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le ; par ce fait, il s’est vu étudier comme phénomène social — ce qui explique cette autre définition donnée par H. Denis :

« Le suicide est un acte volontaire qui s’accomplit suivant un processus psychique, un conflit plus ou moins complexe, long, douloureux, de motifs qui échappent à l’observation externe : l’observateur ne surprend que les manifestations intrinsèques d’un phénomène de conscience. »

Le suicide, dans l’état présent des choses, est une des formes par lesquelles se traduit l’affection collective dont les humains souffrent. Pour comprendre cet état nous devrions en étudier les formes et les aspects divers.

Certes, la question a été longuement examinée et certains auteurs ont éclairé le problème par de lumineuses recherches qui sont d’un apport incontestable.

Examiner les différents aspects sous lesquels se présente l’étude du suicide serait, sans doute, d’une utilité réelle, mais cela demanderait un exposé et un développement trop longs. Il faut se résoudre à renvoyer ceux qui s’intéressent à la chose, aux ouvrages cités dans la bibliographie, à la fin de cette étude.


H. Denis a classé les influences qui s’exercent sur le suicide, estimant que « le phénomène du suicide, comme phénomène social, doit être considéré dans toute sa relativité, c’est-à-dire qu’il doit être mis en rapport : 1° avec les autres phénomènes moraux étudiés par la statistique ; 2° avec toutes les conditions générales qui peuvent exercer une influence sur ce phénomène, en tant que phénomène social.

La classification générale de ces facteurs reproduit, à mes yeux, la classification hiérarchique des sciences, exprimant l’ordre de complexité et de dépendance des phénomènes de l’univers, de l’homme et de la société humaine. C’est la grande lumière qui éclaire aussi bien les phénomènes de pathologie sociale, comme le suicide, que les phénomènes de la vie collective. »

Facteurs mésologiques ou cosmiques du suicide : conditions telluriques, climat, température saisonnière, mois, heures du jour et de la nuit.

Facteurs biologiques : caractères anthropologiques et ethnologiques, hérédité, sexe, âge.

Facteurs sociologiques : a) société domestique : état civil, célibat, mariage, veuvage, divorce ; b) état social général.

D’autres auteurs ont groupé les suicides en différents types :

Le suicide maniaque qui détermine l’individu à se soustraire à un danger ou à une hantise imaginaire ou en vue d’obéir à un appel mystérieux qu’il a reçu de l’au-delà ;

Le suicide mélancolique qu’un état général d’extrême dépression conduit sur les chemins de la mort ; il prépare avec calme ses engins d’exécution, sa tristesse exagérée le pousse à voir tout en noir ;

Le suicide obsessif : dans ce cas, l’individu, hanté, parfois sans motif, de l’idée fixe de la mort, est en proie à l’obsession de ce désir impérieux ;

Le suicide impulsif et automatique qui, sans raison, conduit l’être, par une impulsion brusque, à attenter à sa propre vie.

Tout ceci ne peut cependant nous autoriser à voir, dans tout suicidé, un fou. L’histoire nous rapporte des cas d’individus qui prirent la résolution d’en finir avec la vie et donnèrent au monde de rudes leçons de volonté, de courage et de stoïcisme.

Le droit que prenaient certains individus de se supprimer devait provoquer des réactions violentes dans les sociétés policées qui, aidées des morales, des philosophies et des religions, ne manquèrent point de juger le suicide comme immoral, impie et ridicule et en qualifier l’acte de lâcheté.

Il importe peu que l’opinion publique oppose un veto

impératif au droit au suicide ; à l’encontre des morales et des philosophies religieuses ou rationalistes, on peut non sans raisons, admettre le suicide.

Cela a amené certains esprits libres à se demander si le suicide ne se trouvait pas justifié par les souffrances physiques, morales ou éthiques.

Le Docteur Hotz écrivait : « Quand une société guillotine et amnistie les crimes passionnels, il est inadmissible qu’elle refuse de laisser les incurables se tuer ou de les tuer elle-même par un moyen qui présenterait toutes les garanties désirables de respect, de liberté individuelle. » et, déjà en 1909, le professeur G. Dumas déclarait à la Sorbonne : « Pourquoi refuserait-on la mort à un incurable ou à un homme qui la réclame, lorsque la mort est pour lui l’affranchissement de douleurs intolérables ? Rien n’est plus absurde que la souffrance inutile et rien n’est plus légitime que de chercher à s’en débarrasser. »

Le Docteur Binet-Sanglé, depuis, a écrit un petit traité : Art de mourir, afin d’aider de ses conseils ceux qui veulent se détruire.

Pour la plupart des moralistes — ceux qui soumettent au public une opinion — le suicide est une faute, voire un crime et se tuer est faire tort à Dieu ou à la société et certains vont jusqu’à affirmer qu’en agissant ainsi l’individu est un ingrat puisque, prétendent-ils, la société rend de tels services qu’il a une obligation de vivre pour payer sa dette envers elle. Sur 47 auteurs contemporains consultés : Bayer, dans son ouvrage Le Suicide et la Morale, en trouve 38 se prononçant contre le suicide.

Quoique la bible nous offre quelques spécimens de suicidés : Samson, Architophel, Eléazar, Razias, Zambri, Abimelech, Hircan, le roi Saül, Ptolémée Macron, il n’en reste pas moins vrai que c’est en se basant sur les saints évangiles que les Églises condamnèrent le suicide en invoquant tout particulièrement le « Tu ne tueras point ».

« Si quelqu’un s’est tué, ne l’honore pas, ne le maudis pas », écrit Akiba ; mais, jusqu’ici, signale le répertoire de Schwab, les rabbins interprètent les textes talmudiques en se prononçant pour l’indulgence ou la sévérité.

En 1320, cinq cents juifs assiégés dans une forteresse par les Pastoureaux, choisissent l’un d’entre eux, comme le plus fort ou le plus résolu, pour les soustraire à la cruauté de leurs impitoyables ennemis, et se font tous égorger de sa main », rapporte A. Legayt, dans son étude sur le Suicide ancien et moderne.

Dans l’Univers israélite du 4 octobre 1912, on lisait : « La loi juive, si elle réprouve le suicide, se montre extrêmement large en faveur des suicidés. Le moindre indice favorable suffit pour incliner à l’indulgence. C’est une règle générale qu’en matière de foi funéraire on doit suivre l’opinion la moins sévère. »

La morale catholique, elle, plus rigide, condamne le suicide comme une atteinte non seulement aux droits de Dieu, mais comme étant un acte de désespoir injurieux à la bonté divine et, sauf le cas où Dieu en inspire le dessein — pour excuser Samson, sainte Pélagie et les martyrs volontaires — l’Église a considéré le suicide comme un crime affreux, comme le triomphe du démon sur l’homme. Le concile d’Arles, en 452, celui de Bragues en 563, et celui d’Auxerre en 576, condamnèrent le suicide comme un crime qui serait dû à l’effet d’une fureur diabolique, défendaient de faire mémoire des suicidés au saint sacrifice de la messe et interdisaient le chant des psaumes aux enterrements. À travers les siècles, l’Église catholique ne cessera de se montrer intolérante à ce sujet, sa législation fut véhémente, elle justifia parfois les plus sanguinaires répressions, telles celles d’Abbeville, où les corps des suicidés étaient traînés sur une claie à travers les rues. Le droit coutumier emprunta au droit canonique sa législation avec