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soit maintenue à son rang, à sa place, selon son droit, son mérite et son ancienneté, une camarade déjà âgée supplantée par une jeune protégée de l’autorité administrative. Ce fut toujours avec de tels succès que l’idée de solidarité se maintint dans le syndicalisme ouvrier, quelles que soient les corporations : fonctionnaires d’État ou charpentiers ; employés de magasins ou terrassiers ; couturières ou cordonniers, etc., etc…

Les actes de solidarité ont été poussés jusqu’à l’héroïsme. Le « Un pour Tous, Tous pour Un » s’est manifesté par de fréquentes grèves de la faim. Les libertaires, surtout, ont subi volontairement des supplices qui confondent les plus sceptiques ayant coutume de dénigrer tour, les actes de révolte ou de solidarité. Nul militant syndicaliste qui ne connaisse particulièrement des faits stoïques d’action directe individuelle ou collective accomplis par solidarité. Parfois, ce fut la mort et, toujours, le risque pour les héros, anonymes ou connus, auteurs de tels faits de solidarité effective.

On a vu obtenir, par ce moyen extrême, des résultats incontestables de capitulation des autorités gouvernementales ou judiciaires, comme on a vu, par d’autres moyens, violents, des compagnies ou des patrons accorder spontanément satisfaction entière à leurs exploités.

La solidarité des malheureux entre eux, si elle était mieux organisée, serait d’un effet formidable pour leur bien-être et pour leur liberté. C’est elle qui est appelée à vaincre l’iniquité sociale, malgré toutes les forces de préjugés, d’ignorance, de résignation entretenues parmi les Peuples. Ceux-ci s’affranchiront par leur Solidarité.

Conçue et pratiquée en vue de la libération humaine, la solidarité a exigé et exigera de nombreux sacrifices, elle a fait et elle est appelée à faire encore d’innombrables victimes. Toute libération met aux prises et dresse plus ou moins violemment les unes contre les autres les forces qui luttent pour elle et celles qui luttent contre elle ; et, comme tout état de guerre, la bataille sociale comporte des victimes.

Mais, la délivrance une fois accomplie, sous l’influence déterminante du bien-être et de la liberté dont tous bénéficieront, la solidarité, s’exerçant entre égaux, prendra rapidement la forme qui lui est propre et se traduira en toutes circonstances par l’Entr’aide. Alors, il ne sera plus nécessaire d’adjurer, au nom de la religion ou de la morale, de s’aimer, de se secourir, les uns les autres. Tous s’entr’aimeront et s’entraideront tout naturellement, parce que, d’une part, ils n’auront plus aucune raison de se haïr ou de se concurrencer et parce que, d’autre part, l’intérêt de chacun se confondra avec celui de tous. — G. Yvetot.


SOLITUDE n. f. (lat. solitudo). La solitude (magnifiée par Ibsen), cette solitude où se forge la force et s’affirme l’originalité, ne peut être le « splendide et stérile isolement » dans lequel l’individu épuise un foyer jamais renouvelé, enchaîne la pensée — ce Prométhée — au rocher d’un moi aride. Un abîme la sépare, cette solitude, de l’absolu de glace où se fige la suffisance. Être seul, c’est réaliser son soi-même aux limites du possible et ne pas le laisser entamer par un adverse obstiné, c’est dégager de la gangue sa personnalité. Du type édifié profitera l’environ. Si nous radions, notre clarté repoussera, dans autrui, l’obscurité et il fera, tourné vers nous, saisi par notre exemple, un pas vers sa propre lumière. Et nous aurons satisfait, en dons rayonnants, à la solidarité qui nous lie au social pour tous les biens dont nous jouissons…

Compatir aux maux du prochain, sentir dans sa chair et jusqu’au vif de nous-mêmes sa détresse et son pitoyable agenouillement ne peut, sans une descente vers l’inconscience, impliquer que nous devons accepter de nous écraser à son niveau. Mais, au contraire, que nous devons — tenant libre et fraternel le chemin de lui à nous — nous élever dans notre dignité et la notion

avertie de notre plan, et l’inciter — ce prochain prostré — à secouer la rouille de ses chaînes, à briser la coque des préjugés agglutinés pour s’ouvrir à la liberté personnelle.

