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nettement négative, au fur et à mesure que les Soviets devenaient des organismes purement politiques, maniés par le gouvernement.

Les anarchistes, dans leur majorité, accomplirent donc, face aux soviets, toute une évolution qui suivit celle des soviets eux-mêmes : ils commencèrent par ne pas s’opposer à ce que des camarades se laissassent élire membres de ces institutions ; ils passèrent ensuite à la critique et à l’abstention ; et ils finirent par se prononcer « catégoriquement et définitivement contre toute participation aux Soviets devenus des organismes purement politiques érigés sur une base autoritaire, centraliste et étatiste » (Résolution du Congrès d’Elisabethgrad.) Sans doute, cette attitude des anarchistes vis-à-vis des Soviets fut pleinement justifiée par la marche des événements.


Je voudrais pouvoir étudier, ici-même, l’important problème du rôle éventuel des organisations ouvrières du genre « Soviets » dans les révolutions à venir. Mais, ce sujet m’entraînerait trop loin, car il suppose une analyse concrète, très détaillée et très complète, aussi bien de la Révolution Sociale en son entier, que des tâches et des rôles combinés et synthétisés de tout un ensemble d’organismes ouvriers lors de cette révolution. Un tel sujet exigerait, évidemment, un ouvrage spécial et volumineux. Et, d’ailleurs, le problème pourrait être résolu d’une façon assez différente pour divers pays. Dans un ouvrage général, on ne pourrait que tâcher d’en tracer les grandes lignes. Ici, je me bornerai à dire qu’à mon avis, l’enthousiasme actuel pour les « Soviets », comme formes d’organisation de la classe ouvrière en train d’accomplir la Révolution Sociale et de créer la société nouvelle, est très exagéré. J’estime que le rôle principal, fondamental dans cette œuvre future incombera à d’autres formes d’organisation ouvrière, et que, dans tout l’ensemble de cette nouvelle charpente sociale, la tâche des institutions du genre « Soviets » sera assez restreinte, limitée, modeste. Je pense, notamment, que ces institutions ne pourront accomplir utilement que quelques besognes de second plan et d’ordre auxiliaire : administratif. régulateur, calculateur. — Voline.


SPECTACLE Un spectacle est, dans le sens général du mot, « ce qui attire le regard, l’attention, arrête la vue » (Littré). C’était le spectaculum (aspect, vue, théâtre) des Romains, né de spectare (regarder). En grec, theatron (théâtre), synonyme de spectaculum, venait de thedsthai (voir, contempler). A Rome, on appelait spécialement « spectacle » les jeux et les combats du cirque. Ce titre fut donné ensuite aux représentations théâtrales, et particulièrement à leur mise en scène. Une pièce à « grand spectacle » était, comme aujourd’hui, une pièce présentée dans des décors et une figuration nombreux et fastueux. Nous y reviendrons au mot Théâtre.

Parmi les spectacles autres que ceux du théâtre, il y a d’abord ceux de la rue, d’autant plus nombreux et variés pour le spectateur, le badaud le plus souvent, celui qui baye au vent, qu’il lui faut peu de choses pour arrêter son attention, l’émouvoir ou l’amuser. L’observateur prend dans la rue des leçons de choses ; le badaud y trouve toutes les distractions à la vue des étalages, des images publicitaires, de leurs illuminations et de leurs couleurs, dans le hourvari de la foule et les incidents de la circulation. Il a ses grands spectacles avec les défilés militaires, les cérémonies officielles, les funérailles des personnages illustres, les réjouissances populaires aux jours de fêtes nationales et carnavalesques. Moins spectaculeuses, mais plus excitantes sont les simples scènes où il est pris parfois comme témoin et participe ainsi à l’action : le défilé d’une noce, une bataille de dames ou de chiens, les

déambulations hasardeuses d’un pochard, un échange de propos homériques entre marchandes et leurs clientes, les débats de Crainquebille et de l’agent 64, l’écrasement d’un piéton, le repêchage d’un noyé, un incendie, etc… Une sorte d’imprévu fantastique, carambolesque, fait du spectacle de la rue quelque chose d’irréel, un voyage dans l’illusion, par le mouvement et le bruit, par le contraste permanent entre la misère et le luxe, la privation et le gaspillage.

Le spectacle de la rue est gratuit, du moins en ce qu’il s’offre sans qu’on ait à payer un tribut à des guichets. Par contre, il coûte terriblement cher aux pauvres gens qui paient de leur misère sa pompeuse magnificence. Quand on pense à tout l’argent gaspillé pour des défilés et des cérémonies, pour des coups de canon destinés à exciter les fureurs guerrières ou pour déifier des gens qui furent des malfaiteurs publics, quand on voit les exhibitions carnavalesques des « reines de beauté » organisées par des proxénètes pourvoyeurs de la prostitution officielle, quand on réfléchit à tout ce que cela comporte de servitude, de privation et de dégradation pour les victimes, mutilés, veuves et orphelins de guerre, serfs des usines et des bureaux, chômeurs errants sans abri et sans pain, mendiants et claque-patins de toutes sortes, femmes d’ateliers qui ne peuvent vivre de leur salaire et femmes de trottoir : on se demande comment le spectacle de ces odieuses pitreries peut se dérouler sans que, de cette foule, ne montent les protestations et n’éclatent les gestes qui « troublent la fête » !… Mais il est d’autres spectacles qui détournent sa colère et endorment sa révolte sous leurs soporifiques.

La foule est inconsciente et stupide. Tournant comme une girouette suivant le vent qui passe, elle a toujours été docile quand on a su l’amuser et satisfaire sa badauderie. Ce n’est que dans les jours où elle s’ennuie que les insurrections éclatent. Panem et circenses ! disait l’antiquité romaine. Avec du pain et des jeux, on menait la populace du cirque acclamant les sénateurs, les consuls, les empereurs qui entretenaient sa dégradation. On pouvait même rogner sur le pain si les jeux étaient largement distribués. Au « bon vieux temps » de la dîme et des galères, il suffisait d’un cortège royal, d’une fête seigneuriale pour faire oublier au non moins « bon peuple » toutes les exactions dont il était victime et lui faire crier : « Vive notre bon roi ! Vivent nos bons seigneurs ! » Il en est de même aujourd’hui avec la foule du peuple appelé « souverain » ; quoique toujours trompé, volé et battu, de plus en plus matraqué par la police, il est toujours content quand on l’amuse. On n’est pas plus sot chez les Empapahoutas que des sorciers abusent par le spectacle de leurs prestidigitations.


Actuellement, les spectacles proprement dits sont : le théâtre (voir ce mot), les attractions foraines, le cirque, les courses de taureaux, les exhibitions sportives et le cinéma.


Attractions foraines. — Elles sont le plus ancien des spectacles, et tous ceux que nous connaissons sont sortis d’elles. Elles sont les spectacles des foires où des étrangers ambulants, marchands, petits fabricants, bateleurs, ont apporté de tout temps les produits de leur commerce, de leur industrie, de leur invention divertissante. Derniers nomades, ils passent toujours, s’adaptant plus ou moins, dans une civilisation qui a planté sa tente depuis longtemps dans les villages, les villes et les groupements nationaux. Les bateleurs forains ont été à l’origine du théâtre où ils ont trouvé eux aussi leur stabilité. Leurs derniers représentants demeurés à l’état primitif, presque sauvage, sont les bohémiens qui ne cessent pas de parcourir le monde et perpétuent des mœurs et des industries aussi anachro-