Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
SOR
2632

mète sera la raison d’être de meurtres ou d’épidémies dénote une complète ignorance de la cause. Déclarer que la religion est bonne parce que le sentiment religieux ne tue pas la générosité chez certaines personnes, c’est confondre une coexistence accidentelle avec une relation nécessaire. Les principaux sophismes de déduction sont l’ignorance du sujet, la pétition de principe, le cercle vicieux. On tombe dans l’ignorance du sujet, lorsqu’on déplace la question dont on s’occupe et que l’on prouve autre chose que ce dont il s’agit. C’est un procédé cher aux apologistes de la religion et aux politiciens, qui évitent ainsi de répondre aux interrogations embarrassantes et parlent indéfiniment sans jamais fournir les explications qu’ils redoutent. Dans la pétition de principe, on considère comme vraie la chose qui est en question. Ce sophisme est à la base de la majorité des arguments que servent, aux imbéciles, les partisans d’un pouvoir fort. Le cercle vicieux consiste à prouver une proposition par une autre proposition qui s’appuie sur elle. Ajoutons que la violation des huit règles du syllogisme, ou des règles concernant l’opposition et la conversion des propositions, donne naissance à des sophismes qui furent longuement étudiés par les logiciens du moyen âge, mais dont le formalisme désuet et la creuse subtilité n’intéressent plus les penseurs contemporains.

Certains déclarent même que le syllogisme, si cher aux scolastiques, est toujours un sophisme. Stuart Mill, en particulier, estime qu’il constitue une stérile tautologie ou un véritable cercle vicieux. Soit par exemple le syllogisme suivant, très correct au dire des logiciens : « Tous les hommes sont mortels ; or le duc de Wellington est un homme ; donc le duc de Wellington est mortel. » Pour affirmer que tous les hommes sont mortels, nous devons savoir au préalable que le duc de Wellington est mortel ; dans ce cas, le syllogisme ne nous apprend rien, c’est une pure tautologie. Et, si nous ne savons pas au préalable que le duc de Wellington est mortel, nous n’avons aucunement droit d’affirmer que tous les hommes sont mortels. Le cercle vicieux serait, en effet, manifeste, puisque la vérité de la majeure, qui sert dit-on à démontrer la vérité de la conclusion, dépendrait elle-même de la vérité de cette conclusion. Poussant la critique du syllogisme encore plus loin, Herbert Spencer estime qu’il constitue un raisonnement par analogie et qu’il suppose quatre termes, non trois seulement comme on le croit d’ordinaire. Ceux qui ne partagent pas le point de vue de Stuart Mill ou de Spencer doivent au moins reconnaître que le syllogisme déductif n’est pas un instrument de découverte, un procédé d’invention, mais qu’il vaut uniquement comme moyen d’analyse et d’exposition. Ainsi s’effondrent les prétentions de la scolastique, ce vain château de cartes que les écrivains catholiques vantent à tout propos.

Lorsque, délaissant les subtilités baroques de la logique formelle, nous examinons la question des sophismes d’un point de vue moins artificiel et plus conforme aux exigences de la réalité concrète, nous constatons que les démonstrations fallacieuses, la duperie verbale, les erreurs de raisonnement constituent la règle générale en matière de politique, de religion, de métaphysique, de sociologie. Le prêtre, le parlementaire, le haut fonctionnaire, le chef d’État sont toujours des menteurs professionnels qui colorent de prétextes humains et raisonnables leurs projets les plus injustes, les moins réfléchis. Sophistes un Poincaré, un Mussolini, un Hitler et tous leurs larbins de la presse qui abritent leurs mensonges sous l’égide d’un patriotisme pointilleux ! Sophistes les savants officiels qui, pour plaire aux maîtres de l’heure, falsifient les faits et dénaturent la vérité ! Sophistes les professeurs de philosophie qui estiment qu’une chaire en Sorbonne ou au Collège de France vaut qu’on s’aplatisse devant les pontifes en

