraisonnée du sentiment à ce qu’on croit reconnaître comme la vérité, la foi seule peut animer ces « savants religieux » !

En vain objectera-t-on qu’il y a religion et religion et que celle de certains prêtres et de quelques savants, tel Pasteur par exemple, que nos catholiques se plaisent tant à nous opposer comme le modèle associant la foi à la science, que cette religion des prêtres et savants est une religion épurée, qu’elle est une doctrine ésotérique à laquelle on ne saurait décemment assimiler les superstitions des peuples fétichistes.

Encore une fois, nous répondrons que, seule, la foi du charbonnier étant digne d’un certain respect, du fait qu’elle repousse tout compromis de quelque nature qu’il soit, il ne saurait y avoir d’autre religion que celle qui, tous les jours et depuis des siècles, est enseignée par des milliers de prêtres à des millions d’enfants ; d’autre Religion que celle du peuple, qui n’est qu’un ramassis de bourdes, d’invraisemblances, d’inepties, de contresens, d’absurdités pour tout dire, de superstitions et