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après ceux des gladiateurs jusqu’au VIe siècle. Ils ne disparurent pas complètement et laissèrent au monde moderne le dégoûtant héritage de la ménagerie et de la tauromachie.

Il n’y a que peu de choses à dire sur le spectacle des ménageries. Jadis, les montreurs de bêtes exhibaient des animaux dits « féroces » apprivoisés ; lions, tigres, ours, rhinocéros, etc… qu’ils menaient en laisse, leur faisant exécuter d’aimables exercices. Ce spectacle attestait combien l’entente cordiale est facile entre l’homme et la bête même la plus dangereuse, quand elle s’est philosophiquement résignée à la domesticité, pourvu qu’elle ait sa pâtée quotidienne. Aujourd’hui, les baladins primitifs se sont changés en prétendus belluaires, en ridicules « dompteurs », affublés comme les hussards d’opérettes de brandebourgs et de médailles, qui livrent, dans des cages, des simulacres de combats contre de misérables bêtes abruties par la captivité et les mauvais traitements. A force de coups, ils arrivent à faire hurler et bondir leurs fauves poussifs, parfois même à les réveiller assez pour qu’ils se jettent sur eux, ce qui leur permet de prendre des poses héroïques devant l’objectif. L’Anglais qui suivait une ménagerie pour voir, un jour, dévorer le dompteur, était un naïf ou un figurant publicitaire. Il n’est pas un couvreur, un mineur, un marin, un terrassier, un infirmier, un radiologue qui ne courent des dangers plus grands et plus certains que ces belluaires à la « noix de coco ». Mais comme leur profession a une utilité sociale que celle des « dompteurs » n’a aucunement, personne n’en a cure. La foule ne s’intéresse qu’aux cabotins qui exploitent sa badauderie.

Nous parlerons plus loin de la tauromachie.


Le cirque moderne. — Nous arrivons à quelque chose d’aimable, à une oasis fleurie dans le désert de la sauvagerie et de la sottise humaines. Arrêtons-nous y un moment avant de reprendre le sombre voyage.

La fin des combats sanglants et la formation d’une société nouvelle dont les goûts devinrent très grands pour le théâtre, firent délaisser le cirque antique, et ce qui resta de ses spectacles passa à la foire. Le cirque devint alors le spectacle spécial qu’il est encore aujourd’hui. Comme construction, un amphithéâtre formé de banquettes en gradins autour d’une piste circulaire, le tout recouvert et fermé par une tente soutenue par un ou plusieurs mâts suivant la grandeur de la construction. Facilement démontable, celle-ci peut être posée et enlevée en quelques heures. Elle sert aux forains faisant de courts séjours dans les lieux où ils s’arrêtent. Parfois, la construction est moins primitive, de dimensions plus grandes, toute en charpente et recouverte d’un toit de zinc, quand le séjour doit être d’une certaine durée. Vers la fin du XVIIIe siècle, on commença à construire, pour demeurer, des cirques en maçonnerie. Le premier fut, à Londres, en 1770, celui des écuyers Astley. Les mêmes firent élever, en 1774, à Paris, au faubourg du Temple, une salle qui, très agrandie par de nombreuses dépendances : écuries, loges d’acteurs, foyer du public, café, etc…, devint le cirque Franconi au commencement du XIXe siècle. Le cirque du Palais Royal, bâti en 1787, servit surtout à des représentations de théâtre musical. Il fut détruit par un incendie en 1798. Depuis, on a construit à Paris le Cirque d’Été, aux Champs-Élysées, le Cirque d’Hiver, boulevard des Filles-du-Calvaire, et le Nouveau Cirque, rue Saint-Honoré. Dès 1861, le Cirque d’Hiver abrita les concerts Pasdeloup et, quelques années plus tard, Lamoureux donna les siens au Cirque d’Été. Depuis, d’autres cirques ont été construits à Paris, entre autres l’Hippodrome de la place Clichy, devenu une salle de cinéma, et le Cirque Médrano qui a gardé sa destination pre-

mière. De nombreuses villes de province ont aussi leurs cirques.

