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mes surmenés, ces écœurés « claqués » que vient dénoncer le conseil de révision. Par l’abus du sport, chaque année des milliers de tuberculeux de plus, des milliers de futurs cardiaques. Consultez les médecins. La plupart se déclarent opposés aux excès journaliers commis sous cette dangereuse égide. En dehors d’eux, le plus grand nombre des « culturiste » « préparatistes », « naturistes », voire des hommes aussi qualifiés — et d’ailleurs en désaccord entre eux — que le professeur Latarget et le lieutenant de vaisseau Hébert, passent leur vie à dénoncer les excès nocifs du sport. »

Plus loin : « … Rien de plus triste, parfois, au point de vue esthétique, qu’un champion spécialisé ! Nous connaissons des « as » de la course dont l’apparence est celle des gnomes ! Par ailleurs, il est fréquent nous dirons presque qu’il est admis — qu’un sauteur ne sache pas nager, qu’un leveur de poids ne sache pas courir, qu’un coureur soit incapable de se hisser au long d’une corde. La carence de nombreux sportifs pendant la guerre — et nous ne parlons que de carence physique — restera sujet de dérision. »

Les progrès du sport se font au détriment de ceux de l’intellectualité : « … Tout ce temps consacré désormais par la jeunesse — et par l’âge mûr — soit à la pratique soit à la badauderie athlétiques, tout ce temps apparaît volé aux autres distractions hygiéniques et, surtout, aux spéculations et divertissements de l’esprit. Partout, les études régressent, l’intellectualité s’avilit. Le théâtre voit baisser ses recettes au profit de celles des vélodromes. À chaque club sportif qui s’ouvre correspond quelque philharmonique, quelque foyer spirituel ou artistique qui se ferme. »

Les athlètes sont, en général, comparables à ces animaux dont on force le régime pour leur faire produire, en un temps relativement court, ce qu’ils produiraient normalement à des intervalles échelonnés. Ce sont les coureurs du Tour de France, par exemple, « dopés » comme chevaux en carrière et obligés, après l’épreuve, de se reposer… à l’hôpital. Que devient l’homme après cela ?… Une baudruche dégonflée. Nous trouvons ceci dans nos notes : « Allez donc vous fier à la forme montrée par un athlète dans une seule manifestation. Elle dure ce que durent les roses, surtout lorsqu’elle n’est pas appuyée d’une robuste santé. Il y a huit jours, nous exprimions une crainte au sujet des efforts surhumains que venait de faire le trop courageux stayer dans le fameux match des champions du monde. Nous redoutions pour lui qu’il ait mis son organisme, à peine rétabli d’une longue dépression, à trop rude épreuve, qu’il ait exagéré la défense d’un capital musculaire et nerveux à peine reconstitué et insuffisamment consolidé. Cette crainte n’était pas vaine. Comme un prodigue qui ne sait pas compter, P… puisa à pleines mains dans ses réserves, le 5 mars. Malheureusement pour lui, il eut à faire face à une nouvelle échéance, au moins aussi lourde que la première, le 12 de ce mois. En huit jours, P… n’eut pas le temps de rattraper ses pertes et il ne put, dimanche dernier, faire face à toutes ses obligations. À peine remis d’un long état de déficience, P… est reparti à fond trop tôt. Il peut redouter, maintenant, les conséquences de son imprudence pour la bonne tenue de sa saison d’été, à moins que le grand air et le bon soleil ne le retapent miraculeusement à leurs premiers contacts…, etc… ».

Passons aux foules, gobeuses de spectacles sportifs. Dans « l’atmosphère des rencontres internationales, le chauvinisme le plus étroit, le plus obtus s’y donne carrière. Sur le terrain, les équipiers — surtout ceux des quinze de rugby — n’ont qu’un but : gagner à tout prix. A tout prix, cela veut dire au prix, souvent, des pires brutalités, des pires déloyautés. Que l’arbitre, excédé, sévisse, et ce sont les 30.000 spectateurs d’un France-Écosse qui sifflent, l’invectivent, menacent de lui faire un mauvais parti. À Colombes, des grilles

acérées les en empêchent. Mais on a vu à Béziers ou à Lézignan, des arbitres roués de coups, menacés de malemort. » (Marcel Berger).

