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aurait paru pour la première fois dans la Réforme industrielle de Fourier (n° du 12 avril 1833) ; c) que le mot socialisation se rencontre dans le Globe saint-simonien (29 juin 1831), et dans le Journal des Sciences morales de Bauchez (7 octobre 1831).

La question en est là, mais ce dont on est sûr, c’est que le mot socialisme est, dès le début, appliqué à la doctrine de ceux qui, à partir de 1831, s’efforcent de substituer à la notion d’une réforme politique, d’un changement des formes gouvernementales, la notion d’une réforme sociale, affectant les bases mêmes de la société. Cependant son immense fortune ne date que du jour où Louis Reybaud publia ses bruyantes Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, — c’est-à-dire sur Saint-Simon, Fourier et Owen.

Ces réformateurs, Reybaud aurait pu les nommer communistes. Il ne l’a pas fait. Les mots communisme, communistes, s’appliquant aux systèmes et aux hommes qui nient le droit de propriété, existaient depuis des siècles. Mais ni Saint-Simon, ni Fourier, ni Owen ne voulaient abolir la propriété privée. Ils n’étaient pas communistes. Individualistes moins encore. La qualification de socialistes tranchait en quelque sorte la difficulté.

Longtemps on distingua le socialisme, pris dans cette acception restreinte, du communisme. Le premier ne faisait peur à personne ; le second était subversif et farouche. Aux environs de 1848, on appelait socialistes d’abord les sectateurs des divers systèmes utopiques, ensuite tous les marchands de panacées sociales qui voulaient supprimer la misère « sans faire le moindre mal au capital et au profit ». Tandis que les communistes réclamaient, au nom de la classe ouvrière, un bouleversement profond des conditions sociales : icariens en France, weitlingiens en Allemagne et en Suisse. « Le socialisme signifiait, en 1847, un mouvement bourgeois, le communisme un mouvement ouvrier. »

Puis les acceptions se brouillèrent. Les sectes disparues, le mot socialisme perdit son sens initial : on l’appliqua indifféremment à toute doctrine, tout mouvement, tendant à transformer l’ordre social. Toutefois, le socialisme comportait bien des variétés : il avait ses opportunistes et ses radicaux. Au sein de la première Internationale, les partisans du socialisme anti-autoritaire et fédéraliste de Bakounine, voulant se distinguer des communistes marxistes, prirent, un jour, le nom de collectivistes.

Mais le collectivisme, à son tour, devait changer de sens. Lorsque Guesde, vers 1880, l’adopta, ce fut pour en faire l’équivalent exact de communisme. Ce que voyant, les derniers collectivistes de l’Internationale, qui allaient devenir les premiers anarchistes (les Kropotkine, les Reclus), cessèrent de s’appeler collectivistes : ils prirent l’étiquette de communistes-anarchistes.

Dès lors, jusqu’à la Révolution russe, socialisme, communisme, collectivisme confondent pratiquement leurs acceptions. Socialisme prévaut dans la langue courante. La plupart des partis ouvriers qui se forment, après 1875, sur les ruines de l’Internationale s’intitulent socialistes ou démocrates-socialistes (social-démocrates). Communisme et collectivisme désignaient plutôt la forme de société à la réalisation de laquelle travaillaient les partis ouvriers. Socialisme s’entendait de préférence du mouvement, communisme et collectivisme du but final. Le pacte d’unité du 13 janvier 1905 disait, par exemple : « Le P.S., est un parti de classe qui a pour but de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste. » Mais quand, en mars 1919, les bolcheviks fondèrent la IIIe Internationale, ils lui donnèrent le nom d’Internationale communiste, et tous les partis affiliés durent s’intituler partis communistes. De nouveau, comme aux abords

de 1848, communisme et socialisme s’opposent, l’un avec une acception révolutionnaire, l’autre avec une acception plus ou moins teintée de réformisme.

Disons que noue n’acceptons pas cette acception purement formelle. Le socialisme, tel que nous l’entendons ici, est, comme le « communisme » lui-même à la fois révolutionnaire et réformiste. Révolutionnaire par le but et, à l’occasion, par les moyens ; réformiste parce qu’il voit dans la conquête d’un certain nombre de réformes à tendance socialiste un prétexte excellent pour agiter les esprits et mobiliser les masses. Le socialisme, tel que nous l’entendons, repousse donc bien haut les flétrissures dont le néo-communisme — qu’il serait plus séant d’appeler bolchevisme — ne cesse pas de le couvrir. Il est et restera, comme le Temps l’en accuse chaque jour avec la clairvoyance de la haine, un parti « essentiellement marxiste » de lutte de classe et de révolution. Les fautes et les erreurs que peuvent commettre tels ou tels socialistes en délicatesse avec leur parti, ne sauraient prévaloir contre la force de ce fait. Le socialisme, ce n’est ni « Montagnon » ni « Marquet » ; c’est une classe en marche vers le bien-être et vers la liberté. Montagnon et Marquet passeront ; le socialisme ne passera pas et sa réalisation, exigée par le développement historique, peut être considérée comme certaine.


Socialisme et Marxisme. — Ce qui précède indique que nous laisserons de côté tous les pseudo-socialismes qui ont paru depuis bientôt un siècle. Tous les doctrinaires qui, depuis 1848, ont critiqué le laisser faire et ses abus, ou fait appel à l’intervention de l’État. ou conclu à l’urgence de réformes sociales plus ou moins radicales, ont été qualifiés de socialistes. On a vu naître ainsi les socialismes les plus divers : les uns essentiellement conservateurs, comme le socialisme de la chaire, également dénommé socialisme d’État ; les autres à préoccupations religieuses, comme les socialismes chrétiens ; d’autres, enfin, comme le socialisme agraire, le socialisme municipal, le socialisme coopératif, n’étaient guère que des démembrements du socialisme traditionnel. Nous étudierons le socialisme sous la forme achevée — classique — que lui ont donnée, entre 1871 et 1914, les partis de la IIe Internationale et dont le bolchevisme lui-même n’a pas sensiblement modifié les grandes lignes. Nous passerons très vite sur les fondements théoriques du socialisme. Nous les avons étudiés, plus haut, au mot Marxisme. Le marxisme est constitué, avons-nous vu, par trois théories essentielles superposées :


Théorie matérialiste de l’histoire. — Elle peut se résumer ainsi : a) ce ne sont pas les idées que l’homme porte en lui qui « mènent le monde », mais des nécessités, d’abord économiques, auxquelles l’individu ni la société ne peuvent se soustraire, et qui le contraignent à produire incessamment pour vivre et à s’organiser pour produire davantage et mieux ; b) les « modes de production » déterminent la structure matérielle (entre autres la division en classes) et le développement intellectuel des sociétés : « Les lois de l’économie politique, dit de son côté Proudhon, sont les lois de l’histoire », (Création de l’Ordre, p. 308) ; c) l’antagonisme des classes joue, dans l’évolution historique, un rôle prépondérant : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes » (Marx et Engels) ;

Théorie de la révolution prolétarienne. — Le socialisme ne se réalisera pas nécessairement parce qu’il est juste, mais : a) parce que le mode de production capitaliste le contient pour ainsi dire en puissance ; b) parce qu’il est conforme à l’intérêt général des prolétaires, que la socialisation des moyens de production, seule, peut arracher à l’infériorité du salariat. La lutte du prolétariat contre le régime capitaliste a donc le socia-