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lisme pour terme. Prolétariat et socialisme, s’appuyant l’un à l’autre, triompheront l’un par l’autre de la bourgeoisie et du capitalisme ;

Théorie de la production capitaliste. — Elle éclaire les dessous économiques de la société actuelle. Partant d’une notion de la valeur qui fonde celle-ci sur le travail, elle explique comment la bourgeoisie, détentrice des moyens de production et d’échange, s’enrichit du travail non payé (surtravail, plus-value, profit) qu’elle impose à la classe salariée ; comment l’accumulation du capital, c’est-à-dire de la plus-value, dans les mains de la minorité possédante creuse entre celle-ci et la majorité non-possédants un fossé de plus en plus infranchissable ; et comment, enfin, le Capital, qui est sorti de l’expropriation brutale ou lente de la masse des petits producteurs propriétaires, sera à son tour exproprié, non pas au profit de quelques-uns, mais au profit de la collectivité tout entière.

Par sa supériorité théorique évidente, le marxisme s’est peu à peu imposé au mouvement ouvrier dans tous les pays. Il a éliminé les théories plus ou moins utopiques qui prévalaient avant lui. Il a appris aux travailleurs la nécessité de l’organisation, la nécessité de la solidarité internationale, la nécessité de la. révolution, de cette révolution dont la conquête du pouvoir politique par le prolétariat sera la condition et le prélude.

Le socialisme est donc comme le prolongement pratique du marxisme doctrinal. Il est à ce dernier ce que l’action est à l’idée, ce que l’industrie est à la science.

I. — Aperçu historique. — Origine du Socialisme moderne. — De tout temps, la propriété privée a été discutée et de hardis penseurs, posant et résolvant le problème social dans l’abstrait, ont conclu à la supériorité du communisme. Rappelons Platon, Th. Morus, Campanella et, au XVIIIe siècle, les Mably, Morelly, Meslier, Godwin, etc… Le socialisme moderne ne provient pas de là. Il est sorti, par élaboration progressive, de la révolution industrielle et de la révolution politique qui se sont produites en Angleterre et en France, entre 1760 et 1848 (ces dates sont approximatives) et qui ont introduit un nouveau mode de production et de propriété (le capitalisme), ainsi qu’un nouveau mode de gouvernement (la démocratie) En même temps, elles donnaient le pouvoir à la classe capitaliste (bourgeoisie) et faisaient surgir une classe nouvelle, celle des ouvriers salariés (prolétariat).

Le prolétariat commence à s’affirmer en France dès la Révolution : il est de toutes les grandes « journées » ; avec les Enragés, il revendique l’égalité, c’est-à-dire l’abolition des classes, le droit des sans-propriété à la vie. Ce sont surtout ses revendications (et celles de la petite bourgeoisie) que Babeuf (1796–97) tentera d’exprimer.

La tradition babouviste se transmet, par Buonarroti, à Blanqui et aux sociétés secrètes d’avant 1848. Elle n’imprègne d’ailleurs qu’une mince couche de prolétaires. Le prolétariat, qui s’augmente sans cesse d’éléments nouveaux venus des campagnes, s’éveille à peine à la conscience. C’est (comme en Angleterre) dans les sociétés corporatives (d’ailleurs illégales) qu’il a tendance à se grouper ; c’est par des coalitions (durement réprimées) qu’il résiste, sans souci d’idéologie, aux empiétements de l’exploitation capitaliste.

Cependant les désordres issus de la grande industrie, les méfaits de la concurrence frappent l’attention de certains penseurs (Sismondi), dont quelques-uns vont s’élever jusqu’à la critique de l’ordre social nouveau (Saint-Simon, Fourier, en France ; R. Owen en Angleterre). Ils édifient dans le silence du cabinet des systèmes sociaux complets et forment des disciples enthousiastes. Leurs plans de reconstruction sont aujourd’hui oubliés, mais une partie de leurs observations critiques

et de leurs matériaux a passé dans le socialisme moderne (origine saint-simonienne de l’idée d’antagonisme des classe).

Dans le parti républicain d’après 1830, le régime capitaliste a de nombreux détracteurs qui, sachant parler au peuple, ont sur lui une grosse influence. Louis Blanc prêche l’organisation du travail (associations de production commanditées par l’État) ; Cabet va du républicanisme au communisme, qu’il entend réaliser par des colonies du genre de celle qu’il a décrite dans son fameux roman d’Icarie : communisme purement sentimental, idéaliste, pacifique. En Allemagne, le tailleur Weitling se rapproche des icariens français. En Angleterre, les chartistes réclament le suffrage universel, condition, selon eux, de la réforme sociale.

Enfin, il y a Proudhon. Ce fils d’ouvrier, cet ancien compagnon typographe a de hautes prétentions à la science. C’est surtout un pamphlétaire de haute allure, animé d’un puissant idéal moral, et souvent un magnifique écrivain. Il abhorre les utopistes, mais n’arrive pas à leur opposer un système et patauge dans des contradictions déconcertantes. Il est, avant tout, anti-capitaliste et anarchiste. Il flotte entre des audaces de révolutionnaire et des timidités de conservateur, entre l’individualisme et le socialisme, entre la classe ouvrière et la paysannerie, entre la politique et la morale. Son mutuellisme prétend aplanir les antagonismes sociaux, à concilier tous les intérêts, ceux de l’ouvrier et du patron, du vendeur et de l’acheteur, du créancier et. du débiteur. Cependant, peu avant de mourir, il annonce l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes, tout en persistant d’ailleurs à ne pas vouloir entendre parler de la conquête du pouvoir et en continuant d’aiguiller les travailleurs vers le corporatisme et la coopération a-politique.

A la veille de 1848, rien n’est encore au point. Les systèmes s’opposent aux systèmes, les écoles aux écoles. L’exploitation ouvrière est effrénée, le travail est à peine protégé. La masse travailleuse se défend comme elle peut, réclamant en vain le droit au travail, le droit syndical, le droit de grève. Parfois elle prend les armes, comme à Lyon (1831 et 1834). Les ouvriers les plus avancés forment l’aile gauche du parti républicain ou s’enfoncent dans les sociétés secrètes sans prise sur la masse. En Angleterre se développe un double mouvement : syndical (trade-unionisme) et politique (chartisme) : ce dernier s’éteindra bientôt.


Le « Manifeste Communiste » et l’Internationale. — La mise au point, la synthèse, c’est Marx et Engels qui les réaliseront avec le Manifeste communiste. Tous deux ont passé par la philosophie allemande, à laquelle ils doivent en partie leur conception de l’histoire, mais surtout ils ont étudié en détail la révolution industrielle anglaise, ainsi que l’économie politique, et ils se sont imprégnés de socialisme français. Le marxisme est le fruit de cette triple action.

Le Manifeste est, en quelque sorte, la déclaration de guerre du prolétariat à la bourgeoisie. Il décrit d’abord le mode de production capitaliste et en énumère les principaux effets : création d’un marché mondial, soumission des campagnes aux villes, colonisation des pays arriérés aux pays avancés, etc. ; mais le mode de production finit par entrer en conflit avec les formes de propriété trop étroites qui l’enserrent, d’où s’ensuivent la surproduction, les crises, le chômage, etc.

Vient ensuite l’exposé des conditions de travail et de vie faites aux prolétaires sous le régime capitaliste : salaires le plus bas possible, longues journées de travail, organisation quasi militaire de l’industrie, travail des femmes et des enfants. Le Manifeste évoque les premiers épisodes de la résistance ouvrière, les « coalitions » (grèves), où se façonne la solidarité prolétarienne : peu à peu les grèves s’élargissent, se centra-