Les cirques sont plus ou moins vastes pour contenir un nombre plus ou moins grand de spectateurs ; mais leur caractéristique principale est qu’ils ont tous, invariablement et dans le monde entier, une piste de treize mètres de diamètre entourée d’une palissade pleine, toujours de la même hauteur, et percée de deux portes se faisant face pour l’entrée et la sortie. Ces dispositions du cirque sont essentielles pour le travail des acteurs et surtout des chevaux, troupes nomades à qui il est indispensable d’assurer une certitude rigoureuse dans la précision mathématique de leurs exercices, partout où elles travaillent.

Les spectacles du cirque sont caractérisés par les exercices équestres ; ils en sont le fond essentiel. Les acrobaties, exhibitions d’animaux savants, ballets, pantomimes comme les mimodrames militaires qui furent en vogue vers 1830, ne leur appartiennent pas en propre. De l’antiquité, le cirque moderne a hérité des exercices de voltige à cheval qu’exécutaient les desultores (sauteurs) et qui sont le travail des écuyers d’aujourd’hui. Ceux des gymnasiarques et des acrobates se sont ajoutés au fond équestre dans le cirque moderne plus approprié que tout autre milieu à leur exécution. Le jongleur, l’équilibriste, le trapéziste, le danseur de corde, qui se produisaient modestement sur les places publiques, prirent plus d’assurance et d’importance au cirque. Les tours augmentèrent en nombre et en variété et il en sortit le clown. Il n’est plus aujourd’hui de troupe de cirque qui puisse se passer d’une compagnie plus ou moins nombreuse de clowns.

On considère trop souvent le cirque comme un spectacle inférieur et ses protagonistes comme des amuseurs quelconques. C’est sans doute parce qu’il n’est pas de travail plus sérieux, plus difficultueux et, partant, moins cabotin que le leur, sous les apparences de l’aisance facile dans le geste et de la niaiserie dans les propos. L’acteur du cirque est un véritable artiste. Il n’est pas, non seulement d’emploi au théâtre, mais de profession dont l’apprentissage soit plus long, plus difficile, et dont l’exercice exige plus de qualités ; endurance, patience, souplesse, adresse du corps, contrôle et maîtrise absolue de soi-même. Grâce à ces qualités, les tours de force les plus compliqués et les plus périlleux de l’acrobatie semblent jeux d’enfant et sans danger. N’ont-ils pas toujours un sourire aimable et gracieux ce trapéziste et cette écuyère qui risquent à tout instant de se rompre le cou ? Mais le type le plus remarquable du cirque, et on peut dire de tout le théâtre, c’est le clown. Il doit avoir non seulement les qualités des meilleurs acrobates, mais aussi celles des meilleurs comédiens, de ceux qui inventent eux-mêmes leur texte et peuvent seuls l’inventer, parce qu’il doit être rigoureusement adapté à leurs gestes, à leurs tours, qui leur sont aussi rigoureusement personnels. Sous les peinturlurages excessifs du maquillage, dans les trémolos cocasses d’une voix qui semble sortir d’un ventre d’éléphant, d’une serrure sans huile ou d’un violon désaccordé, dans un jargon auprès duquel le « petit nègre » et le « bich la mar » sont du langage académique, dans ses cabrioles, ses grimaces, ses hurlements, ses aboiements, ses sanglots, ses facéties, ses grosses bourdes, ses coq à l’âne, ses calembours, le clown, léger et balourd, spirituel et niais, doit savoir exprimer toute la joie et toute la douleur humaine mieux et plus complètement que ne sauront jamais le faire les plus illustres déclamateurs et chanteurs. On a dit que dans chaque siècle on compte cent politiciens célèbres et seulement un clown de génie. On compte aussi des milliers de cabotins plus illustres les uns que les autres pour s’être livrés aux exhibitions les plus variées et les plus vaines ; on ne peut être cabotin au cirque, on y risque trop sa vie. C’est d’Angleterre qu’est venu le clown ; il ne pouvait être que shakespearien, bien