La solitude intelligente et bonne n’est pas la retraite dédaigneuse en marge et au dessus de l’humanité. Elle est toute chaleur, sympathie, rayonnement, attraction aussi vers les cimes. Et menace seulement pour les prêtres, pour les maîtres, les tyrans qui tiennent en bas, éloignés d’eux-mêmes et petits sous le joug ou dans l’ombre, nos frères qui sont aussi des hommes. Les médiocres, les durs, les fats, les ambitieux, les chefs, les ventres, tous les faux individualistes (aristocrates, ouvriers ou bourgeois : les classes, ici, ne sont que des étages provisoires ou des paliers d’accès) méprisent et redoutent cette solitude de flamme, de résolution, de solidarité et d’expansion…

Vivre seul, c’est se tenir hors du sillage des foules, agréger autour de soi les éléments d’une solide et vivante unité, à la fois attentive et mouvante, c’est se refuser à demeurer complice des passivités où les majorités s’enlisent, à faire nombre parmi les multitudes, à consentir aux multiples abdications en la misère desquelles se traîne, en troupeau, le peuple ilote. Mais c’est tourner sa volonté lucide et recueillie contre les règnes accroupis sur cette torpeur et cette acceptation, contre les vampires agrippés au flanc des masses douloureuses et faisant de cette souffrance immense un insolent, cruel et grossier « bonheur »…

L’homme fort et seul que nous comprenons et que nous aimons manie sans défaillance une investigation ardemment dénonciatrice. Il porte — aigus — le regard et le scalpel au cœur des conventions, des morales et des institutions échafaudées sur le non-sens d’une puissance d’étranglement. Il tente d’arracher — lambeaux précieux, bribes sacrées qui s’agglomèrent — un peu de cet humain qu’elles atrophient, réduisent et broient. Il se dresse, ici : flambeau, appel, main tendue, mais là : répudiation, combat, barrière résolue. Il se lève comme une espérance et un vouloir. L’homme seul et fort repousse l’isolement des tombeaux et des ruines. Sa solitude est un exemple d’énergie et elle ne cesse d’être active et féconde : elle est foncièrement généreuse… — S. M. S.


SOPHISME n. m. (du grec sophisma, artifice, expédient). Raisonnement qui pêche soit dans les termes, soit dans la forme, le sophisme est un argument captieux qui donne à l’erreur une apparence de vérité. « Il est d’usage, dans les ouvrages de logique, écrit Rabier, de traiter séparément des erreurs et des sophismes. Cette division semble peu justifiée. On appelle sophisme une erreur de raisonnement. Mais toute erreur est, au fond, une erreur de raisonnement. En effet, il n’y a d’erreur possible ni dans le fait de se représenter telle ou telle chose, ni dans le fait de croire à cette représentation elle-même. L’erreur consiste à juger d’un objet par le moyen d’une représentation, à interpréter une représentation comme signe ou image d’un objet. Or, juger d’une chose par une autre, interpréter une représentation comme signe ou comme image, c’est faire une inférence. Donc toute erreur est une inférence vicieuse ou un sophisme. » Dans l’ensemble, les philosophes contemporains adoptent cette manière de voir. Aussi l’étude des sophismes, confondue avec celle de l’erreur, a-t-elle cessé de retenir l’attention des logiciens. Rappelons cependant qu’une classification courante distingue des sophismes d’induction et des sophismes de déduction.

Parmi les premiers, citons le dénombrement imparfait, l’ignorance de la cause, le sophisme de l’accident. Déclarer qu’il y aura toujours des guerres parce qu’il y en a toujours eu, nous fournit un exemple de dénombrement imparfait. Croire que l’apparition d’une co-