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lisent. Alors naît la lutte politique, — lutte de classe pour la conquête du pouvoir et le renversement de la bourgeoisie.

Comment le mouvement de la classe ouvrière tend au communisme, tend à réaliser l’idéal communiste d’une société sans classes, c’est le sujet qu’aborde alors le Manifeste. Le communisme, qui n’est que l’expression idéologique la plus avancée du mouvement ouvrier, abolira non pas « la propriété », qui n’est qu’une abstraction, mais une forme historiquement donnée de la propriété, à savoir la propriété capitaliste qui sépare de plus en plus le travailleur de son instrument de travail. Le Manifeste s’attaque aux notions chères à la bourgeoisie : liberté, civilisation, droit, famille, patrie ; il délimite l’action des idées dans le développement historique et déclare avec force que le communisme rompra avec toutes les « idées » dont s’est nourri le passé. En fin de compte, les prolétaires doivent s’unir pour conquérir le pouvoir politique, liquider la propriété capitaliste et transformer la société.

Après avoir critiqué sévèrement tous les vieux systèmes socialistes, le Manifeste convie les communistes à s’unir à la classe ouvrière et à combattre pour ses buts. Puis il termine sur le mot d’ordre inoubliable : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

Le Manifeste avait été rédigé au nom d’une société internationale de prolétaires (allemands pour la plupart) : la Ligue des Communistes. Peu après, la révolution embrasait l’Europe (1848-49). Partout où les travailleurs tentèrent de s’emparer du pouvoir, ils furent écrasés. Louis Reybaud put écrire sa phrase célèbre : « Le socialisme est mort ; en parler, c’est prononcer son oraison funèbre. »

Quinze ans plus tard (1864), l’Internationale était fondée à Londres pour tâcher d’unir les prolétaires de tous les pays, Marx était l’un des fondateurs. Il en rédigea les statuts ; il en fut, d’un bout à l’autre, le cerveau.

La gloire de l’Association, ce sera d’avoir créé le mouvement socialiste moderne et d’en avoir fait un mouvement international. Elle ne put toutefois se maintenir que neuf ou dix ans. Il était sans doute quelque peu prématuré de vouloir aligner, sur un même front de lutte et de pensée, des classes ouvrières qui n’étaient pas soumises encore aux mêmes conditions de vie et d’exploitation.

Derrière le conflit Marx-Bakounine, il y avait le conflit entre ouvriers de la grande industrie et ouvriers de la petite. L’Internationale en fut très affaiblie. La défaite de la Commune, aux côtés de qui elle s’était rangée avec éclat, précipita sa disparition. Elle avait préparé le terrain pour les partis socialistes nationaux, dont le premier en date fut celui d’Allemagne (1875).

De l’union des partis socialistes sortira, en 1889, à Paris, la IIe Internationale.


Le Socialisme en France. — Après la Commune, le prolétariat, privé de ses chefs, fusillés, déportés ou proscrits, ne put que « se terrer dans ses syndicats » (le mot est de Vaillant). Il y subit l’influence des petits-bourgeois positivistes ou proudhoniens qui le confinèrent soigneusement dans les revendications professionnelles. Profitant de l’ébranlement de l’Ordre moral, il tient un premier Congrès à Paris (1876), puis un second à Lyon (1878). Le premier est purement corporatif et flétrit même la Commune ! Au second, quelques socialistes viennent affirmer la lutte de classe. Entre les deux, un homme était rentré d’exil. Il s’appelait Jules Guesde : il sera le levain qui fait lever la pâte. Son journal, l’Égalité, se proclame « collectiviste ».

A Marseille (octobre 1879), troisième congrès. Les collectivistes, unis aux anarchistes, écrasent les « syndicaux » et les coopérateurs. On glorifie la Commune et le drapeau ronge. Et, dépassant l’étape où s’était arrê-

tée l’Internationale, on vote non seulement la socialisation du sol, mais celle de tous les moyens de production : sous-sol, machines, matières premières.

Du congrès de Marseille sortit le parti socialiste, sous le nom de Parti ouvrier. Il était formé de six fédérations régionales, dont les deux plus actives furent celle du Centre (Paris), où dominaient les collectivistes modérés (Paul Brousse et ses amis du Prolétaire), et celle de l’Est (Lyon) aux mains des anarchistes (dont l’organe est le Révolté).

Le « Nouveau Parti », comme l’appelait Malon, fut en proie à des luttes intestines et dut subir, en deux ans, trois scissions (1880–82). Ces scissions eurent pour cause, toutes les trois, le programme électoral minimum élaboré par Guesde, Lafargue et Deville, et dont Marx avait rédigé lui-même les considérant collectivistes ( « chef-d’œuvre, a dit Engels, d’argumentation saisissante » ) :

1° Scission des syndicaux, qui trouvent le programme trop rouge ;

2° Scission des anarchistes, qui le trouvent trop pâle ;

3° Scission entre collectivistes révolutionnaires (guesdistes) et collectivistes modérés (possibilistes ou broussistes) : ces derniers voulaient rendre le programme facultatif ; les autres le voulaient obligatoire.

La tentative d’un parti ouvrier unique avait échoué. Syndicaux et anarchistes étaient partis. Les possibilistes prirent le nom de Fédération des Travailleurs socialistes, les guesdistes gardant jalousement celui de Parti ouvrier ( « Parti ouvrier français » ).

Quant aux anciens communards, rentrés après l’amnistie (1880), ils se tinrent en général à l’écart du Parti ouvrier. Les blanquistes (Vaillant, Eudes) créèrent le Comité révolutionnaire central (organe : Ni Dieu, ni Maître) ; les autres (Ch. Longuet, V. Jaclard, Theisz) l’éphémère Alliance républicaine socialiste, en coquetterie avec l’extrême-gauche radicale.

De 1882 à 1893, onze années d’intensif défrichement socialiste. Guesde parcourt la France. Le Parti ouvrier s’implante particulièrement dans les régions industrielles ; il se lie au mouvement syndical (Fédération nationale des syndicats, 1886). Le mot d’ordre des Trois-Huit (huit heures de travail, huit heures de loisir, huit heures de sommeil) est de lui ; de lui, la première ébauche des manifestations du Premier Mai. Il entretient des rapports cordiaux avec Engels, à Londres, et avec la social-démocratie allemande.

Si le Parti ouvrier progresse, la Fédération des travailleurs socialistes est, au contraire, en recul. Elle incline vers un socialisme municipal de plus en plus réformiste. En 1890, ses éléments de gauche (Allemane, Chabert, J.-B. Clément, Groussier, Dejeante) abandonnent Brousse pour fonder le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire. Le Parti allemaniste est nettement ouvrier et même ouvriériste ; il préconise le syndicalisme et la grève générale. Il se querelle souvent avec ses élus, auxquels il impose le mandat impératif.

Le Comité révolutionnaire central n’existe guère qu’à Paris, dans le Cher et l’Allier. Il sort du boulangisme épuré de ses éléments nationalistes. L’influence de Vaillant devient alors prépondérante. En 1898, le Comité prend le nom de Parti socialiste révolutionnaire.

Les élections de 1893 sont une victoire pour le socialisme. Un groupe d’union socialiste se forme à la Chambre. Plus de 50 élus, dont beaucoup ne relèvent d’aucun des partis précités, s’y font inscrire : seuls les allemanistes refusent d’y adhérer. En de retentissants discours, Guesde et Jaurès affirment l’idée socialiste. En 1896, à Saint-Mandé, discours de Millerand, énonçant un programme minimum, qui écarte aussitôt de l’Union socialiste (c’est là son unique mérite) nombre d’indésirables.