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Échange. — Peut-être sera-t-il nécessaire, pour suppléer à ce que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de commerce et pour s’appliquer à réaliser dans un sens salutaire ce qui fut glorifié par la bourgeoisie dans son sens odieux et néfaste (le mercantilisme, l’accaparement, l’agio) d’établir, dans chaque commune, un comptoir d’échange. Cela fait partie du rouage économique. Il serait trop long d’expliquer en détail le mécanisme de l’échange, qui sera certainement une simplification honnête et claire du commerce actuel.

Par exemple, les associations de travailleurs, ainsi que les producteurs individuels (d’ailleurs très rares) déposeront leurs produits au comptoir d’échange établi dans chaque commune fédérée. Fixée d’avance par une convention entre fédérations corporatives régionales et les différentes communes, la valeur de ces divers produits aura été évaluée au moyen des données que fournira la statistique. Le comptoir d’échange remettra aux producteurs des bons d’échange représentant la valeur de leurs produits. Ces bons d’échange auront la faculté de circuler dans toute l’étendue du territoire de la fédération des communes.

C’est au comptoir d’échange que les travailleurs qui produisent, par leur travail, des choses non transportables, comme des édifices d’habitation, de plaisance ou d’utilité dans les rues, places, jardins, squares, parcs, etc., feront enregistrer leurs divers travaux estimés d’avance et ils en recevront la valeur en bons d’échange. Les travaux qui consistent en services rendus, en entretiens de choses diverses, en ornementations ou réparations de choses publiques seront également tarifiés d’avance et payés en bons d’échange.

Le comptoir d’échange a aussi pour fonction de recevoir des produits, de les échanger contre d’autres produits avec d’autres communes. (Ce ne sont, positivement, que des hypothèses).

Enfin, nos coopératives actuelles sont toutes désignées pour établir facilement le bon ordre dans cette branche de vitalité sociale. Et ceci rentre dans les rouages de l’harmonie qui existera entre la production, la consommation, la répartition, l’échange. Les grands magasins sont un exemple de possibilités de circulation des marchandises avec, en moins, la complication de faire des bénéfices malhonnêtes dont le producteur est d’abord la victime et le devient encore une fois comme consommateur, puisque, de toutes les façons, sous le régime actuel, reste terriblement vrai le jugement approfondi, mais irréfutable de Proudhon : « Le commerce, c’est le vol ». Le système d’échange ainsi compris n’est qu’une opinion émise sur ce qui se pourra faire après la Révolution pour la répartition des produits et l’évaluation du travail et sa rémunération par le comptoir d’échange. Mais il y a, sans doute, d’autres méthodes plus neuves et plus pratiques dont la société actuelle nous donne l’enseignement par ce qu’il faut imiter d’elle et surtout par ce qu’il faut ne pas imiter. La socialisation fera mieux.


Alimentation. — Ce que nous venons de dire de l’organisation du comptoir d’échange s’applique à tous les produits et particulièrement à ceux de l’alimentation. Mais, là encore, c’est la coopérative de consommation qui nous servira d’indication. On y est « à la page », dans la société actuelle, pour remédier à bien des choses scandaleuses inhérentes au petit et au gros commerce. À plus forte raison, l’action coopérative s’exercera-t-elle dans le milieu social transformé.

Si tous les producteurs avaient compris l’utilité, pour eux, d’être coopérateurs, comme ils ont à peu près compris la nécessité d’être syndicalistes, la coopération eût pu faire beaucoup plus et beaucoup mieux qu’elle n’a fait. Mais, les uns par négligence, par veulerie, ne se donnent pas la peine d’adhérer à ce qui est de leur intérêt immédiat. Ils dédaignent les arguments du mili-

tant coopérateur qui sollicite leur concours, leur initiative, leur solidarité et leur responsabilité ! C’est trop de faire par soi-même et pour soi-même. Il est plus facile de protester contre la vie chère et de compter sur ses candidats et sur ses élus, que de faire ses affaires soi-même. Cependant, il était de toute logique sociale de se défendre de l’exploiteur et de préparer sa disparition au syndicat et de s’affranchir des mercantis et des saboteurs d’aliments en devenant coopérateur. Le salariat est la dernière forme de l’esclavage, mais la mentalité d’esclave de beaucoup de travailleurs est bien la cause de sa durée. Le voleur commerçant peut continuer son métier, il est considéré, protégé et ceux qu’il vole et empoisonne continuent d’augmenter quand même sa clientèle plutôt que de s’associer avec d’autres volés pour faire venir directement du producteur la marchandise indispensable à sa vie et participer ainsi à la répartition à meilleur prix, à meilleure qualité, au contrôle et à l’avantage du consommateur coopérateur. De plus, c’est à la coopérative que se fait aussi l’enseignement et que s’acquiert l’expérience de l’administration des choses, si imparfaite que puisse être la coopérative de consommation. D’ailleurs, on est toujours mal venu de dire qu’une institution d’essence prolétarienne est mauvaise, quand, stupidement, on la dédaigne et qu’on ne fait rien pour contribuer à sa bonne marche, à son amélioration. Ce ne sont pas ceux-là qui favoriseront la révolution. Ils la subiront et en profiteront.

Toutes les denrées alimentaires : boulangerie, boucherie, fruits, légumes, boissons, denrées coloniales sont abandonnées à l’industrie privée et à la spéculation qui, par des fraudes et falsifications, s’enrichissent sans vergogne aux dépens du consommateur. La société nouvelle aura pour devoir de substituer à pareil état de choses le service communal public pour tout ce qui concerne la distribution des produits alimentaires de première nécessité, ou de laisser aux coopératives de consommation composées de travailleurs, sous une forme adéquate aux idées nouvelles, le soin d’organiser, selon les besoins sociaux nouveaux, la répartition équitable des marchandises en très bon état, en parfaite qualité, à tous les consommateurs, suivant la méthode admise par la commune.

Il est probable que la commune se dispensera de l’acquisition de certaines branches de la production proprement dite qu’il sera peut-être utile de laisser entre les mains de producteurs associés. En ce qui concerne le pain, la production consiste en la culture et la récolte du blé. Le laboureur qui a semé et récolté le grain l’apporte au comptoir d’échange : là s’arrête la fonction du producteur. Mais la réduction du blé en farine, puis la transformation de la farine en pain, ce n’est plus de la production : c’est un travail, c’est un métier, mais c’est un emploi, analogue à beaucoup d’autres, consistant à mettre un produit alimentaire : le blé, à la portée des consommateurs. Il en est de même pour la viande : le paysan élève et nourrit le bétail, puis, quand il l’a rendu propre à la consommation, il l’amène au comptoir d’échange. Le boucher fait le reste. Sa fonction est aussi analogue à celle, non pas d’un producteur, mais d’un intermédiaire entre le producteur et le consommateur. De même, encore pour le vin : le producteur est le vigneron qui l’apporte au comptoir d’échange, ensuite, ce ne sont plus des producteurs, mais des intermédiaires qui le préparent et le distribuent aux consommateurs.

Aussi, est-il logique de faire entrer ces diverses branches de l’alimentation dans les attributions de la commune. En conséquence, le blé, dans les magasins communaux, sera réduit en farine au moulin communal ou intercommunal, la farine transformée en pain dans les boulangeries communales et le pain livré par la commune aux consommateurs. De même pour la bouche-