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disant à son maître étonné de le voir vendant de l’orviétan à la population de Dehli : « Tel peuple, tel charlatan ! » Ces charlatans n’auraient aucun succès auprès des animaux.

En 1853, Flaubert écrivait : « On deviendra si bête, d’ici à quelques années que dans vingt ans, je suppose, les bourgeois du temps de Louis-Philippe sembleront élégants et talons rouges. On vantera la liberté, l’art et les manières de cette époque, car ils réhabiliteront l’immonde à force de le dépasser. » Là, encore, les bêtes n’y seraient pour rien ; ce serait l’œuvre de la sottise.

Henri Heine, dans son Tambour Legrand, a écrit d’amusantes pages sur la sottise pour montrer qu’ « il y a dans le monde plus de sots que d’hommes », et se réjouir de ce que les sots étaient pour lui une source inépuisable d’inspiration. Un grand nombre d’autres ont su railler de même la pontifiante imbécillité de cette sottise qui représentait aux yeux de Renan l’image la plus parfaite de l’infini. Rabelais disait plus crûment que Heine : « Amis, vous noterez que par le monde il y a beaucoup plus de couillons que d’hommes. » Il en avait repéré 153 espèces dans ses pérégrinations. Car nous avons heureusement, à côté de la sottise, le rire qui est autant qu’elle « le propre de l’homme ». Il en est l’antidote quand il est celui de l’ironie. Il venge l’intelligence et la raison des « bouffonneries lugubres ». Rabelais nous l’a particulièrement recommandé quand il a fait faire à Gargantua « grande irrigation d’ellébore » pour se décroûter la cervelle de toutes les sottises que les Holoferne et les Bridé, théologiens, sophistes, scoliastes, sorbonnards et sorbonicoles, tous « vieux tousseux » et « trop diteux » de coquecigrues, y avaient emmagasinées. Mais nous avons surtout la saine et souveraine ironie sur laquelle la reptilienne sottise use vainement sa bave et ses dents, l’ironie qui « nait du spectacle de l’injustice » et qui est « la vengeance du vaincu » (Baudelaire), l’ironie qui est « la joie de la sagesse » (A. France), l’ironie qui semblait à Flaubert « dominer la vie » et qui la domine, en effet, de toute la puissance de ce solide optimisme que la sottise, si « infinie » soit elle, n’est pas encore parvenue à abattre, malgré la mobilisation de tout son personnel de cuistres et de malfaiteurs.

Oscar Wilde, que la sottise la plus hypocrite prétendait marquer d’infamie, montrait sa hautaine et inébranlable sérénité lorsqu’il écrivait, dans son De Profundis : « Le vrai sot, celui que les dieux bafouent ou molestent, est celui qui ne se connaît pas soi-même. » Car celui-là est victime de ses propres passions encore plus que des autres. Ne sachant pas se diriger, il se laisse diriger. C’est lui qui dit avec la sottise religieuse : « je crois parce que c’est absurde », et avec la sottise scientiste : « je crois parce que je n’y comprends rien ». Pour la même raison, il obéit à tous les maléfices autoritaires et, convaincu qu’il n’agit que d’après son jugement, il se croit supérieur à l’âne qui n’obéit que sous la crainte du bâton.

Pour se défendre contre la sottise, ne plus être bafoué ou molesté par les dieux, l’homme doit non seulement se connaître lui-même mais connaître aussi ce qui l’entoure sur la terre et non dans le ciel. Il lui faut reprendre pied sur le vieux plancher des vaches s’il ne veut pas se voir, comme Antée, étouffé dans les bras d’Hercule. Sa sottise est le produit du double dogmatisme religieux et scientifique auquel il s’est soumis par ignorance et par vanité. Le premier lui a fait perdre le contact de l’âme du monde, du Weltseele, de Schelling, et le sens de la solidarité de tous les êtres qui sont dans la nature comme la nature est en eux. Le second lui a fait croire qu’avec la science il pouvait se passer de conscience et qu’il pourrait être heureux sans être juste et sans être bon. Quand Bernardin de Saint-Pierre disait que « l’existence de l’homme est la seule qui paraisse superflue dans l’ordre établi sur la terre »,

