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c’est le sommeil de brute, prélude d’une attaque possible de delirium tremens.

Peyolt. — Disons un mot de cette petite plante originaire du Mexique, le peyotl, dont A. Rouhier nous a fait connaître les sensations bizarres qu’elle provoque lorsqu’on l’absorbe en infusion.

L’ivresse du peyotl est essentiellement visuelle, et consiste en un défilé d’images vivement colorées et animées d’un mouvement continu.

Le peyotl se rapprocherait donc du hachisch mais n’a rien d’un stupéfiant. (c. f. l’auto-observation de A. Rouhier dans son livre Le Peyotl, G. Douin, Paris, p. 233).

Hypnotiques. — Toute une série de nouveaux médicaments provenant en partie de l’acide barbiturique ont envahi la pharmacopée moderne. Énervés, excités par la frénésie et la trépidance de la vie actuelle, les gens des grandes villes ont le sommeil difficile, et l’usage des hypnogènes leur semble un appoint bienfaisant au repos qu’ils désirent.

Véronal, gardénal, allonal et combien d’autres font partie aujourd’hui du matériel de la table de chevet… (avec peut-être le revolver dans le tiroir !…). Et quoi d’étonnant, alors, que l’on enregistre à chaque instant des suicides par le plus connu de ces produits, je veux dire le Véronal, puisque le pharmacien peut le délivrer tout comme un vulgaire tube d’aspirine, sans ordonnance ?

Anesthésiques. — Ceux-ci ne sont pas aussi facilement employés par le public. Le chloroforme, le chlorure d’éthyle, le protoxyde d’azote, restent l’apanage des chirurgiens. Quant à l’éther, je crois qu’il n’est guère plus de mode ; ceux d’il y a cinquante ans qui se vantaient de son ivresse et dégustaient avec délice ( ?) des fraises à l’éther (cf. le livre de Willy : L’Éther), ne sont plus guère en état de l’employer, et leurs petits-fils préfèrent de beaucoup la cocaïne…

Dupré et Logre ont décrit l’élément d’excitation de l’éther, qui manque dans l’effet de l’opium. Mais la plus belle observation est celle de Guy de Maupassant, qui respirait l’éther lorsqu’il avait la migraine, et qui en recevait ensuite une excitation intellectuelle admirable : « C’était, dit-il, une acuité prodigieuse de raisonnement, une manière nouvelle de voir, de juger, d’apprécier les choses et la vie avec la certitude, la conscience absolue que cette manière était la vraie. Et la vieille image de l’Écriture m’est revenue soudain à la pensée : Il me semblait que j’avais goûté à l’Arbre de Science… J’étais un être supérieur, d’une intelligence invincible, et je goûtais une jouissance prodigieuse à la constatation de ma puissance…

Puis des bruits vinrent, sons indistincts, et je reconnus que ce n’étaient que bourdonnements d’oreille.

Je respirais toujours le flacon — soudain je m’aperçus qu’il était vide, et la douleur recommença ».

Nous voyons bien, qu’il s’agisse d’opium, de morphine, de cocaïne ou d’éther, que le rythme est toujours le même. Exaltation avec la sensation de beauté et de bonté et réaction de souffrance — avec l’impression que tout est fini. — On recommence alors… jusqu’où ?

Conclusion. — Lorsque Tolstoï a demandé : pourquoi les hommes usent-ils de stupéfiants, il a répondu : « C’est pour étouffer leur conscience et altérer le sens de leur responsabilité. » Je ne crois pas que ceux qui s’adonnent aux stupéfiants voient aussi loin dans leurs réactions sentimentales, mais il semble que, malgré eux, ce but soit atteint.

En réalité, on crie à la déperdition de la race, à l’abrutissement des individus, à la dégénérescence de la nation parce que quelques imbéciles se livrent à la fumée d’opium ou à la prise de « coco ». C’est profondément ridicule. Qu’on les laisse donc s’abêtir, tous ces inutiles, ces snobs qui peuplent les dancings, ou les bars plus ou moins interlopes !… Et ces fameuses fumeries d’opium

des environs de l’Étoile… et ces maisons, où tous les vices sont couverts par une respectable matrone souvent au service de la préfecture de police !… Quelle perte voulez-vous que ce soit pour la nation de les voir se tuer ou peupler les maisons de santé ? La cure de désintoxication ? Oui, elle peut donner quelques bons résultats, mais elle coûte cher et ne nous intéresse pas.

