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coca furent utilisés chez ces peuples bien des siècles avant qu’on en entendit parler en Europe.

Homère ne parle-t-il pas, dans l’odyssée du « Nepeuthès » : Hélène, dit-il, tenait de l’Égyptienne Polydamna ce médicament propre à « calmer la douleur et à dissiper les chagrins ». Opium ou jusquiame ? Les commentateurs ne sont pas très d’accord.

Plus tard, en 932, Alexandre le Grand fonda, en même temps que la ville d’Alexandrie, la première école de pharmacie qui eut la gloire de lancer le fameux Thériaque, qui, par l’opium qu’elle contenait, parcourut tout le cycle des années, puisqu’elle figurait encore dans le « Codex » de 1883. Bref, à toutes les époques de l’histoire, nous trouvons des médicaments qu’il serait trop long de citer ici et qui, tous, ont eu pour but de supprimer la douleur. Nous sommes donc en bonne compagnie pour parler des stupéfiants, et d’abord du premier de tous, l’opium.

Opium. — Tout le monde sait comment on obtient l’opium : une incision sur le fruit du pavot avant sa complète maturité : un suc blanc, laiteux, poisseux par le caoutchouc qu’il contient, sourd, qui, abandonné à lui-même, se dessèche et donne un produit brunâtre : l’opium. L’on a dit longtemps que la vertu principale de l’opium était de faire dormir. Non : l’opium n’est pas somnifère, mais il facilite le sommeil, parce qu’il calme la douleur en permettant à l’organisme de ne plus sentir l’irritabilité de son système nerveux. Que l’on fume l’opium ou qu’on se pique à la morphine, la douleur cesse d’abord et la sensation d’euphorie s’installe.

Malheureusement, quand l’action de l’opium diminue, une irritabilité spéciale remplace l’insensibilité. Ce sont d’abord des démangeaisons insupportables. Puis, si l’on se lève, des sensations pénibles, allant jusqu’à la nausée et aux vomissements.

Alors, pour retrouver le bien-être évanoui, le fumeur, le morphinomane recourront de nouveau au poison, augmentant fatalement les doses, pour obtenir l’effet cherché. C’est le « cercle vicieux » de Gilles de la Tourrette.

Voilà la rançon de tous les stupéfiants. Car nous retrouverons ce même phénomène en étudiant tous ces produits ; c’est une véritable mithridatisation qui permettra à l’intoxiqué d’absorber des grammes de poison alors que quelques milligrammes pourront tuer un non initié.

L’opium agit par les différentes substances qui le composent, et dont la principale est la morphine. Une piqûre à la morphine, seule, est plus active et dangereuse que l’emploi de l’opium total avec tous ses alcaloïdes, comme le fait le fumeur. Ces alcaloïdes, dont les six principaux sont : morphine, narcotine, papavérine, codéine, thébaïne et narcéine, atténuent la valeur d’intoxication de l’opium brut. L’héroïne, trop connue de certains intoxiqués, est un dérivatif de la morphine.

Tous les fumeurs d’opium ont traité sur le mode dithyrambique les jouissances psychiques que procure la « bonne drogue ». Voici Claude Farrère qui chante l’hymne à la Fumée d’opium : « Oh ! se sentir de seconde en seconde moins charnel, moins humain, moins terrestre !… Admirer la multiplication mystérieuse des facultés nobles ; devenir, en quelques pipées, l’égal véritable des héros, des apôtres, des Dieux… ». Farrère et les fumeurs ont raison : une des caractéristiques de l’opium est d’abolir tout désir sexuel en exaltant, au contraire, les « facultés nobles » : intelligence, mémoire, sens du beau. « Ainsi, dit toujours cet auteur, les nerfs féminins sont troublés amoureusement par l’opium mais l’opium apaise et maîtrise les virilités. Et regardez se jouer l’opium capricieux : aux femmes, créatures d’amour, il exaspère et multiplie l’ardeur amoureuse ; aux hommes, créatures de pensées, il supprime le sixième sens qui s’oppose grossièrement aux

spéculations cérébrales. Il est certain que les choses sont bien ainsi et que l’opium a raison. » (Cl. Farrère, Fumées d’opium.)

