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responsabilité de rembourser dans quelques mois. » « Oui ! Oui ! S’écrièrent de nouveau les femmes, nous les voterons ». Et elles étaient levées ; elles agitaient leurs mouchoirs qu’elles avaient tirées pour essuyer leurs larmes. — Et vous, camarades, vous avez permis aux verriers d’édifier leur usine, cette usine dont chaque pierre fut arrosée de leurs sueurs. Voulez-vous donc que, dans cette usine montée par la classe ouvrière tout entière, un nouveau patron exploite encore vos frères ? — Non, non ! — Alors, comme les citoyennes, vous voterez l’emprunt, et les verriers ne seront exploités par personne. — Oui, oui ! S’écrièrent les hommes…

La partie était gagnée. Depuis le début de la séance, les militants faisaient circuler une liste où ils s’engageaient à abandonner leur action de 100 francs si la Verrerie ouvrière ne pouvait plus rembourser. Trois cents déjà avaient signé. La solidarité se manifestait.

Après Hamelin, des adversaires voulurent parler. — Signez la liste, criaient les femmes. — Engagez-vous ! Vous aurez ainsi une garantie ! Et s’ils ne signaient pas, elles les traitaient d’affameurs.

Au vote, il n’y eut que 50 opposants.

Une dépêche, envoyée à Albi, annonça la bonne nouvelle. Puis, Hamelin partit lui-même. « Courage, dit-il, en arrivant, aux verrier courage ! Je vous apporte les étrennes des travailleurs parisiens ! Au travail ! » Et, quand la première masse de verre en fusion sortit du four, les verriers tendirent leur canne à Hamelin : « À vous l’honneur, camarade Hamelin ! », lui dirent ils. Il souffla la première bouteille au milieu des vivats, car si cette bouteille ne fut pas parfaitement soufflée par cet ouvrier typographe, c’est l’artisan de la solidarité que l’on honorait.


J’ai parlé des cordonniers de Fougères, des verriers d’Albi, mais je n’ai point parlé des mineurs. Dans la vie tragique des travailleurs, ceux-là, comme les pêcheurs et les marins, sont en perpétuel danger.

Parlons de l’épouvantable catastrophe de Courrières, dont les détails terrifiants sont encore dans toutes les mémoires. On ne s’intéresse à ces malheureux que dans les époques, trop nombreuses, hélas ! où, pour gagner leur vie, ils subissent une catastrophe qui les tue par centaines. On pense encore à eux quand ils réclament un meilleur sort, quand ils menacent de se mettre en grève. Les causes de leur agitation ne sont jamais bien connues du public. Une presse bien stylée par les arguments persuasifs du gros patronat minier sait mettre les choses au point pour exaspérer les lecteurs qui, stupidement, jugent, comme le leur dit le journal qu’ils lisent et sont d’accord pour trouver exagérées, abusives, les incessantes revendications des mineurs. Pour un peu, le public, au crâne inlassablement bourré, s’apitoierait sur les patrons, les compagnies minières, les actionnaires de ces compagnies, victimes des exigences répétées des ouvriers mineurs. Il n’y pas ici, à mettre les lecteurs au courant de la vie infernale du mineur. On connaît le travail ingrat, pénible qu’est celui d’extraire du charbon des profondeurs de la terre, pour un salaire qui est mesuré savamment de façon à entretenir la misère et l’abrutissement du malheur.

Pour rester dans la question qui nous occupe ici, ne parlons que de la fameuse catastrophe, qui ne fut pas la première, ni la dernière dans le martyrologe des exploités, et qui va nous fournir un exemple encore de la solidarité ouvrière qui n’a rien de semblable à celle dont l’histoire nous a fourni les détails lors de la catastrophe du Bazar de la Charité, quelques années avant, à Paris, dans la belle société où les hommes, autant affolés que les femmes, assommaient celles-ci à coups de poing, à coups de canne pour sauver leur vie d’inutiles parasites. Les actes de courage accomplis en cette catastrophe du Bazar de la Charité en flammes furent accomplis par des ouvriers du voisinage, par

des pompiers et autres modestes sauveteurs professionnels ou de hasard. La solidarité est une chose inconnue aux âmes charitables qui se font une fête de donner libre cours à leur orgueil et à leur vanité, en faisant périodiquement du bien aux pauvres pour mériter le ciel.

