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que le plus grand profit, celle-ci aura pour fin le plus grand bien-être.

La propriété sociale proscrira la notion de surtravail et de profit. Elle réalisera, pour la première fois, la synergie sociale, en coordonnant, d’après un plan, et en harmonisant la production et la distribution des richesses. Elle n’éliminera pas seulement les déséquilibres et les crises provenant de la surproduction et de la sous-consommation ; elle abolira pour toujours la division de la société en classes et, avec les classes tant exploiteuses qu’exploitées, les antagonismes et les luttes qu’elles engendrent mécaniquement. L’État, dans cette société d’égaux, perdra sa raison d’être. Au « gouvernement des hommes » sera substituée « l’administration des choses ». A la place des États armés et des patries hostiles, s’organiseront, par dessus les frontières, de libres fédérations de producteurs, d’échangistes et de consommateurs. Ainsi sera fermée l’ère des révolutions violentes. Ainsi la société sera, de fond en comble, transformée. Ainsi s’achèvera le cycle commencé par le capitalisme lui-même, qui, en socialisant le mode de production, a frayé la voie à la socialisation de la propriété. [Le mode de production est social — mais dans une certaine mesure seulement — parce qu’il implique des combinaisons de capitaux et de capitalistes (sociétés par actions, trusts, cartels), ainsi qu’une organisation de travail faisant coopérer des centaines et parfois des milliers de travailleurs.]


Voies et moyens. — Tel est le but final que vise le socialisme. Il reste à dire par quel moyen il se propose d’atteindre ce but essentiellement révolutionnaire.

La socialisation de la propriété capitaliste n’est pas plus, en effet, une « réforme » sociale, que le passage de la forme monarchique à la forme républicaine n’est une « réforme » politique. C’est un énorme transfert de propriété ; c’est une expropriation colossale qui lésera les « droits » de toute une classe, et justement de la classe la plus puissante, sinon la plus nombreuse. Même s’il était possible d’y procéder sans coup férir, cette expropriation de la classe possédante n’en serait pas moins un acte révolutionnaire, impliquant une rupture décisive avec la légalité qui ne prévoit nullement l’expropriation de toute une classe.

Mais rien, ni l’expérience du passé, ni ce qu’on sait des dispositions de la bourgeoisie, ne permet de supposer que celle-ci se laissera exproprier sans coup férir. Il faudra, avant de la priver de ses biens, la réduire à l’impuissance, et pour cela la chasser du pouvoir, s’emparer de celui-ci et, délibérément, le tourner contre elle.

« La conquête du pouvoir politique est devenue — Marx le disait dès 1864 — le premier devoir de la classe ouvrière. »

La question est de savoir comment conquérir le pouvoir ? Guesde avait coutume de répondre : Par tous les moyens, y compris la légalité.

L’insurrection armée est un moyen. La grève générale en est un autre. Le bulletin de vote un troisième.

Quelque moyen qu’on préconise, tous supposent une sorte de mobilisation de la classe exploitée contre la classe exploiteuse, et par conséquent l’organisation politique et économique du prolétariat en parti de classe. Tous supposent l’existence de syndicats — ces « écoles primaires du socialisme » (Marx) — et de partis groupant les travailleurs les plus conscients du but final, les plus actifs, les plus résolus.

Partis et syndicats sont les instruments essentiels de la conquête socialiste du pouvoir. Tous les socialistes sont d’accord là-dessus. Où les opinions diffèrent, c’est sur le point de savoir si la conquête du pouvoir s’opérera par la force ou dans la légalité, par l’action révolutionnaire ou par l’action électorale.

Une discussion sur ce point de tactique nous entraî-

nerait trop loin. Bornons-nous à signaler que l’action révolutionnaire (sous la forme d’une insurrection armée, précédée ou accompagnée d’une grève générale) n’apparaît possible que lorsque la situation est elle-même devenue révolutionnaire et qu’elle n’a d’ailleurs des chances de triompher que si la défection des forces régulières qui lui sont opposées laisse le gouvernement désarmé.

D’autre part, la tactique légalitaire, préconisée par les réformistes et qui consiste à conquérir siège à siège la majorité dans l’une des Chambres, celle du suffrage universel, est terriblement lente et décevante. A supposer qu’un gouvernement socialiste parvienne jamais à se former dans ces conditions, il aurait contre lui tous les corps constitués : Sénat, « bureaux », diplomatie, magistrature, Église, armée ; il aurait contre lui la presse ; il aurait surtout contre lui grande industrie, grande propriété, haute banque, tous les pouvoirs réels de la vieille société. Comment briser cette coalition formidable sans sortir de la légalité, sans faire appel à l’action directe des masses, c’est-à-dire, qu’on le veuille ou non, à la révolution ? Aucun des gouvernements socialistes qui ont paru depuis la guerre n’a osé cela ; tous se sont évertués à éviter le conflit, en rassurant la bourgeoisie. Mais aussi, aucune grande réalisation socialiste — ni en Angleterre [ « Si vous entendez que je vais détruire notre situation économique par une législation radicale, non ! Je veillerai à protéger les droits du travail, mais, d’un autre côté, les droits du capital seront également protégés » (Interview de Mac Donald, Colliers’s Weelrly, New-York, avril 1924)], ni en Suède, ni au Danemark — ne s’est attachée à leur nom. Ils n’ont fait que démontrer, une fois de plus, que la démocratie n’est pas le socialisme. Le socialisme ne commence qu’avec la socialisation.

Ainsi donc, l’action révolutionnaire n’est possible que si la « situation » est elle-même révolutionnaire. Quant à la tactique légalitaire, elle peut bien conduire, théoriquement, jusqu’à « l’exercice du pouvoir » (selon le mot de Blum) ; elle ne conduira au socialisme qu’à la condition de sortir de la légalité pour entrer dans la révolution.

Quelque détour que l’on prenne, on en revient toujours à la nécessité révolutionnaire.

Mais la révolution — c’est-à-dire la conquête révolutionnaire du pouvoir — n’est pas à tout moment possible et le prolétariat socialiste doit savoir choisir l’heure où la bourgeoisie est en état de plus grand désarroi et de moindre résistance. Elle le fut au lendemain de la guerre ; elle peut le redevenir demain. La vieille société est, aujourd’hui, en pleine crise. En vain le fascisme essaie-t-il de surmonter par la violence les contradictions qui la minent. Il ne pourra que retarder l’effondrement final. La crise, en l’atteignant à son tour, précipitera sa chute. Au surplus, la lutte contre le fascisme, là où il a triomphé, ne peut-elle être qu’une lutte révolutionnaire dont le pouvoir est l’enjeu. Fascisme ou socialisme, bourgeoisie ou prolétariat, tel est le dilemme. Car le fascisme abattu et le pouvoir conquis, le prolétariat ne se bornera pas à rétablir les libertés démocratiques : il ira jusqu’au bout, jusqu’au socialisme.

La lutte contre le fascisme, dernier rempart de la bourgeoisie, vise bien au-delà du fascisme : elle ne peut avoir pour terme que la conquête du pouvoir et la réalisation du socialisme.


Voilà donc le pouvoir conquis. La révolution ne fait que commencer. — Maître des leviers de commande, le prolétariat en usera d’abord pour prévenir la contre-révolution. Le pouvoir n’a servi, jusqu’ici, qu’à maintenir dans l’exploitation les classes non capitalistes ; il servira à empêcher le retour offensif des anciens exploiteurs. Il les mettra, jusqu’à nouvel ordre, hors de