vogue et les autorités académiques ! Sophistes de bas étage les membres du clergé ou les éducateurs laïcs qui entretiennent chez les simples des préjugés ineptes, qui déforment et corrompent la mentalité des enfants ! Et ces modernes sophistes sont autrement redoutables que les rhéteurs habiles qui, dans l’ancienne Grèce, soutenaient le pour et le contre avec une égale intrépidité. En s’interrogeant sur les rapports du réel et de la pensée, les sophistes grecs ont favorisé le développement du scepticisme et de l’esprit critique. On peut leur adresser des reproches nombreux et fondés, mais ils n’entraînèrent pas des millions d’hommes dans une mort atroce, ils n’eurent pas l’hypocrisie de se proclamer d’incorruptibles soutiens de la vertu. Les rhéteurs qui trônent dans nos Grandes Écoles et nos Instituts, qui pontifient dans les Églises, qui président aux destinées des États modernes se donnent pour mission de réduire les peuples en servitude et de préparer d’ignobles tueries pour un avenir qu’ils espèrent proche. Et ces serviteurs du Capitalisme, nantis de grasses prébendes, pourvus de tous les avantages que procurent le pouvoir et l’argent, n’ont à la bouche que les mots de sacrifice, d’héroïsme, de désintéressement. — L. Barbedette.


SORCELLERIE, SORCIERS La sorcellerie est une croyance antique qui veut que certains hommes puissent accomplir des actes surnaturels, généralement avec le concours d’esprits mauvais. Ainsi, le sorcier se targue de commander aux éléments et de guérir les maladies : mais il a aussi, le plus souvent, la réputation de servir les démons et de jeter des sorts.

Une telle croyance est des plus anciennes. Les sociétés les plus primitives en font foi. Les textes cunéiformes de la Chaldée, qui semble être le berceau de la tradition occultiste, montrent déjà que « le sorcier envoyait le mal par les charmes, les sortilèges, le mauvais œil, les objets ensorcelés appelés fardeaux de peine, ainsi que par le souffle, la salive, le contact direct ou indirect avec une victime déjà ensorcelée… Il fabriquait avec certaines herbes des philtres maléfiques et déchaînait les mauvais esprits par l’imprécation magique, livrait ses ennemis au pouvoir des démons ou causait leur mort à distance par blessures ou maladies. » (R. Le Forestier, L’occultisme et la F. M. écossaise, 1928, Perrin). Dans l’Assyrie, ce pouvoir est attribué de préférence aux femmes. La sorcière habite les endroits écartés, les ruines ou l’intérieur des murs ; elle est d’une extraordinaire agilité ; elle pénètre le corps de l’homme, qu’il faut alors exorciser ; elle secoue la mer comme le vent du sud ; c’est la chasseresse nocturne, à qui on attribue la fièvre, la consomption, la folie, les troubles cardiaques, la stérilité des femmes, l’impuissance des hommes, la mort. Certains ont tous ces pouvoirs sans s’en rendre compte : ils ont le mauvais œil (Fossey, La magie assyrienne, 1902). Tout cet ensemble de superstitions se transmettra intégralement à travers les âges pour s’épanouir au moyen âge.

À toutes les époques de l’antiquité, il est possible de retrouver des preuves de la croyance à la sorcellerie. La bible en fait foi, aussi bien que les inscriptions tumulaires romaines, dont beaucoup attribuent la mort à un maléfice.

Mais c’est surtout au moyen âge et dans les temps modernes que cette croyance s’est particulièrement répandue. Des milliers de malheureux, soupçonnés de se livrer à de telles pratiques, furent brûlés ou torturés par le pouvoir religieux et par le pouvoir laïque.

Parmi ces martyrs, dont la plupart étaient des femmes, quelques-uns étaient des sorciers véritables, se réunissant secrètement pour pratiquer des orgies et des saturnales nocturnes ; mais leur nombre est évidemment très réduit. D’autres ont fait de la sorcellerie un métier : c’étaient d’obscurs charlatans qui vendaient