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mandait, à Périandre pourquoi il n’accordait point, par une abdication, le repos à sa vieillesse inquiète. « C’est, répondit-il, qu’il est aussi dangereux de quitter volontairement le trône que d’en être renversé. »

Pittacus, tyran de Mytilène, semble, malgré les injures méritées dont l’accable le poète Alcée, avoir été moins inhumain que Périandre. Le hasard des combats ayant fait de l’injurieux Alcée son prisonnier, il lui rendit la liberté en disant : « Il est meilleur de pardonner que de punir. » Les sentences qu’on a conservées de lui sont, la plupart, de bons conseils d’arriviste : « Saisis l’occasion. » — « N’annonce pas ton projet ; s’il échoue on se moquerait de toi. » — « Ne blâme jamais ton ami ; ne loue jamais ton ennemi. » En voici une plus généreuse : « Les véritables victoires sont celles qui ne coûtent point de sang. » Il se fatigua de régner, quoi qu’il eût prononcé : « Le commandement est l’épreuve de l’homme. » C’est sans doute après son abdication qu’il formula : « Parmi les animaux sauvages, le pire est le tyran ; parmi les animaux domestiques, le pire est le flatteur. »

Solon est-il beaucoup meilleur que ce tyran aux qualités mêlées ? Il est coupable d’avoir fait entreprendre et d’avoir conduit la guerre contre Salamine. Et, si ses lois sont moins dures que celles de Dracon qu’elles remplacèrent, est-ce à lui qu’on le doit ou à l’adoucissement général des mœurs ? Poète remarquable, il est probablement, avec Thalès, le mieux doué intellectuellement des sept sages. Il philosopha et resta poète jusqu’à la fin. « Je vieillis, disait-il, en apprenant toujours. »

Bias paraît bilatéralement noble, qui disait : « Je porte tout mon bien avec moi » et qui, très éloquent, ne voulut jamais défendre que les causes qui lui paraissaient justes. Ses sentences sont belles : « Pendant que tu es jeune, prépare à ta vieillesse un viatique de sagesse : c’est le plus sûr des trésors. » — « Sois lent à entreprendre, persévérant quand tu as entrepris. » — « Désirer l’impossible est une maladie de l’âme ; une autre maladie de l’âme, c’est de ne pas songer aux maux d’autrui. » Une autre de ses maximes est bien désenchantée : « Aime comme si tu devais haïr un jour, car la plupart des hommes sont pervers. »

Chilon est l’auteur probable du « Connais-toi toi-même ». Voici d’autres sentences de lui : « Si tu es puissant, sois bienveillant et applique-toi à inspirer plus de respect que de crainte. » — « Plutôt une perte qu’un gain honteux : la perte ne t’afflige qu’une fois ; le gain honteux te cause des regrets éternels. » — « Que ta langue ne devance pas ta pensée. » — « Sois plus empressé auprès de ton ami quand il est malheureux. »

Cléobule, vantant toujours la mesure et le juste milieu, est le précurseur d’Aristote moraliste.

Il y a, parmi les Sept Sages, un véritable grand homme, Thalès de Milet, père de la philosophie naturelle. Celui-ci a une doctrine systématique. C’est par lui que s’ouvre l’histoire de la philosophie et de la science grecques. Comme frappeur de sentences, on connaît surtout ses ingénieuses réponses : « Qu’y a-t-il de plus grand ? — L’espace, qui contient tout. — De plus puissant ? — La nécessité, qui soumet tout. — De plus sage ? — Le temps, qui découvre tout. — De plus commun ? — L’espérance, qui reste même à qui n’a plus rien. »

Les sophistes — dont le nom signifie à peu près sages professionnels — sont, en moyenne, très supérieurs à la moyenne des Sept Sages officiels et ils comptent parmi eux des intelligences de premier ordre, comme Protagoras, Gorgias, Prodicus, Socrate ou Hippias. Prodicus et Socrate sont aussi, paroles et conduite, de véritables sages, ce qui leur valut d’être abondamment raillés par leurs contemporains et de boire la ciguë.

