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ne pouvait mettre aucun nom. Quelques-uns avaient la position dans laquelle la mort implacable les avait surpris. Repliés sur eux-mêmes, les bras en avant pour se couvrir dans un dernier geste de défense, tels des damnés échappés d’un enfer que Dante, même, n’eût point su imaginer. Amenés sur des civières et enveloppés d’un linceul, on les déposait sur la galerie, remettant à plus tard la quasi impossible identification des moins abîmés. Le dimanche soir, on remonté 23 corps et le lundi, à midi, 7 de la no 4. Il en restait 100 à l’accrochage. À la fosse N° 2, on en avait remonté 32 dans la nuit du samedi dimanche ; à la fosse N° 10, il y avait eu 100 ouvriers sauvés ; à la fosse N° 3, il y avait eu 10 cadavres. Au dire d’un ingénieur, à la fosse N° 4, dans la nuit qui suivit la catastrophe, étant de service, il vit un spectacle dépassant toute imagination. C’était celui de la buvette, à 380 mètres : la voie, sur un parcours de 100 mètres, était totalement obstruée, les boisages arrachés leurs appuis, d’énormes blocs de roches couvrant le sol de leurs mille fragments. À chaque pas, on rencontrait des cadavres momifiés, absolument méconnaissables. Tout un train de berlines avait été littéralement aplati ; les corps du conducteur et du cheval gisaient à plusieurs mètres de distance, et ce n’était qu’à plat ventre qu’on pouvait avancer dans les éboulis, exposé à chaque instant à être écrasé sous un nouvel éboulement. À la fosse N° 10, 9 autres corps étaient étendus sur la paille de l’écurie ; l’un était celui d’un père de cinq enfants ; tout près, ceux du père et des deux frères, dont un de 17 ans. Ce fut ensuite le tableau des reconnaissances. On avait déjà remis à leurs proches les corps de ceux qu’on avait reconnus au début de l’organisation des secours. Les autres, ceux qu’il s’agissait d’identifier, déposés dans des cercueils provisoires, aussitôt remontés étaient alignés eu deux rangées, laissant entre elles un espace de deux mètres. Des sapeurs du génie arrosaient le sol d’eau phéniquée, tandis que d’autres soldats, munis de gants, enlevaient les couvercles et écartaient les linceuls, de manière à découvrir les défunts qu’on aspergeait ensuite de phénol.

Par groupes de 20 à 25, les visiteurs étaient alors introduits, et des scènes à fendre l’âme se produisaient. Ici, c’était une femme sanglotant éperdument et s’affaissant, inerte, en apercevant son homme. Là, c’était lui deux père, cherchant son fils, et qui avait cru le reconnaître à sa chaussure. Plus loin, une mère retrouvant, dans des restes informes, celui que, deux jours auparavant, elle avait embrassé en l’appelant son fils, tombait évanouie sur la neige boueuse du carreau. Près d’elle, muet d’horreur, se tenait un ancien mineur, dont trente et un des siens, frères, beaux-frères, neveux et cousins, étaient restés au fond de la mine. Trente et un !… Quant au jour des funérailles, ce fut une journée d’atroce désespoir. Rien ne pourrait exprimer la poignante tristesse de ce spectacle dans la mine noire, sous un ciel bas et gris, tandis que la neige, tombant inlassablement, ajoutait encore à la mélancolie du paysage morne et nu…

Ne mentionnons pas les délégations, venues de toutes parts, apporter, au nom des groupements corporatifs qu’elles représentaient, le dernier et suprême adieu à ces obscurs martyrs du travail, victimes de l’exploitation, faisant contraste avec les personnages officiels des pouvoirs publics et des compagnies…