On a vu la France entière vibrer d’une façon inepte lorsque son champion de boxe partit en Amérique pour se faire battre. On assiste souvent à des échanges d’injures et de coups dans certains matches où le public prend parti pour l’une ou l’autre équipe. Et lorsque de graves questions internationales sont susceptibles de précipiter ces troupeaux vers les charniers de la guerre, on voit les foules se ruer vers les haut-parleurs des halls de journaux pour apprendre les derniers résultats sportifs. Vous croyez que l’angoissant problème passionne le public que vous voyez affairé et soucieux ; prêtez l’oreille à la rumeur qui monte : hosanna ! l’équipe de France a vaincu par x points à zéro ! Pauvres êtres qui maudissez parfois le sort qui vous accable, comme vous faites le jeu de vos maîtres en dirigeant votre pensée vers ces futilités ! On ne se doute guère combien est basse la mentalité de certaines foules, tant elles sont avides d’actes de violence et de bestialité ! Les « Annales Anti-alcooliques » (déc. 1932) ont publié la description d’un match de boxe, dont nous reproduisons le passage suivant :

« … Ils étaient là 30.000 dans un immense vaisseau, 30.000 hommes et femmes et même enfants en bas âge, haletants, fascinés par les évolutions, les pirouettes, les coups d’adresse des malheureux athlètes, voués par la nature ou par l’intérêt à des combats hideux, où le peuple, redevenu animal féroce, trouve de sadiques plaisirs. Ils étaient là, étrangement mélangés, bourgeoises très décolletées (car ces réunions sont snobs), demi ou quart de mondaines, panachées de types à physionomie de souteneurs en casquette. Ces spectacles confondent les classes de façon touchante ! Quelle fraternisation ! Mais ce qui est indescriptible et inconcevable même, c’est la physionomie de tout ce peuple, ses manifestations délirantes, cependant que les coups pleuvaient, meurtrissant les chairs, faisant couler le sang, sauter quelques dents, pochant les yeux. La participation du spectateur au combat se lisait sur toutes ces faces dont les émotions débordaient ; les yeux s’écarquillaient, des vociférations sauvages sortaient des bouches convulsées : « Tue-le ! tue-le ; tape plus fort, vas-y Thill ! » On sentait vibrer le super-patriotisme de la brute ayant un vague souvenir des ruées humaines où le sang coule au nom de la Patrie. C’était grandiose de hideur, et l’on se serait cru en pleine corrida, où l’humain ne songe plus à cacher ses instincts sanguinaires. Des femmes pleuraient, surtout derrière moi la femme fluette de l’adversaire de Thill qui encaissait les plus savantes bourrades et qui finit par tomber épuisé. Pourquoi cette petite femme était-elle là ? Sans doute pour cueillir les lauriers sanguinolents de son brutal époux ? Il Y a des femmes que de pareils triomphes mettent en liesse. Elles sont fort nombreuses, et il était visible que l’exaltation passionnée des femmes dépassait de beaucoup celle des hommes. »

Et le docteur Legrain ajoute avec raison :

« Quand on voit cela, on conçoit les boucheries de la guillotine, on s’explique la férocité de ce peuple qui demande la tête de Gorgulof, un fou ! Il lui faut du sang, à cet ours des cavernes, qui n’a du civilisé que le faux-col et la pipe. »

Le sport ? À ce mot, combien de camarades se détournent avec une sorte de répulsion ! C’est comme lorsqu’on leur parle du bistrot ou du cinéma… Ils sentent l’exploitation savante, l’abrutissement intellectuel, l’appât empoisonné. Et ils se détournent du piège. Ils s’en détournent pour aller vers leurs livres, vers leurs chères études, vers les hautes joies de l’esprit. Aux moments du délassement, ils prennent leur ligne et vont vers la rivière proche pêcher l’ablette… ou rêver. Et lorsque le cœur leur en dit, ils se dévêtent, plongent dans l’eau