Voit-on la classe ouvrière se livrer à ce geste stupide de se mettre une prise de cocaïne dans le nez ? Elle en rirait si on le lui proposait. Non, elle n’a que faire de tous ces poisons, et a pour elle des joies autrement saines.

Faut-il écouter les pessimistes, qui pensent que notre planète est destinée à une dégénérescence universelle : l’Extrême-Orient paralysé par l’opium, le monde musulman par le hachisch, l’Amérique par la cocaïne et la vieille Europe usée par l’abus de l’alcool ?… (Dr Legrain.)

Non, je ne veux pas croire cela. A côté de ces fossiles, se trouvent des éléments jeunes et sains qui, loin des poisons et des stupéfiants, régénéreront la race.

Laissons aux demi-fous leurs intoxications. La société se défend contre eux le mieux possible, en créant des difficultés d’approvisionnement. La cocaïne et tous les dérivés de l’opium sont inscrits au fameux tableau B et leur délivrance par le pharmacien est de plus en plus rigoureuse. La Société des Nations s’occupe, de temps en temps, de légiférer les fournitures mondiales de ces produits. Quant aux trafiquants, la police spéciale sait leur donner la chasse et le tableau est souvent fructueux.

Mais, encore un coup, le poison n’atteint que quelques éléments peu intéressants de la société et laisse indemne la vraie fleur de la population ; et c’est le principal. — Louis Izambard.


SUBJECTIF, SUBJECTIVISME, SUBJECTIVITÉ. Ces mots s’opposent directement à objectif, objectivisme, objectivité. Le sens des mots sujet et objet et de leurs composés a tellement varié en philosophie, que leur histoire sémantique serait longue à exposer ou peu intelligible. La seule explication du sens que donne Descartes au mot objet demanderait des pages. Un philosophe presque contemporain, Charles Renouvier, mort en 1903, employait encore objet et sujet dans un sens à peu près contraire à l’usage généralement adopté aujourd’hui.

L’acception moderne a son origine dans la terminologie de Kant. Mme de Staël dit excellemment (De l’Allemagne, III, 6) : « On appelle, dans la philosophie allemande, idées subjectives celles qui naissent de la nature de notre intelligence, et idées objectives toutes celles qui sont excitées par les sensations. » D’une façon plus générale encore et pour parler le langage substantialiste coutumier, le subjectif est tout ce qui a rapport au Moi et à la vie intérieure ; l’objectif, tout ce qui a rapport au Non-Moi.

Page 1817 de cette Encyclopédie, Ixigrec a exposé clairement le point de vue scientifique et condamné toute méthode subjective. Il a absolument raison dans le domaine de l’affirmation générale. Ce qui est subjectif doit rester individuel et ne jamais tenter de s’imposer à autrui. Je ne propose même pas ma métaphysique ou mon éthique, je les expose. Et ce n’est pas pour que d’autres rêvent mon rêve ou agissent selon ma conscience. Ceux qui ont, comme moi, le goût de cette poésie particulière qu’on appelle métaphysique ne doivent ni se laisser imposer un seul poème, je veux dire un seul système, ni prétendre que d’autres adoptent leur rêve et leur système. Si, élargissant peut-être le sens actuel du mot, j’ai intitulé Le Subjectivisme un exposé de mon éthique, c’est pour plusieurs raisons. J’indique ainsi que, méprisant toutes les morales qui se veulent universelles et qui osent ordonner, je m’efforce de styliser ma vie selon les conseils d’une « sagesse qui rit » et qui n’a pas la prétention de pouvoir servir à tous. Qu’elle m’encourage stoïquement ou qu’elle me berce épicuriennement, la sagesse que j’écoute m’enseigne