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se refusent à porter une arme, à toucher un engin qui donne la mort à des êtres humains. — Voilà du sabotage conscient.

Ne désespérons pas de voir des saboteurs non seulement conscients, mais aussi organisés, pour se refuser collectivement à tout ce qui peut servir la Guerre et rendre plus facile la Paix. Qui sait même, s’il ne se trouvera pas des saboteurs héroïques pour saboter énergiquement la Guerre et les Guerriers, pour saboter surtout ceux qui la veulent pour les autres et ceux qui la font par sauvagerie, inconscience ou lâcheté ; pour saboter enfin, ceux qui en sont la cause, les organisateurs, ou les profiteurs ! Ce sabotage ne nous semble pas du tout déplacé et nous dirions même qu’il est d’extrême urgence à l’époque trouble où nous vivons.

Ce n’est pas saboter la raison humaine que de croire à un monde renouvelé par la bonne volonté et la cohésion dans l’effort des meilleurs parmi les hommes qui pensent, travaillent, s’élèvent et rêvent de l’affranchissement intégral de l’individu par une transformation sociale, favorable au règne de l’Entente entre tous et de la Liberté pour tous.

Le « sabotage » s’apparente à cet autre mot, moins connu peut-être, mais qu’il est intéressant de ne pas ignorer : c’est le mot Boycottage. Voici, d’abord, ce qu’en dit le Dictionnaire Larousse :

« Boycottage (rad. boycotter) n. m. Mise en interdit des propriétés ou des fermiers irlandais qui n’obéissent pas aux injonctions de la Ligue agraire.

— « Encycl. Vers 1880, un capitaine anglais, nommé James Boycott, gérant des propriétés que le comte Erne possédait dans le comté de Mayo (Irlande), fit preuve d’une telle dureté à l’égard des fermiers placés sous ses ordres qu’il s’en fit exécrer. Ils s’entendirent pour le mettre en quarantaine. Tout Irlandais dut lui refuser son travail ; il fut même interdit de lui acheter ou de lui vendre un objet quelconque, surtout des vivres. Le pacte fut fidèlement observé. Malgré l’intervention du gouvernement qui lui envoya une garde, et l’aide des dissidents de l’Ulster qui rentrèrent ses récoltes, Boycott fut obligé de quitter le pays.

« Le nom de boycottage fut, depuis lors, appliqué aux excommunications du même genre, qui furent lancées, pour la plupart, par les associations secrètes irlandaises, notamment par la Ligue agraire. »

Le mot « boycottage » signifie donc : mettre en quarantaine, frapper d’interdit ; l’usage s’en étendit un peu partout. Le sabotage et le boycottage sont devenus deux formes de l’action directe, de défensive surtout. Déjà, en 1897, la question vint au congrès des Bourses du Travail de France, qui se tint à Toulouse. Un rapport sur le boycottage et le sabotage y fut discuté et des résolutions adoptées.

Les congrès ouvriers, constatant l’inefficacité relative des grèves partielles où s’épuisaient les forces et les ressources de résistance du prolétariat cherchaient donc des moyens de lutte plus efficaces.

Voici ce qu’on lisait à l’époque, dans les publications ouvrières :

« L’homme qui a donné son nom au boycottage est mort tout récemment. Le capitaine Boycott était le middleman de lord Erne, un des grands propriétaires du comté de Mayo, en Irlande. Le middleman est l’homme qui afferme, en bloc, au propriétaire foncier, une étendue plus ou moins considérable de terres, pour la sous-louer en détail à d’autres fermiers ou la faire cultiver par des ouvriers ruraux. Le capitaine Boycott se fit particulièrement détester par son oppression. Les tenanciers étaient incapables d’acquitter leurs fermages, en ce comté de Mayo où il était le maître et où, coup sur coup, pendant plusieurs années, , les récoltes avaient été dévastées par les intempéries. Malgré cela, il fit valoir ses droits de propriétaire.

