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purent croire à la véracité des phénomènes qu’ils observaient chaque jour ; mais peu à peu, la désagrégation se fit : on s’aperçut que les hystériques étaient capables, suivant certaines modalités de leur caractère ou de leur état social, de reproduire les symptômes les plus multiples. Consciemment ou non, par suggestion ou supercherie, l’hystérique présentait toutes les manifestations morbides constatées si souvent, et d’autant plus facilement qu’il y était encouragé par des examens médicaux répétés ou mal conduits, qui leur ont enseigné en quelque sorte la symptomatologie de leur maladie.

C’est pourtant un fidèle disciple du maître qui démolit ainsi le monument si durable, paraissait-il, de la Salpêtrière : c’est son ancien chef de clinique devenu à son tour un maître incontesté par l’éclat de sa science, j’ai nommé le professeur Babinski.

Pour Babinski, l’hystérie qu’il nomme de préférence Pithiatisme (du grec : persuasion guérissable) est un état pathologique se manifestant par des troubles qu’il est possible de reproduire par suggestion, chez certains sujets, avec une exactitude parfaite, et sont susceptibles de disparaître sous l’influence de la persuasion seule.

Donc, par la persuasion seule, une personne, ayant l’autorité nécessaire pour cela, arrivera facilement à créer dans un malade un état d’esprit tel qu’il croira fermement que sa guérison dépend entièrement de lui même.

Et c’est ce qu’enseignait Coué : « Je ne vous guéris pas, disait-il en substance, c’est vous qui vous guérissez vous-même : je vous montre seulement le pouvoir que vous avez en vous pour cela, et la façon de vous en servir. » Sa méthode était expliquée dans un petit livre : « La maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente ». Entendez bien qu’il ne s’agit pas d’un de ces livres plus ou moins américains enseignant la façon de cultiver sa volonté pour renverser tous les obstacles de la vie. Coué, au contraire, supprime tout effort volontaire : c’est l’imagination seule qui agit, et quand il y a conflit entre la volonté et l’imagination, c’est toujours l’imagination qui l’emporte. Exemples : voulons-nous dormir ? Le sommeil ne vient pas. Voulons-nous trouver le nom d’une personne ? Le nom vous fuit. Voulons-nous nous empêcher de rire ? Le rire éclate de plus belle, etc…

Il est certain qu’aujourd’hui, des maîtres de la psychothérapie, les professeurs Bérillon, Pierre Vachet et Marcel Viard, pour citer trois des principaux, ne soignent pas autrement leurs malades. Le docteur Viard fait suivre souvent ses conférences d’exercices de suggestion collective, et il ne dit pas autre chose : « Soyez calmes, laissez vos muscles en résolution, ne pensez à rien, et vous sentirez une euphorie parfaite vous pénétrer, vos soucis s’atténueront, votre santé sera meilleure… »

Le professeur Louis Bénon a dit aussi : « Pour aider à guérir, l’influence morale a une valeur considérable. C’est un facteur de premier ordre qu’on aurait grand tort de négliger, puisqu’en médecine, comme dans toutes les branches de l’activité humaine, ce sont les forces morales qui mènent le monde.

Le bon médecin suggestionnera donc ses malades, mais à leur insu. Il devra créer en eux une autosuggestion, en leur persuadant qu’avec le temps et la patience, la guérison viendra. Il leur dira la façon de prendre leurs médicaments et l’action qu’ils auront sur leur organisme : cette action sera décuplée par l’assurance qu’ils auront de leur bon effet. »

Et les médecins de villes d’eau le savent bien qui prescrivent à leurs clients des dosages et une exactitude peut-être exagérés, mais qui rentrent pour une bonne part dans la réussite du traitement.

Je ne parlerai pas des miracles de Lourdes, ni de la part énorme que prend la suggestion dans les guérisons

de malades nerveux subissant un doping formidable par le cadre et la mise en scène. Car là, comme en toute chose, il n’y a que ceci : la foi qui sauve ! — Louis Izambard.


SUICIDE n. m. du latin : Sui, de soi et Cœdere, tuer. — Si nous voulons tenter de définir ce qu’est le suicide, nous nous reporterons à la définition que E. Durkheim donne dans son introduction à son étude de sociologie sur le suicide.

« On appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat. »

Parmi les problèmes de la vie morale dont l’explication reste laborieuse, le suicide, en tant qu’acte psychologique, est certainement le plus malaisé à expliquer.

Que des êtres préfèrent, en certaines circonstances, la mort à la douleur, cela semble à première vue normal à concevoir ; mais, dès que l’on se penche sur l’impérieux attachement qui enchaîne l’individu aux manifestations de sa propre vie, on doit se rendre à l’évidence et constater que ce déséquilibre entre ces forces de vie et de mort, est plus compliqué que l’on pourrait se l’imaginer de prime abord.

Dans les asiles et les hospices, le fait de voir des malheureux sans famille, sans ami, sans argent, traînant des maladies incurables, supplier les médecins de leur prolonger la vie, montre que l’acceptation de la mort ne trouve guère d’adhésion. Cependant, nous enregistrons d’autre part, des êtres qui se refusent à supporter la moindre contrariété, ils se donnent la mort pour des motifs futiles, sinon dérisoires : les journaux sont riches d’anecdotes tant originales que douloureuses.

Ces réactions contre la mort, comme ces attraits pour la mort, s’enregistrent souvent sans que nous puissions en tirer les moindres conclusions ; tout au plus pouvons-nous, envisageant les motifs qui déterminent l’individu à se supprimer, tenter d’en déduire quelques généralisations, quelques constatations, voire esquisser quelques faibles explications, le problème reste en son entier énigmatique et, aujourd’hui encore, dans ce domaine, la spéculation et l’hypothèse se donnent libre cours.

Edmond Jaloux a noté, sur la psychologie du suicidé, quelques observations qui méritent d’être citées :

« Brusquement, la communication avec le monde extérieur est interrompue ; il ne se fait plus entre la sensibilité et lui cet échange distrayant qui nous permet de nous renouveler sans cesse et de ne pas nous épuiser. Une pensée unique fonctionne dans un cerveau à peu près obturé et se répète jusqu’à la satiété, créant une sorte d’exaltation qui supprime peu à peu tout contrôle. Tous les suicidés connaissent ces états d’exaltation qui se sont renouvelés souvent avant d’aboutir à la crise finale. Celle-ci est due à une saturation de l’esprit par lui-même. Le désespéré cherche à mourir, non plus pour échapper à la déception initiale qu’il lui arrive de perdre de vue, mais pour fuir ce délire conscient qui ne lui laisse aucun repos. Il ne voit plus la disproportion qu’il y a entre ce délire et sa cause ; il s’intoxique de ses propres réflexions au point de ne plus pouvoir se tolérer. Il faut admettre qu’en se tuant, le suicidé n’a pas une conscience exacte de sa fin totale ; tout se passe comme s’il se tuait sans croire à sa mort ; il ne la réalise à aucun moment et il se supprime avec l’intime persuasion qu’il ne supprime en lui que cet état de malaise. À ce moment, le suicide est conçu comme la seule délivrance possible, parce qu’il libère l’homme de son obsession destructrice. »


Le suicide, acte individuel, semble se rattacher par certains points aux manifestations de l’activité socia-