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sans l’avouer, le plus adroit pasticheur musical. Il a fait de l’Haendel, du Mozart, du Gluck, du Berlioz, du Liszt, du Wagner, et aussi du Meyerbeer, mieux que tous ces musiciens, comme les Pierre Grassou font du Raphaël, du Rembrandt, du Watteau, du Corot, du Daumier et même du Bonnat, mieux que tous ces peintres.

En littérature, on tient le pastiche en haute estime comme étant, dit-on, le signe d’une culture étendue, d’un esprit critique aigu, d’une souplesse de pensée remarquable. Et il convient admirablement à notre époque, dit-on aussi, parce qu’il est « la forme la plus rapide et la plus portative de la critique ». (M. F. Gregh). Il n’est plus la peine de perdre son temps à lire les grands ouvrages pour se faire une opinion sur eux ; le pastiche les sert concentrés avec leurs qualités et leurs défauts comme un Liebig littéraire. Il y a, nous semble-t-il, contradiction entre les qualités nécessaires aux faiseurs du pastiche, entre les connaissances étendues qu’il réclame, la préparation studieuse qu’il demande, le travail de lecture et de réflexion qu’il impose, et cette critique rapide et portative qui correspond plutôt aux formes trépidantes, bruyantes et vides de la littérature actuelle aussi pressée de n’arriver nulle part que la justice de Méphistophélès : avion, paquebot, auto, cinéma, reportage, machine à écrire, télégraphe, téléphone, tous moyens qui ne s’accordent guère avec le travail de bibliothèque et de pensée tranquille que cette littérature laisse aux « poussahs » littéraires. Le pastiche est, au contraire, de notre temps, un anachronisme. Il est de vieille formation scolastique. On dut l’enseigner au moyen âge, et même avant dans l’antiquité, pour imiter autrui. Il a été l’apocryphe qui, sous le couvert de cette imitation, a servi à répandre tant de falsifications de la pensée, comme nous allons le voir. Aujourd’hui encore, on enseigne le pastiche dans les collèges, ce qui explique sans doute que tant de professeurs excellent dans ce genre. Mais ce n’est pas une des moindres incohérences de notre époque « rationalisée » que d’apprendre à des jeunes gens dont on fera des officiers, des ingénieurs, des banquiers, des commis voyageurs, à imiter Boileau écrivant à Racine au sujet de sa lettre sur les Hérésies imaginaires, ou Maucroix déconseillant La Fontaine de continuer sa tragédie d’Achille !… Quoi qu’on en puisse dire, le pastiche n’a pas de vie originale ; il est un signe des temps de la décadence littéraire, des époques où la pensée, apeurée devant les réalités, se réfugie dans les superfluités rhétoriciennes. Notre temps s’attache au pastiche comme le xviie siècle s’attacha au gongorisme. Comment les littérateurs auraient-ils une pensée originale, alors qu’ils ne comprennent pas le fait social, redoutent ses conséquences, et s’efforcent d’être hostiles à la marée montante, irrésistible, d’un monde nouveau qui les emportera avec toute la vieille scolastique usée, vidée, finie, pour ouvrir devant les hommes les voies de la vie ?

Le pastiche est inoffensif tant qu’il ne se présente que comme un amusement littéraire d’une intention avouée par son auteur. Mais beaucoup de pastiches sont des apocryphes dont les auteurs ne se sont pas fait connaître, dont le but, a dit Quérard, a été de tout temps « soit le charlatanisme, soit la mystification », et qui multiplient la confusion dans l’histoire. C’est. ainsi qu’on a imputé à des poètes célèbres des poèmes qu’ils n’ont jamais écrits. La Batrachomiomachie, attribuée faussement à Homère, le Du Culex et le Du Ciris, qu’on a mis au compte de Virgile, sont des apocryphes. Des Lettres de Thémistocle, de Phalaris, d’Apollonius de Tyane, des Fables d’Ésope, ont été composées par le moine Planudes. L’Église a fait un usage exagéré de l’apocryphe pour les besoins de son opportunisme, pour appuyer de prétendues autorités ses décisions contradictoires. Il y a ainsi de faux ouvrages des Pères de l’Église, de fausses décrétales des papes, de faux traités

