Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 4.2.djvu/132

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
SOL
2630

courageux de Westphalie, le voici à titre documentaire :

Il y eut 638 cadavres au puits N° 4 sur 852 mineurs descendus ; 451 sur 453 au puits N° 3 et 123 au puits N° 3 ; soit un total de 1.212. Que de maisons ouvrières en deuil ! Que de villes tristes et lugubres ! Que de femmes éplorées ! Deux femmes : une mère et une sœur, réclamaient, à elles seules, aux autorités, les sept cadavres de leurs fils et frères !

Tous comprirent, à ce moment tragique, devant ce monstrueux amoncellement de cadavres, que les frontières politiques et naturelles séparant les peuples devaient disparaître et que toutes les mains devaient se tendre dans une œuvre d’union des travailleurs de toutes les nations. La fraternité sociale se manifesta, certes, par une horreur sentimentale unanime et par des souscriptions. Ce fut merveilleux. Mais cela n’empêcha point les patrons et les actionnaires de demeurer féroces et rapaces, ainsi que le prouva une grève éclatant quelques jours après dans les bassins du Nord et du Pas-de-Calais, qui dura jusqu’en mai de la même année et vint, dans les familles ouvrières si éprouvées, ajouter aux douleurs si vives de la catastrophe de Courrières les tortures de la faim…

C’est au cours de cette grève qu’un journaliste impudique, un cynique politicien, osa se montrer aux mineurs, comme ministre sympathisant des grévistes qui réclamaient l’application tant promise de la journée de huit heures immédiate et intégrale. Le chapeau sur l’oreille, Georges Clémenceau se déclara d’accord avec les grévistes et leur promit l’appui du gouvernement. En effet, les grévistes ont pu constater aussitôt l’augmentation des forces militaires et policières, en attendant l’application indéfinie de la journée de huit heures ! Tout cela ne doit pas être oublié.

En présence de tels événements, qui donnent lieu à de telles marques de générosité et de véritable solidarité, on arrive à en oublier le terrible et collectif égoïsme des guerres. C’est un profond adoucissement à la douleur que ces preuves de sympathie et ces témoignages de réconfort, venus des quatre coins de l’univers… À la rigueur, ceci montrerait que l’humanité est peut-être meilleure que nombre de pessimistes le prétendent, et que la fraternité des peuples, leur solidarité dans le malheur ne sont pas toujours de vains mots. Oui, cela semblait ainsi, en l’armée 1906… Mais huit années plus tard, d’autres hécatombes, cherchées, voulues et obtenues par d’infernaux moyens de politique, de diplomatie, d’intérêts infâmes, firent des millions et des taillions de victimes en ce massacre affreux de 1914 à 1918.

Ces millions de morts de la guerre ont fait oublier les 1.200 mineurs, massacrés par un coup de grisou, dont la Compagnie de Courrières fut responsable, d’après les rapports, car elle viola manifestement l’article 74 de l’arrêté préfectoral de 1905 qui prescrit l’emploi des lampes de sûreté. Il y a bien d’autres infractions aux lois, décrets et règlements sur les mines, dont la Compagnie de Courrières s’est rendue coupable. Mais la justice bourgeoise est dure aux travailleurs et douce à leurs exploiteurs. La Compagnie de Courrières a continué de prospérer et les actionnaires, de père en fils, continuent de toucher des dividendes. Les mineurs de Courrières, comme leurs autre frères de misère, continuent de revendiquer, de végéter et de mourir comme des gueux.

Cela, c’est toute la solidarité sociale en plein épanouissement. Elle ne cessera qu’avec la disparition totale de ce qui l’engendre : l’exploitation, l’autorité des uns, l’ignorance et la soumission des autres.

Cette Révolution sociale ne s’accomplira peut-être pas sans violence, car, à la solidarité malfaisante des profiteurs d’un régime odieux qui se défendra, s’opposera la solidarité des exploités, des asservis en révolte dans un

mouvement de force et de cohésion pour établir la justice et l’Égalité sociales des hommes aptes à vivre en travaillant dans l’entente et la liberté, par la fraternité et l’amour des uns envers les autres ! Ô Solidarité, nos idées d’avenir meilleur, nos espoirs sont en toi ! »

(Extraits d’un livre de lecture intitulé : La Vie du Mineur, par O. Delabasse).


Le savant Paul Langevin, interrogé en 1933, par un journaliste, fit des déclarations intéressantes qui répondaient à une opinion assez justifiée de Jules Romains sur les savants, où celui-ci affirmait :

« Tous les savants, sans exception, sont serviles. Ce sont des employés. On l’a bien vu pendant la guerre. Eux ne s’opposeront à rien. Pas de danger qu’ils fassent grève, fût-ce pour sauver l’Humanité… »

Une telle condamnation en bloc, un arrêt aussi impitoyable rendu par l’un des esprits les plus profonds de l’époque, ne peut laisser insensible. Il n’y a pas de règle sans exception. Et les déclarations suivantes le prouvent. Elles sont faites par un homme doux, modeste, dont l’inflexible volonté, affirmée partout, de ne point servir les œuvres de mort, est en train de convertir par sa force exemplaire, des milliers de savants. Voici ce que dit le professeur Langevin :

« L’état actuel de la science, qui rend de plus en plus solidaires toutes les portions du monde, exigerait l’organisation internationale de la collectivité. Nous en sommes loin… »

. . . . . . . . . . . . . . .

« Il faut convaincre que le paradis est dans ce monde, devant nous et qu’il dépend de nous. Nous sommes tous solidaires, perdus dans l’infini des espaces et du temps : solidaires de nos contemporains, solidaires de nos ancêtres aussi, et de nos descendants.

Nous formons un tout, qui doit évoluer sans cesse. Et si la justice se montre défaillante, que la science vienne à son secours, et l’aide à organiser l’harmonie du monde ! »

. . . . . . . . . . . . . . .

« J’ai remarqué, il y a une dizaine d’années, disait le professeur Langevin, que le cerveau et le cœur humains palpitaient dans l’ensemble de l’espèce. Et j’ai compris à ce moment-là qu’il était du devoir de ceux qui sont à l’avant-garde de s’occuper un peu de l’éducation des autres.

Et je ne crois plus maintenant, qu’un savant puisse dissocier son travail de l’amour du prochain. »


Que de belles choses ont été dites ou écrites sur la solidarité !

Mais rien de tout cela ne vaut les actes. Et c’est surtout dans le Peuple, parmi les travailleurs, qu’on pourrait moissonner abondamment des exemples fameux, des traits admirables de solidarité individuelle et de solidarité collective. Mais il y en a trop, vraiment, pour entreprendre seulement une simple énumération dans la seule Histoire du Travail et des Travailleurs.

Tout le monde connaît les faits sociaux. On sait que nombre de grèves très importantes ont eu lieu avant la guerre… et depuis, sans autre raison que la solidarité. Il y en eut, également, pour des raisons de dignité. Mais celles qui eurent lieu pour empêcher une injustice ou une représaille du Patronat vis-à-vis d’un ouvrier ou d’une ouvrière seraient à signaler si l’on pouvait disposer de la place nécessaire à leur énumération et à leurs résultats. Il y eut grève générale de diverses corporations et grève générale de diverses localités pour soutenir un camarade frappé pour ses opinions, ou pour sa propagande, ou pour son dévouement à la cause ouvrière. Les Arsenaux de France ont, maintes fois, suspendu le travail pour obtenir la réintégration d’un militant congédié. Les manufactures de tabac l’ont fait aussi, la grève générale, jadis, avant 1910, pour obtenir que