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d’émotions, de volitions, voilà ce que l’individu découvre quand il rentre en lui-même pour observer sa vie mentale. Pourtant au sein de cette multiplicité de phénomènes transitoires, de ce fluidique écoulement de faits instables, il croit atteindre une réalité qui dure, un centre permanent d’où émanent ces modifications si changeantes et si variables. À ce noyau solide il rattache les événements antérieurs de son existence, ainsi que ses états présents et quelquefois, par anticipation, certains états futurs. C’est le même moi, aujourd’hui occupé à réfléchir, qui accomplit telle action il y a dix ans et qui se dispose à partir en voyage demain. D’où la croyance à un support, à une substance qui demeure et ne disparaît pas avec chaque état, pour renaître avec l’état suivant. Ce substratum nous ne le saisissons jamais, il est vrai, comme une réalité distincte des phénomènes psychologiques, mais le raisonnement nous oblige à l’admettre ; car, seul, il parvient à rendre compte des caractères d’unité et d’identité que présente le moi profond.

Avec une belle impudence et un manque complet de logique, les spiritualistes affirment que ce support ne saurait être qu’un esprit simple et immatériel. Multiplicité et changement, ces deux caractères essentiels de la vie psychologique, seraient pourtant inexplicables si les états de conscience découlaient d’un principe indivisible, ne pouvant s’éparpiller en une poussière d’états. Wundt, philosophe bien peu révolutionnaire pourtant, reconnaît combien est faux l’argument spiritualiste qui s’appuie sur l’unité de la pensée.


« Où puise-t-on, écrit-il, la conviction que l’âme serait un être simple ? On remplace le concept d’unité par celui de simplicité. Mais un être un n’est pas pour cela un être simple. L’organisme corporel est un, et cependant il se compose d’une pluralité d’organes. Dans la conscience, nous rencontrons de même, aussi bien successivement que simultanément, une multiplicité qui témoigne d’une pluralité de sa base fondamentale. » Le cerveau, organe à la fois un et complexe, rend parfaitement, compte du double caractère d’unité et de multiplicité que présente la vie mentale. Et c’est à la mémoire, aux souvenirs emmagasinés dans son encéphale, que l’homme doit de se reconnaître identique aux diverses époques de son existence. Comment expliquer les dédoublements de la personnalité, si cette dernière avait pour substratum un âme simple et spirituelle ? Ce genre de maladie s’explique très bien, au contraire, lorsqu’on a compris que la substance pensante, c’est tout simplement la substance cérébrale. — L. Barbedette.


SUGGESTION n. f. (du latin subqerere), placer au dessous, entasser des arguments, insinuer pour faire accepter ce qu’on désire, en agissant sur l’esprit de la personne.

L’étude de la suggestion est extrêmement délicate, car on côtoie, par les phénomènes que l’on découvre, tout un terrain où la science officielle n’ose pas encore s’aventurer.

Les faits sont indéniables mais leur interprétation est difficile à analyser.

Dès la plus haute antiquité, les phénomènes de suggestion ont été employés dans des buts plus ou moins avouables, car il est évident que tous les miracles, les mystères, les expériences des fakirs, les prédictions des pythonisses ou des augures n’avaient d’autres causes que des suggestions soit personnelles, soit collectives.

Un exemple de ces dernières est le « baquet de Mesmer ». On sait que ce médecin allemand, fondateur de la théorie du magnétisme animal sous le nom de mesmérisme, avait réalisé, à Paris, des expériences de chaîne magnétique, comme nous en avons tous vu sur différentes scènes par des magnétiseurs fameux, il y a trente ans. Ceci est de l’hétéro-suggestion, c’est-à-dire produite

par des éléments extérieurs à la personnalité du sujet, en principe la volonté d’une autre personne.

L’auto-suggestion, elle, se manifeste par un travail du subconscient, et peut agir d’une façon merveilleuse sur tout notre organisme, même en dehors de notre volonté.

On se rappelle qu’en 1923, Coué et sa méthode firent beaucoup de bruit par la simplicité même de l’application de la suggestion et les résultats probants qu’il obtenait chez beaucoup de malades. Cette méthode consistait à dire soir et matin à haute voix, machinalement, sans faire effort de volonté : « Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux. » Ou, si l’on a une crise névralgique aiguë ou une secousse morale très déprimante, on dit très vite comme dans un bourdonnement : « ça passe… ça passe… » Et les maladies physiques et les ennuis moraux, tout cela disparaît comme par enchantement.

Nous reviendrons tout à l’heure sur la méthode Coué et montrerons combien elle a été en progrès sur les anciennes écoles où toute la psychothérapie avait également la suggestion à sa base.

Il y avait, en ce temps-là, deux écoles rivales : l’École de la Salpêtrière et l’École de Nancy.

Rivales, elles l’étaient, et férocement, par des différenciations qui, disons-le tout de suite, ont disparu totalement aujourd’hui : car on ne voit plus dans les grandes névroses de la Salpêtrière, que des maladies mentales susceptibles de guérison par des soins normaux : suggestion, psychothérapie, électrothérapie, etc.

L’École de la Salpêtrière, illustrée par Charcot, Richet, Féré et beaucoup d’autres, voyait en tout névrosé un hystérique.

L’hystérie était une maladie aux manifestations diverses, dont le phénomène le plus frappant était l’attaque convulsive et dont la caractéristique était d’être sans lésions anatomiques. Angoissant et théâtral était le tableau de la grande attaque : au début, l’aura, c’est-à-dire cette boule qui remontait de l’épigastre au pharynx ; puis, la phase tonique, avec sa raideur de tout le corps ; la phase clonique, avec ses convulsions ; enfin la résolution, suivie souvent d’une crise de larmes. Au retour de la conscience, aucun souvenir.

À cette grande hystérie, Charcot adapta le grand hypnotisme avec ses lois immuables : léthargie, catalepsie, somnambulisme, dans leurs phases toujours semblables et parfaitement réglées. Il n’est pas un médecin de cette époque qui ne les ait reproduites expérimentalement et ne s’en soit même servi comme anesthésie naturelle pour les petites opérations.

C’est avec de semblables sujets que Charcot faisait la gloire de l’École de la Salpêtrière. A côté d’elle, comme une parente pauvre, vivait doucement, tranquillement, modestement, l’École de Nancy où Bernheim et Liebault dans cette ville même, Edgar Bérillon à Paris, Burot et Bourru à Rochefort, et beaucoup d’autres disciples un peu partout, soignaient également les psychoses de toutes sortes par une seule thérapie : la suggestion à différents degrés. Admettant avec tous les philosophes que nous avons deux états en nous, un conscient et un subconscient, le premier agissant par la volonté, le deuxième par l’automatisme, c’est par une action directe sur ce subconscient qu’ils purent obtenir toutes les modifications psychiques nécessaires aux guérisons. Mais c’est par l’hétéro-suggestion qu’ils agissaient, c’est-à-dire par une volonté étrangère à celle de l’individu. Nous verrons tout à l’heure que les méthodes modernes et celle de Coué entre autres, consistent à substituer à cette volonté étrangère, non pas même la propre volonté du malade, mais la seule imagination, seul élément capable d’agir automatiquement sur son subconscient, de lui-même, sans aucun facteur étranger.

Charcot mourut. Des années encore ses disciples