des saints Ambroise, Athanase, Augustin, Bernard, une Histoire apostolique d’Abdias, un des soixante disciples de J. C. et premier évêque de Babylone, qui ont été fabriqués aux xve et xvie siècle. Erasme se plaignait, au xvie siècle, de ne posséder aucun texte des Pères de l’Église qui n’eût été falsifié. Les fraudes les plus grossières ont été inventées par des prélats et de simples moines. Eusèbe tenait pour authentique une lettre de J. C. à Abgar, roi d’Edesse ; en plein xixe siècle on répandait encore, dans les campagnes françaises, de prétendues lettres de J.C. !… D’autre part, les récits mythologiques sont pleins de soi-disant écrits d’Hermès, Horus, Orphée, Daphné, Linus et autres personnages légendaires n’ayant probablement jamais existé. L’écossais Mac Pherson inventa, au xviiie siècle, le barde Ossian qui fut un des héros du snobisme romantique. Sigonius publia, en 1583, un faux Cicéron, le Consolatio, que certains veulent encore tenir pour authentique. Il y eut de faux Pétrone, de faux Athénagore, de faux Catulle. On a vu depuis de faux La Fontaine, Sévigné, Corneille, Molière, Fénelon, Fléchier, Diderot, Condorcet, Walter Scott, Byron, etc., qui n’étaient que des pastiches, mais non avoués par leurs auteurs. Combien de ces choses fausses sont toujours tenues pour véridiques et continuent à faire autorité dans l’histoire littéraire et dans l’histoire tout court ! Si, de temps en temps, on découvre la mystification des lettres de Cléopâtre, de Marie-Madeleine, de Vercingétorix, de Clovis, fabriquées par un Lucas Vrin, ou d’une tiare de Staïtapharnés, ou de la peinture de Boronali, combien le plutarquisme (voir ce mot) ne se nourrit-il pas toujours d’ « apocryphités » dont personne ne conteste l’authenticité, et combien de fausses œuvres représentent l’histoire de l’art dans les musées !

Le pastiche, même quand il n’a pas les conséquences dangereuses de la mystification apocryphe et n’est que la forme élégante du plagiat, ne mérite pas plus d’estime. Il est le produit d’une société qui a peur de la pensée et s’efforce de se survivre dans la pérennité d’un passé momifié et périmé. — Edouard Rothen.


PLAISIR [et peine]. Éléments simples et fondamentaux de la vie affective, plaisir et peine sont impossibles à définir. Il serait d’ailleurs inutile de le faire, chacun sachant par expérience à quels états mentaux ces termes répondent. Perpétuellement, ils se mêlent et se succèdent dans la conscience ; entre ces deux pôles, la vie psychologique oscille sans arrêt. Trop diverses sont nos tendances pour que toutes puissent être satisfaites ou contrariées en même temps. C’est à une proportion entre les éléments agréables et douloureux, à une prédominance des uns sur les autres que se ramènent joies et souffrances. La blessure qui permettait au soldat d’échapper à l’existence du front, sans que sa vie soit en danger, sans qu’il soit privé d’un membre, lui occasionnait des douleurs physiques quelquefois vives ; elle remplissait, par contre, son esprit d’espoir consolateur. C’est une douce peine qu’éprouvent les amants, lorsqu’ils se font de tendres reproches ou qu’ils se séparent pour peu de temps. Poussé à l’extrême ou trop prolongé, le plaisir se transforme en souffrance : si belle que soit une mélodie, il est difficile de la tolérer pendant plus de deux heures ; des saveurs même agréables provoquent la nausée lorsqu’elles reviennent trop fréquemment ; et c’est à une vraie torture qu’aboutit le chatouillement.. En sens inverse, de pénible un état peut devenir agréable : saveur et odeur des narcotiques, de l’alcool, du tabac répugnent d’abord à certains qui, par l’effet de l’habitude, les jugeront délectables plus tard ; des exercices musculaires, douloureux à l’origine, seront générateurs de joies par la suite. « Il y a une espèce de douleur, écrivait Mme de Lespinasse, qui a un tel charme qu’on est tout prêt à préférer ce mal à ce qu’on appelle