À quiconque l’a vu, ce spectacle des funérailles des victimes de la catastrophe de Courrières restera le souvenir de ce défilé gigantesque et funèbre du 13 mars 1906, sous la neige tombant en flocons serrés, de cercueils, de cercueils et encore de cercueils… Dans la rue de Billy-Montigny, l’une des communes les plus éprouvées, en face la fosse N° 3, ce fut un départ pour la nécropole, si grandement tragique, si impérieuse-

ment impressionnant, qu’il était impossible de ne point pleurer. Pendant que, aux pas lent des porteurs dévoués, les humbles bières s’en allaient, des gémissements de femme s’échappaient de chacune des maisons qui bordaient la rue, par les portes et les fenêtres. Et, en avançant d’habitation en habitation, on allait de râle en râle, car à chaque croisée, il y avait une voix déchirée de larmes, qui appelait un nom de disparu…

Tout cela n’incite-t-il pas à des pensées profondes et fortes sur la nécessaire, l’indispensable et consolante solidarité des malheureux entre eux ?

Mais, revenons à la catastrophe. Voici continent un rescapé raconta sa terrible odyssée :

« J’étais à 304 mètres, dans les travaux du fond de la fosse N° 2, lorsque la catastrophe se produisit. Avec quatre de mes camarades, je conduisais un train de vingt berlines pleines de houille ; tout à cour, les lampes s’éteignirent brusquement sous l’action d’un courant d’air tellement violent que je fus renversé avec le cheval que je tenais à la bride ; les longes furent brisées net, et les vingt berlines refoulées à près de trente mètres en arrière… »

On se rend compte (et on se l’explique aisément) de cette pression formidable du gaz accumulé pour que l’air respirable ait été refoulé avec une telle force, et l’on comprend que les travailleurs un peu éloignés des accrochages des fosses 2 et 10, aient été asphyxiés avant de les atteindre. Et l’on conçoit la difficulté des tentatives de sauvetage. Il fallut procéder à des travaux de déblaiement pour arriver dans les chantiers du N° 4. Ces travaux commencèrent dès que le dernier des blessé, trouvés à l’accrochage de 397 mètres fut remonté. Ils se poursuivirent toute la nuit avec une activité fiévreuse ; après une équipe, c’était une autre. Ce fut avec un dévouement, un mépris de la mort qui allait jusqu’à la témérité, que les volontaires sauveteurs se présentèrent pour tenter d’arracher à la mort leurs frères malheureux. Des traits de courage inouïs furent accomplis ; citons-en un entre cent : un porion, le nommé Grandame, dont le nom mérite de figurer au tableau d’honneur des victimes du devoir, se trouvait au fond lors de l’explosion ; à l’accrochage 300, après avoir ramené dix-huit camarades sains et saufs, il replongea dans la fournaise pour n’en plus sortir ! Les énumérer tous, d’ailleurs, serait impossible. Il convient pourtant de signaler aussi le magnifique élan de générosité des pompiers de Paris, et surtout celui des « Feuerman » ou soldats du feu qui, au premier appel du Syndicat des Houillères françaises, avaient accepté de franchir les 400 kilomètres qui séparent la Westphalie de notre région, pour tenter, au péril de leur vie, d’arracher, s’il en était temps encore, aux griffes de la mort, ceux de leurs camarades de la mine ensevelis depuis 72 heures dans l’inextricable réseau souterrain de Courrières. Ils s’étaient, pour cela, munis d’un appareil spécial, en usage dans les fosses de l’Allemagne, qu’ils avaient apporté. Cet appareil permet de rester deux heures dans une atmosphère irrespirable…

Hélas ! Cette suprême tentative fut inutile ; après une longue attente, où l’angoisse de la foule atteignit son apogée, les courageux sauveteurs remontèrent, maudissant, les larmes aux yeux, leur impuissance contre l’effroyable étendue de la catastrophe. Bien plus, devant le danger croissant d’exposer de nouvelles existences humaines, sans espoir sérieux d’opérer des sauvetages, les ingénieurs décidèrent d’arrêter complètement les travaux et de renverser le sens du courant d’air, puis de bouclier de puits, afin d’éviter une nouvelle explosion, le principe étant admis que tout espoir de retrouver âme qui vive était perdu.

Quant au bilan de cette hécatombe sociale qui suscita un si magnifique élan de solidarité ouvrière dans le monde prolétarien tout entier et un esprit de sacrifies international si exemplaire de la part des sauveteurs si