« On n’a point oublié cette dramatique époque. Les soldats anglais, requis par le middleman, pénétraient dans la chaumière du fermier insolvable, saisissant le misérable mobilier, expulsant les habitants ; puis, pour que ces malheureux, dépourvus d’asile, ne cédassent pas à la tentation de réintégrer celui-ci, même vide, les soldats enlevaient le toit de la maison et les châssis des fenêtres. Il ne restait plus que les quatre murs de pierres.

« La haine des Irlandais contre le capitaine Boycott fut telle qu’on le mit à l’index dans le pays tout entier. La Ligue agraire décida de lui infliger la quarantaine. C’était l’inauguration d’un nouveau système de lutte. Défense fut faite à tout Irlandais de fournir au capitaine Boycott, non seulement du travail, mais aussi des vivres. Pendant plusieurs semaines il vécut seul dans sa maison, ne trouvant ni ouvrier, ni laboureur, ne pouvant rien acheter, même à prix d’or. S’il n’avait pas eu de provisions, il serait littéralement mort de faim. Enfin, il dut quitter la place et partir pour l’Angleterre.

« Les landlords ne tardèrent pas, à leur tour, à employer contre les malheureux Irlandais la méthode de combat que ceux-ci avaient employée contre le capitaine Boycott. Ils menaçaient les ouvriers de réduction de salaire, de privation de travail ; ils menaçaient les commerçants de leur retirer la clientèle de leurs fermiers ; enfin, ils allaient jusqu’à menacer les pauvres de ne plus donner d’aumônes. — (Telle fut l’origine du Boycottage).

« Ainsi « popularisé », le boycottage traversa la mer.

« À Berlin, en 1894, les brasseurs, cédant à la pression gouvernementale, refusèrent leurs, salles de réunions aux socialistes. Les brasseurs furent boycottés et si rigoureusement, qu’au bout de quelques mois ils durent se soumettre. — A Berlin, encore, la compagnie des chemins de fer circulaires, s’étant aperçue que le public fermait lui-même les portières des wagons, supprima les deux cents employés à qui, jusqu’alors, était confiée cette tâche. Aussitôt, les socialistes intervinrent, firent comprendre au public qu’il devait désormais s’abstenir de fermer les portières et obtinrent ainsi que la compagnie reprenne son personnel.

« A Londres, en 1893, les employés de magasins exigèrent de leurs patrons la fermeture des magasins un après-midi par semaine, pour compenser l’après-midi du samedi pendant lequel ils travaillaient, tandis que les ouvriers chômaient. C’est par le boycottage qu’ils forcèrent la main aux patrons ; les magasins qui refusèrent d’obtempérer aux désirs de leurs employés furent mis à l’index. Les employés allèrent plus loin. Ils n’hésitèrent pas, pour obtenir gain de cause, à recourir aux procédés révolutionnaires. Un jour, entre autres, ils entrèrent chez un marchand de jambons et lancèrent dans la rue toutes les victuailles. Les boycotteurs triomphèrent et, depuis cette époque, les magasins ferment leurs portes une fois par semaine entre 3 et 5 heures de l’après-midi. »

Telle fut l’origine du système.

En France, il y aurait trop à citer pour montrer l’efficacité du boycottage sous toutes ses formes, tant légales que révolutionnaires.

Eh ! oui, légales, car il est des règles et des méthodes qu’il suffirait de mettre en application pour paralyser les rouages les plus importants de la vie sociale. Il est des lois et décrets qui, s’ils étaient strictement respectés, bouleverseraient toute l’administration.

Le Boycottage et le Sabotage figuraient donc, en une seule question, à l’ordre du jour du Congrès de Toulouse (1897). La Commission chargée de l’examiner rédigea des conclusions et un rapport fut présenté où nous glanons ces passages intéressants :

« … La Commission vous demande de prendre en