Donc, c’est le 10 mars 1905, un samedi, dans la matinée, qu’arriva aux oreilles de tous les habitants des cités ouvrières. De la région de Lens, une affolante nouvelle, clamée par une voix mystérieuse comme celle du destin et terrorisante comme les grondements du Vésuve, de l’Etna ou du Stromboli : « Le grisou vient d’éclater à la fosse N°4 des mines de Courrières, la mine est en feu, il y a des centaines de victimes ! » En un instant, court comme la durée d’un éclair, des femmes affolées, hurlantes, s’échappèrent de leurs demeures et coururent jusqu’à la fosse, traînant après elles des enfants en bas âge qui pleuraient d’instinct, parce qu’ils voyaient pleurer leurs mères, tout à l’heure encore pleines d’insouciante gaîté ! Chacune se sentait frappée par le fléau, bien qu’elle en ignorât l’étendue et, dans chaque famille, on se demandait si le père, le fils ou le frère n’était pas parmi les victimes. Plus on s’approchait du sinistre lieu, plus le désespoir et le deuil éclataient violemment. Des épouses, des mères se roulaient, en proie à des attaques de nerfs. D’autres étaient emportées, évanouies, dans les cabarets voisins. D’autres, enfin, laissaient échapper des paroles incohérentes entrecoupées d’un de ces éclats de rire stridents, signes précurseurs de la folie !

Pendant ce temps, les médecins de la compagnie et ceux des environs, arrivés à la première alerte, attendaient les victimes à l’orifice du puits pour leur prodiguer leurs soins. En effet, les secours avaient été organisés de suite : toutes les autorités de la mine et celles des municipalités rivalisaient de zèle avec les houilleurs des autres fosses pour essayer d’arracher, à la mort leurs compagnons de travail. Instinctivement, chacun d’eux se sentait menacé d’un pareil sort et que, le lendemain peut-être, il aurait, à son tour, besoin d’un même dévouement ! Aussi tous se disputaient le périlleux honneur de descendre dans la mine en feu, tandis que, autour d’eux, sur le carreau de la fosse, petit à petit, la masse des curieux s’en venait, grossissant de plus en plus. Imaginez une foule have, aux traits contractés, les yeux baignés de larmes, ne parlant pas, ou seulement très bas, comme on le fait dans la chambre d’un mourant… Imaginez cette foule de 2.000 personnes au moins, massée à deux pas des barrages formés par des gendarmes à cheval en faction devant le puits, sous le ciel gris, dans la boue noire !… Il y avait là, beaucoup de femmes, des vieilles courbées par l’âge et les privations, des jeunes, portant un, quelquefois deux bébés, presque des nouveaux-nés et déjà graves ; des hommes, casqués de cuir, au visage terreux, impassibles, comme pétrifiés, semblant avoir perdu toute notion des choses existantes. Le carreau, avec son trou béant, noir comme un four, d’où il paraissait s’échapper des odeurs de cadavres, les hypnotisait. Et toute la nuit ils restèrent là, avec des alternatives d’espoir et de désillusion. En parcourant les salles où, dans les toiles blanches gisaient des morts, voire même des lambeaux de mort, on pouvait remarquer ici un vaillant sauveteur, blême, inerte sur un matelas, qui était descendu à l’annonce du sinistre, à la recherche des victimes et qu’on avait remonté peu à peu, asphyxié aux trois-quarts. Là, un galibot, c’est-à-dire un gamin de 14 ans, à prendre place à côté de ces camarades, frappés comme lui, pour dormir à jamais, dans les ténèbres. À tout moment, on apportait de nouveaux corps en lambeaux, des troncs noircis et déformés, des membres brisés, des crânes défoncés, des visages tuméfiés, sur lesquels la mémoire la plus fidèle