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toutes leurs qualités : d’intelligents, ils deviennent stupides, de pacifiques, guerriers. La vie sociale est le dépotoir où viennent échouer tous les égoïsmes, tous les reniements. Il semble que les hommes ne cherchent à se réunir qu’afin de mettre en commun leur bêtise. On m’objectera que si les individus n’étaient pas eux-mêmes tarés, la société ne serait pas tarée : je conviens qu’il y a des individus — la majorité — qui sont faits pour vivre en société : ils ont tout ce qu’il faut pour cela, hypocrisie, dissimulation, autoritarisme, sauvagerie. Ce sont des individus peu individualistes. C’est parce qu’il y a dans la société de ces faux individualistes, en nombre considérable, qu’elle est si imparfaite. La société leur permet de développer tout leur talent, de donner libre cours à toutes leurs passions. D’autres, moins barbares, finissent par le devenir, à leur contact, par faiblesse ou inexpérience. Ils suivent et font comme tout le monde. Évidemment, ces individus sont peu intéressants, et si la société est mauvaise, ils y sont bien pour quelque chose. Cependant, répétons-le, celle-ci ne fait que développer et porter à leur maximum leurs mauvais instincts ; elle les multiplie : la société est le terrain où germent tous les égoïsmes. Bien peu d’individus ont l’héroïsme de combattre les milieux dont ils font partie. Ils s’en évadent, comme d’une galère. Ce sont des rescapés. Individus et sociétés sont au fond également coupables : une somme de lâchetés individuelles, rendues plus nuisibles par leur association, telle est la société, dans sa triste réalité. Ces lâchetés individuelles s’additionnent pour former une force redoutable. Quiconque essaie de la briser est lui-même brisé. La société exerce une telle sujétion sur les individus que, même dans les « milieux libres », elle continue d’exercer ses ravages, ces fameux milieux libres qui devaient révolutionner le monde, et qui n’ont rien révolutionné du tout. Les colonies libertaires n’ont point réussi à réaliser cette société idéale que nous rêvons. Elles en sont même fort loin. Les individus qui en font partie n’ont point laissé à la porte leurs habitudes sociales. Peu à peu, ces milieux deviennent pareils aux autres : ils sont, ces milieux, de plus en plus réduits, les individus n’ayant pas fait l’effort nécessaire pour se réformer. Il importe de rendre inutile, par notre organisation intérieure, toute organisation extérieure dont le rôle consiste à brimer les individus qui sont assez eux-mêmes pour se révolter contre ses lois. — Gérard de Lacaze-Duthiers.


SOL n. m. Dans le concert économique des nations, habilement organisé, pour entretenir une illusoire harmonie qui cache, plus ou moins bien, l’exploitation des masses laborieuses, la question du sol joue un rôle prépondérant. Cette question, si importante soit-elle, est toujours grignotée sous divers aspects par les élites… qui laissent le monde travailleur dans l’ignorance sur ce sujet capital. Les politiciens de toutes nuances évitent soigneusement d’exposer aux travailleurs que la propriété individuelle représentant le fruit du travail et de l’intelligence, est conditionnée par le mode d’appropriation du sol.

Nous allons essayer d’expliquer que la question du sol ou foncière, rationnellement définie, permet de se rendre compte de la liberté ou de l’esclavage du travail.

L’organisation rationnelle de la propriété immobilière est, non seulement d’ordre économique mais aussi d’ordre moral, c’est-à-dire de justice sociale. Sans nous étendre, comme on pourrait le faire dans un livre, nous pensons que le lecteur comprendra qu’il serait vain d’émettre l’idée de laisser à chacun le produit intégral de ses efforts, tant que le sol (ou richesse foncière immobilière) ne sera pas entré au domaine social ou commun. Nous nous résumerons en disant que l’entrée du sol à la propriété collective est la condition sine qua non de l’établissement de la souveraineté du travail. Ce que nous dirons par la suite aura pour but de

mieux aider à comprendre la portée de justice sociale qui s’attache à la question du sol.

Il y a, de par le monde, des faits et des vérités qui, par eux-mêmes, paraissent, dans leur ensemble, si évidents à tous, qu’il semble inutile d’en fournir quelques explications. Parmi les nombreux phénomènes sur lesquels on paraît renseigné, celui du sol n’est pas le mieux déterminé dans le domaine de l’opinion. Nous allons essayer de le démontrer en tenant compte de l’expérience, de l’observation et du raisonnement qui se rapportent à la question foncière dans le cycle des époques parcourues du début de l’histoire à ce jour.

En sociologie, qui est le point de vue sur lequel nous nous plaçons, le mot sol représente la richesse foncière immobilière sous ses divers aspects. C’est une des deux principales espèces de richesse : les capitaux, la richesse mobilière étant l’autre. De l’utilisation plus ou moins rationnelle de ces richesses, la société vit en harmonie ou dans le désordre.

Le sol qui est, comme nous le verrons, essentiellement distinct du capital, de la richesse mobilière, représente une force productrice mécanique comme source passive des richesses. D’autre part, le travail, qui est le raisonnement en action et devient force productrice consciente, représente la source active des capitaux, de la richesse mobilière.

De l’organisation des richesses que nous venons de définir, et tout particulièrement de la richesse foncière (sol), dépendent l’ordre social et le bonheur domestique ou l’esclavage des masses laborieuses.

Sans le sol, l’homme n’existerait pas ; et, socialement parlant, sans l’homme, le sol serait comme s’il n’existait pas. L’histoire sociale n’existe que pour l’homme et ne saurait intéresser les autres êtres qui, sous ce rapport, n’apportent directement aucune contribution. L’homme seul sait qu’il existe, il en a conscience. Dès lors, il examine, compare, apprécie ; de sorte que le raisonnement lui explique que, dans l’Univers, il y a des choses nécessaires à la vie et au développement social, comme il sait qu’il y en a d’autres qui sont, suivant les cas, et les circonstances, plus ou moins utiles au développement des sociétés. Cette remarque amène à comprendre que : confondre ces deux espèces de richesses — sol et capitaux — sous le seul nom de propriété dans l’attribution des richesses aux individus, c’est employer un langage inexact et dangereux qui conduit aux abus de l’organisation sociale actuelle.

Dans l’étude du Problème Social, si l’on veut éviter les équivoques, toujours dangereuses et souvent nuisibles, il convient de situer scientifiquement les rôles respectifs du sol et du capital dans la formation des richesses.

Se refuser de connaître la différence essentielle qu’il y a, dans l’ordre des richesses, entre l’indispensable et l’utile, c’est, le sachant ou l’ignorant, faire le jeu de la bourgeoisie et retarder d’autant l’heure de la libération du travail.

Afin de bien comprendre les données du Problème social, remarquons que l’homme, le travailleur, au moyen de l’usage de la richesse foncière, du sol, crée, par ses efforts, des richesses, des produits, enfin des capitaux selon les besoins qu’il en a ; alors que ce même travailleur reste impuissant pour créer le sol. N’oublions pas que la richesse foncière a des limites que les sciences au service du travail ne permettent pas de dépasser, et nous comprendrons que l’homme qui n’a pas droit à l’usage du sol se trouve placé dans le vide des richesses, comme dit Colins.

Des vérités qui précèdent, il résulte qu’il est de toute impossibilité de pouvoir ajouter la moindre étendue à la surface ou à la profondeur du sol. Par contre, la