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leurs héros de véritables chevaliers d’industrie, des « gentilshommes fripons » ne craignant pas de se compromettre dans des aventures dignes des vulgaires escrocs d’aujourd’hui. Jamais satire ne cingla plus profondément, parce qu’elle fut vraie, la superbe seigneuriale que dans les narrations de Hans de Schweinichen. Jamais aussi satire ne fut plus agressive et violente, jamais farce ne fut plus amusante, contre les gens d’église que celles de ces « espiègles » qui créèrent les types du moine Rush, du curé du Calemberg dont le nom semble avoir produit les mots français : calembour et calembredaine, et du curé Ameis. Cette satire, moins savante, était plus à la portée du peuple que celle des Brandt, Erasme, Reuchlin, Ulrich de Hutten. Luther portait à l’Église des coups non moins profonds que ceux des savants occupés à la grande querelle née des exploits de Pfeffercorn (Grain de Poivre), grotesque juif converti parce qu’il n’avait pas réussi à se faire prendre pour le messie par ses coreligionnaires, et qui avait entrepris de faire brûler les livres des juifs et ceux-ci en même temps ! C’est dans cette querelle, pour la défense de Reuchlin, qu’Ulrich de Hutten lança ses Epistolœ. Aujourd’hui on voit l’odieux Hitler renouveler les sottises de Grain de Poivre ! L’esprit satirique allemand fut étouffé par la terreur et les misères des deux siècles qui suivirent la sinistre Guerre de Trente ans. L’esprit de Till Eulenspiegel se transmit timidement au XVIIe siècle à ce Simplicissimus, dont le descendant vient de capituler devant Hitler. Il fut plus hardi dans le pré-romantisme et le romantisme, dans Jean-Paul Richter en particulier.

Le temps de la Renaissance vit refleurir la satire littéraire avec Clément Marot, inventeur du coq à l’âne, Du Bellay, auteur du Poète courtisan, Ronsard qui écrivit les Discours sur les misères de ce temps. Ils firent intentionnellement Œœuvre satirique, mais la littérature fut dominante chez eux. Avec D’Aubigné, la satire fut plus ardente et combative. Dans ses Tragiques, il mit au pilori le règne d’Henri III, et dans la Confession de Sancy, il voua au mépris public les consciences élastiques d’Henri IV et de ses amis qui changeaient de religion suivant leurs intérêts. À cette satire littéraire et combative, Henri Estienne apporta son Apologie pour Hérodote, Pasquier, le Livre des recherches, Régnier de la Planche, le Livre des marchands et l’État de la France sous François II. Pierre Viret avait préludé aux pamphlets des guerres de religion par ses Satyres chrétiennes de la cuisine papale. Ces pamphlets se multiplièrent, s’élevant aux hauteurs lyriques de la Satire Ménippée ou s’abaissant jusqu’aux libelles les plus fangeux et les plus violents. Auprès de ces derniers, les homélies pâteuses et trop richement rimées d’un Duverdier, seigneur de Vauprivas, contre la corruption du siècle, n’étaient que de la guimauve.

Il fallait alors plus de courage pour dire la vérité dans la satire littéraire que pour provoquer à l’assassinat dans le libelle ordurier. Les grands redoutaient la première ; ils s’amusaient du second, même quand il levait le poignard sur un Henri de Guise ou un Henri III. Marot écrivait :

« L’oisiveté des moines et cagots,
Je la dirais… mais garde les fagots !
Et des abus dont l’Eglise est fourrée
J’en parlerais… mais garde la bourrée ! »

Marot dut s’exiler pour échapper aux moines et cagots. Etienne Dolet, auteur du Second enfer, fut brùlé vif. Berquin fut étranglé puis brûlé. Bonnaventure Des Périers dut se percer de son épée pour échapper au bûcher. Ramus fut assassiné. Rabelais faillit plusieurs fois être victime des papimanes enragés contre lui. François Ier, dit le « protecteur des lettres », alla même jusqu’à faire fouetter un pauvre diable d’abbé Couche « qui gagnait sa vie à jouer de cabaret en caba-

ret de petites farces contre la cour qu’avait tolérées le bon Louis XII ». Michelet a raconté cela en ajoutant ironiquement : « Paris comprit alors ce qu’était un roi gentilhomme. » Paris le comprit encore mieux lorsque le roi gentilhomme s’entoura du parti des « honnêtes gens », le parti des tartufes, des ruffians des affaires que soutinrent les Diane de Poitiers, puis les Catherine de Médicis, « maquerelles royales ».