Entre la génération des Sept Sages (fin du VIIe siècle avant J.-C. et commencement du {{s|VI|e|-) et la génération

des sophistes (Ve siècle), Pythagore, très suivi dans cette voie, avait renoncé à un titre trop ambitieux et se disait non plus sage, mais simple Ami de la Sagesse (Philosophe). Pourtant, nous donnons volontiers le titre de Sages à Prodicus et à son élève Socrate, à Diogène, à Zénon de Cittium, à Cléanthe, à Épictète, à Dion Bouche-d’Or ou à Épicure. Nous n’hésiterions guère plus à en décorer Jésus, si nous étions certains que le Sermon sur la Montagne a quelque authenticité. Même parmi les modernes, un Spinoza, un Tolstoï, un Élisée Reclus ou un Gandhi (malgré, chez ce dernier, un fâcheux relent de nationalisme) sont des sages. Et ce titre ne doit-il pas encore être accordé à tous les hommes de bonté et de tolérance, aux célèbres et aux inconnus, à un Voltaire comme à un Castellion ?

À moins que nous ne voulions, avec les stoïciens, le réserver à un idéal si absolu, que personne ne peut l’atteindre, sauf peut-être, dans les rêveries des philosophes cyniques et dans sa légende mi-divine, Hercule lorsqu’il n’était pas fou jusqu’à tuer ses enfants. — Han Ryner.


SAGESSE Le mot sagesse a quelques significations un peu folles, celles par exemple que Littré classe 2o et 3o. « 2o La connaissance inspirée des choses divines et humaines. » Bossuet qui, d’une langue éloquente, lèche les pieds puissants, nous apprend que Michel Le Tellier, grand artisan de la Révocation de l’Edit de Nantes, possédait : « cette sagesse qui vient d’en haut, qui descend du père des lumières et qui fait marcher les hommes dans les sentiers de la Justice. » Plaisante sagesse, ou odieuse, et odieuse ou plaisante justice qui, étant infinie en Dieu, doit, d’après le même Bossuet, s’exercer « à la fin par un supplice infini et éternel ». La troisième signification enregistrée par Littré, greffier des usages successifs, n’est pas moins étourdissante. Cette Sagesse-là (avec une majuscule, S. V. P.) c’est le très lui-même Verbe et, quand on songe qu’au rêve du Quatrième Évangile, il s’est fait homme, on l’appelle : La Sagesse incarnée. Mais cette chasteté qu’on nomme sagesse « en parlant des femmes » est-elle beaucoup moins déraisonnable, ou même cette docilité endormie qui vaut aux petits enfants « le prix de sagesse » et aux grands bébés les prix et les fauteuils académiques ?…

Le terme sagesse a pourtant une signification que j’aime. Il désigne la prudence persuasive des anciens par opposition avec le tyrannique et absurde dogmatisme des théologiens modernes, de ceux même qui se croient philosophes et indépendants ; Pour mon livre La Sagesse qui rit, j’avais rédigé cette bande : A bas les morales, vive la Sagesse ! Oui, je méprise quiconque prétend imposer une morale, fausse science de la Vie : mais j’aime ceux qui ont connu et pratiqué la sagesse, art souriant et individualiste de la conduite.

Nulle part ne se rencontre une science du désirable. Toute discipline du désirable ne peut être qu’un art et garde la grâce d’être diverse avec les divers artistes. Désintéressée au point d’ignorer tout effort téléologique, la science cherche la vérité, non la beauté, ce qui est au réel, non ce que j’aimerais.

Devant les morales qui se prétendent scientifiques et universelles, qui osent affirmer et qui osent ordonner, rions et gaussons-nous en immoralistes. Mais nous pouvons considérer d’un œil fraternel et parfois admiratif les sagesses qui conseillent fraternellement et qui harmonisent.

Quand nous aimons ou admirons un artiste, nous ne lui faisons pas l’injure et nous ne faisons pas à nous-même le tort de l’imiter. Les seuls conseils que nous donnent notre amour et notre admiration pour ceux qui se sont exprimés, c’est de nous chercher et de nous réaliser nous-mêmes.

Et, comme nous aimons des poètes très différents,