il ne démontrait nullement une supériorité de l’homme et sa divinité ; il constatait simplement le parasitisme où il s’était installé quand sa sottise lui avait fait croire à des prédestinations messianiques qu’accomplirait soit la divinité, soit la science, et qu’il n’avait plus qu’à attendre en contemplant son nombril. Il faut que l’homme comprenne que le progrès, pas plus que la venue du Messie, n’est une « loi fatale », comme voudraient nous le faire dire des sots furieux de notre résistance à leurs falsifications spirituelles. Il n’y a de progrès que là où il y a volonté et action de progrès, c’est-à-dire activité intelligente, et cela comporte essentiellement, pour l’individu comme pour la collectivité, une connaissance de soi-même comme de tout l’environnement. Par cette double connaissance, l’homme pourra redevenir « la nature prenant conscience d’elle-même » (E. Reclus). Il ne sera plus pour elle un parasite et un fléau, il sera un associé, un compagnon, solidaire de tous les êtres. Il sera alors indulgent à la bêtise des bêtes parce qu’il aura su se dépouiller de sa propre bêtise, de cette bêtise souveraine, criminelle et grotesque : la sottise des hommes qui se sont faits dieux !… — Édouard Rothen.


SOVIET n. m. Substantif russe dont la signification correspond exactement à celle du mot français : conseil. Naturellement, ce n’est pas la philologie du mot nous intéresse ici. Ce n’est pas, non plus, son sens général. Mais il est utile de préciser que, d’une façon générale, ce terme est employé, en russe, dans les mêmes cas où les Français recourent au mot « conseil ». Ainsi, davat(donner) soviet signifie : donner un conseil ; gossoudarstvenny soviet veut dire : conseil d’État ; soviet ministrov — conseil des ministres ; voïveny soviet — conseil de guerre, et ainsi de suite. Le lecteur voit que soviet (comme « conseil » ) désigne couramment une institution politique, administrative ou (souvent aussi une direction collective dans l’industrie, le commerce, l’enseignement, etc.) dont les membres se réunissent pour délibérer. Ce qui nous intéresse c’est le sens politique et social spécifique acquis universellement par le mot soviet depuis la révolution russe de 1905–1917. Or, dans ce sens, le mot est employé surtout au pluriel : les Soviets.


SOVIETS (Les) : Leur naissance. Leur vie. Leur mort. — Nombre de gens à l’étranger, je veux dire hors la Russie — parlent, quelque peu à la manière du perroquet, des « Soviets », de la « Russie des Soviets », du « gouvernement des Soviets », etc…, sans avoir la moindre idée sur la signification réelle de ces combinaisons de mots. On a inventé même adjectif : « soviétique », un verbe : « soviétiser », d’autres termes encore que les Académies de tous les pays seront obligés bientôt d’introduire dans leurs Dictionnaires, d’autant plus que plusieurs de ces pays sont en train d’imiter le « soviétisme » russe en partie ou en entier, en gros et en détail (Mussolini, Hitler, Roosevelt, etc….). Le capitalisme privé étant prêt à entrer dans le coma, des « hommes d’État », des gens appartenant à des classes privilégiées ou intermédiaires, et aussi beaucoup de leurs serviteurs fidèles parmi les « intellectuels », espèrent pouvoir sauver, une fois de plus, l’ordre établi sur l’exploitation des masses, au moyen d’un néo-capitalisme d’État, modèle U. R. S. S. Ces gens ne nous intéressent pas énormément… Mais, ils ne sont pas les seuls à se ranger à côté « des Soviets ». Une foule de sincères, de naïfs — de « poires », pour dire le mot, — prenant des vessies pour des lanternes, prêtent foi au décorum « socialiste » et « révolutionnaire » des nouveaux imposteurs. Des milliers de travailleurs s’y laissent prendre, inconscients de la duperie dont ils seront les premières victimes. On est « pour les Soviets ». On est « ami des So-