La satire de combat, où la violence ne bannissait pas toujours l’esprit, se continua par les Mazarinades de la Fronde. Elle ne se manifesta plus, ensuite, que par des pièces isolées, pamphlets ou libelles, comme les pièces satiriques réunies sous le titre : Tableau du gouvernement de Richelieu, Mazarin, Fouquet et Colbert, où on lit entre autres :

« La corde de Fouquet est maintenant à vendre
Nous avons de quoi l’employer.
Colbert, Mazarin, Berrier,
Sainte Hélène, Pussort, Poncet, le chancelier ;
Voilà bien des voleurs à pendre,
Voilà bien des fous à lier. »

La satire philosophique et religieuse, inspirée par la Réforme, eut ses derniers échos dans les Provinciales de Pascal, et divers écrits jansénistes. La polémique religieuse devenant plus calme, perdit de plus en plus l’esprit satirique pour prendre le ton académique et soporifique des Bossuet et des Fléchier.

Les traditions de la satire littéraire antique, ressuscitées par la Pléiade, furent reprises par Mathurin Régnier qui fut un des plus grands poètes français. Estimant que « souvent la colère engendre de bon vers », il usa de la satire en lui donnant un caractère épicurien et libertin. Se vantant de ne pas « sucrer sa moutarde », il dit leur fait aux courtisans, aux poètes galants, à tous les sots qui estimaient plus qu’un honnête homme

« un gros âne pourvu de mille écus de rentes ».

Il fut dédaigné de l’académisme naissant et aussi de Boileau qui lui fut souvent inférieur. Boileau, plus grave, plus circonspect et plus académique en sa qualité de « législateur du Parnasse », commença cette satire des mœurs et des hommes à laquelle Molière, La Fontaine, puis La Bruyère donnèrent toute sa profondeur. Écrite dans une prose admirablement sobre et précise, la satire de La Bruyère (Les Caractères), dépouillée de toutes fioritures littéraires, atteignit plus directement son but. Elle commença admirablement, à côté de toutes les protestations contre les misères indicibles d’un temps que des flagorneurs ont appelé le « Grand Siècle », l’œuvre critique du XVIIIe siècle qui fit à la satire une si grande place.

La satire du XVIIIe siècle fut burlesque avec le Diable boiteux, de Le Sage, politique en même temps que mondaine avec les Lettres persanes, de Montesquieu, philosophique avec les Contes, de Diderot, et l’œuvre nombreuse de Voltaire. Dans tous les genres, elle atteignit profondément les institutions et les mœurs. Parny, à la fin du siècle, parodia la Bible dans sa Guerre des Dieux. La satire qui porta le plus fut celle de Beaumarchais au théâtre. On prête à Louis XVI ce mot prononcé après la représentation du Mariage de Figaro:« Mais, c’est la révolution ! ». C’était, en effet, la révolution du serviteur qui avait plus de vertus que le maître, mais qui avait toujours tort parce qu’il n’était pas le maître. La satire n’était plus ardente et fanatique comme au XVIe siècle; elle était raisonneuse et sceptique. Elle n’en frappait que plus fort les esprits nonchalants qui semblaient prendre leur parti de l’écroulement du monde. La Régence avait eu sa Ménippée avec les Philippiques de Lagrange-Chancel. Le prince Philippe d’Orléans en était demeuré définitivement flétri devant l’histoire, plus que les Jésuites qui firent la Saint Barthélémy.