Trois stades bien caractérisés marquent la carrière d’un opiomane. Les voici résumés d’après Jarland. (L’opium au Yunnam, 1925) :

1° Sensation d’euphorie dès les premières pipes. On ne sent plus son corps. Les idées surgissent. Exacerbation de l’intelligence, de la mémoire, des sentiments de beauté et de bonté.

2° Le fumeur est imprégné. Pour avoir « ses » sensations, il double, triple même le nombre de pipes. La paresse s’installe et l’activité motrice diminue.

3° L’Euphorie devient de plus en plus lointaine. L’organisme ne réagit plus : anorexie, constipation, dyspepsie, troubles de la circulation.

Bref, l’opiomane a perdu le rythme de la vie. Et, au point de vue psychique, c’est la déchéance qui commence. Ah ! les poètes ont chanté tout à l’heure l’hymne à l’opium avec ses joies et ses sensations qui font du fumeur un surhomme. Écoutez les maintenant : « … C’est une pipe meurtrière… dix poisons, tous féroces, s’embusquent dans son cylindre noir, pareil au tronc d’un cobra venimeux… Il n’est plus qu’une sensation humaine qui me soit restée… si, une chose, un verbe : souffrir ! »

« Une heure sans opium, voilà l’horrible, l’indicible chose, le mal dont on ne guérit pas, parce que cette soif là, la satiété même ne l’éteint pas… et je suis le damné qui, pour se délasser de la braise ardente, trouve seulement le plomb fondu. » (Claude Farrère, loc. cit.).

Telle est la grande caractéristique de la psychologie des stupéfiants. A côté de la joie intense que procure le poison tant que dure son effet, se trouve la désespérance épouvantable pour l’intoxiqué devenu l’esclave de sa passion.

Alcaloïdes de l’Opium. — Morphine. — C’est le dérivé de l’opium le plus employé ; et c’est le meilleur aide que possède le médecin dans tout son arsenal thérapeutique pour soulager toute douleur de quelque nature qu’elle soit. Il est même dommage que la phobie de l’accoutumance empêche beaucoup de médecins de l’employer quand ils devraient le faire, car chez des incurables, c’est un acte de charité que d’adoucir leurs derniers moments avec des injections de morphine, même à haute dose.

Chez les morphinomanes avancés, l’emploi de ce stupéfiant est redoutable, car ils ne peuvent vivre la vie à peu près normale qu’avec leur dose d’entretien. Rien n’est d’ailleurs plus triste et plus répugnant que de voir l’intoxiqué au faciès hébété, sortir de sa poche ou de son sac (car hélas ! les femmes sont en plus grand nombre que les hommes), sans nul souci d’antisepsie, la seringue toujours prête, et se larder, même en public, dans un coin retiré. (c. f. un reportage de « Gringoire », janvier 1933).

Aussi faut-il voir dans quel état se trouve la peau des jambes, des cuisses, du ventre, des bras, absolument tatoués de mille coups d’aiguille, sans compter les cicatrices d’abcès qu’on s’étonne de ne pas voir apparaître à chaque piqûre.

Héroïne. — Un dérivé de la morphine, devenu très à la mode chez les toxicomanes, c’est l’héroïne.

La sensation d’euphorie est, en effet, plus grande, plus subtile, plus spécialisée dans son raffinement, qu’avec la morphine ou l’opium. Évidemment, comme avec tout stupéfiant, elle s’atténue à la longue et finit par disparaître même en augmentant les doses.

Cette euphorie s’accompagne d’un état d’hyperactivité psychique avec facilité d’association d’idées et de paroles extraordinaires. Cela dure deux heures environ.

C’est le meilleur médicament conseillé pour la toux et la dyspnée, ainsi que pour l’état dépressif de la mélan-