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SOL
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possession de la richesse foncière confère, à celui qui la détient, un véritable monopole présidant à l’attribution du travail aux individus puisque le travail ne peut s’exercer que sur ou dans le sol. Inévitablement, ceux qui détiennent le sol commandent ceux qui en sont privés. Dès lors, logiquement, l’entrée du sol au domaine commun apparaît comme une nécessité sociale pour l’instauration d’un régime de liberté individuelle et de bien-être social. En n’attachant pas au sol toute la valeur sociale qu’il comporte, permettant de mettre chaque chose à sa place et à la place qui lui convient, on consacre, dans l’équivoque, la contradiction des intérêts à l’avantage de la féodalité financière.

C’est l’ignorance de la valeur sociale qui s’attache au sol qui permet, pendant les périodes électorales où les… élites… de la politique sont en rapport plus ou moins direct avec les masses laborieuses, de camoufler la question foncière dans ses rapports avec l’attribution des produits du travail aux individus. Si, en 1930, nous lisons les programmes politiques des candidats, qui vont du rose pâle au rouge vif, nous remarquerons un silence volontaire sur la question du sol ; ce qui prouve que c’est en dehors des politiciens de toutes nuances que la question du sol peut et doit être étudiée sérieusement.

Les militants devraient enseigner, s’ils n’étaient des ignorants…, que l’entrée du sol à la propriété collective est créatrice de bien-être général, génératrice de liberté et dispensatrice de la souveraineté du travail.

L’entrée du sol au domaine commun répond aux idées de justice, de liberté et de bien-être que les travailleurs désirent appliquer dans les rapports des hommes entre eux. Aussi, tant que le sol est aliénable, il est logiquement impossible de libérer le travail de l’emprise du capital, et, quelles que soient les réformes plus ou moins tapageuses de l’époque d’ignorance, les résultats ne tardent pas à devenir, avec le développement des intelligences et des nouveaux besoins qui en naissent, moins supportables que par le passé.

Tout retard, volontaire ou non, à la solution de la question du sol, qui dépasse et domine toute question agraire, minière, forestière, etc… retarde d’autant la libération des opprimés et des travailleurs. La tactique du silence sur la question du sol compromet l’avenir du socialisme et de la liberté.


D’une manière générale, le socialisme souffre d’une crise d’indétermination qui place le futur régime sous le signe de l’équivoque en donnant à certains termes d’économie sociale un sens plus ou moins rationnel. Pour les uns, le socialisme paraît être le bien-être qu’une production intensifiée peut procurer à la collectivité à des conditions définies. Pour d’autres, dont nous sommes, le socialisme est l’application de la justice à la société. Par l’application de la justice, chacun devient l’artisan de sa fortune et de sa destinée que l’égalité du point de départ permet de réaliser. De nouveaux cieux, une nouvelle terre où la justice règnera seront le domaine social sur lequel chacun recevra selon ses œuvres. Une éducation morale généralisée et une organisation rationnelle de la propriété faciliteront la jouissance d’un pareil régime qu’une phraséologie trop élastique ne saurait définir.

C’est, parce que certains mots comme le mot sol et certaines expressions comme instruments de travail et moyens de production sont mal déterminés qu’il y a, selon les besoins politiques, des propositions confuses, parfois contradictoires, dans la confection des programmes plus ou moins teintés de socialisme. Comment se reconnaître dans ces labyrinthes de la cacophonie, que l’on dirait établis à dessein ?…

Ainsi, à propos du mot sol qui nous préoccupe, cer-

tains économistes, et même des socialistes, croient nécessaire d’ajouter au mot sol celui de sous-sol. Ces personnes se sont-elles demandé s’il était possible d’établir une limite réelle entre ce qu’on appelle sol et sous-sol ? Poser la question c’est la résoudre par la négative. D’autres prétendent que les récoltes, les engrais, etc., tant qu’ils font corps avec la richesse foncière ne font pas partie du sol ; d’autres enfin n’admettent pas la richesse immobilière comme étant du sol amélioré par construction, tout comme l’est un champ de blé, ou de fourrage par le travail se rapportant à la production du champ. Socialement, c’est inutile, même dangereux de s’en remettre à des détails d’exposition.

A notre époque d’industrialisme intensif, tout le sol a été, à divers degrés, plus ou moins amélioré et, socialement, il est impossible d’établir une règle pour indiquer le degré d’amélioration qui classe le champ dans une catégorie quelconque et qui, finalement doit entrer au domaine commun. L’entrée du sol à la propriété collective est indispensable à notre époque de nécessité sociale, pour établir le socialisme à l’avantage de tous. Il est inutile et superflu d’épiloguer sur des apparences et des illusions.

En nous intéressant à la question du sol qui représente le point cardinal de l’ordre socialiste, retenons que le sol n’est pas à proprement parler, un moyen de production, un instrument de travail ; il est plus et mieux socialement parlant. Le sol est la matière absolument première, il est le fonds d’où le travail extrait, avec ou sans instrument, toutes les richesses nécessaires à l’entretien et au développement de l’Humanité.

Des explications qui précèdent il résulte que le sol se manifeste à l’intelligence que les préjugés n’ont pas atrophiée, sous le caractère de l’indispensabilité. De son organisation, dans le domaine des propriétés, dépendent la liberté ou l’esclavage du travail, le bien-être ou la misère des travailleurs. Ainsi, la confusion de la richesse foncière — sol — avec la richesse mobilière — capitaux — est, dit Colins, une escobarderie de l’Économie Politique destinée à confondre l’illusion et la réalité, l’utile et le nécessaire, afin de maintenir l’esclavage du travail et la domination du capital. C’est un tour d’escamotage économique habilement exécuté au profit du capital. A notre époque, s’intéresser à la question sociale, œuvrer en faveur du socialisme, et confondre le sol avec richesse naturelle, incréée par le travail, avec le capital, richesse mobilière, qui n’est et ne peut être que le résultat du travail, c’est vouloir, le sachant ou non, que le paupérisme reste indestructible, c’est vouloir perpétuer les révolutions, c’est vouloir la mort de la société par le désordre. La nécessité sociale forcera bien un jour, plus ou moins prochain, notre pauvre humanité à ouvrir les yeux et à s’orienter vers la connaissance du bien avec la volonté de le réaliser.

Si l’humanité réfléchissait à la question de l’appartenance des richesses, elle verrait que celles-ci s’approprient par le travail, soit au critérium de la force, soit au critérium de la raison. Remarquons, dans cet ordre d’appropriation des richesses, que l’appropriation individuelle du sol est possible tant que le droit de la force est le seul connu socialement. Alors cette appropriation est de nécessité sociale puisqu’elle est la seule qui offre une sécurité relative à l’ignorance économique de l’époque. Mais pour cette période, et quelle qu’en soit la durée, la privation du sol, pour la plus grande partie des travailleurs, fait que l’offre du travail, malgré tous les progrès possibles, est toujours au minimum des circonstances et tient les travailleurs en état d’esclavage économique. Ceux-ci ne reçoivent pas