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rielle perceptible à nos sens, mais qu’ils ont une expression spirituelle qui atteint toutes les profondeurs de notre sensibilité jusqu’au plus lointain subconscient. Le rythme est plastique dans les manifestations objectives de l’art ; il est spirituel par les sensations subjectives qu’il fait naître. Mais s’il est ainsi l’âme et la pensée du mouvement dont le nombre, la cadence et la mesure ne sont que la mécanique, il ne faut pas voir en lui, par une méprise contraire à celle qui le fait confondre avec eux, un subjectivisme qui en égare la notion dans la métaphysique et la livre aux abstracteurs de la quintessence divine.

Le rythme, c’est la vie entretenue par l’harmonie du mouvement. Lorsqu’il manque, le mouvement annihilé ou désordonné, chaotique, met la vie en danger. Il est dans les artères, les poumons, les centres nerveux du plus petit des êtres, comme dans la chevauchée interplanétaire des plus grands des mondes. Dans le mouvement et dans la pensée sans arrêt de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand, il est ce que Maeterlinck appelle « l’âme irréductible de tout ce qui existe ». Hors de lui, c’est l’arythmie, et de même que l’arythmie cardiaque, pulmonaire, nerveuse, détruit l’équilibre physiologique de l’organisme humain, amène ses désordres et sa mort, l’arythmie sociale bouleverse les sociétés et l’arythmie planétaire fait un chaos de l’harmonie universelle.

Même dans les formes plastiques où il est le plus près du nombre, de la cadence, de la mesure, le rythme garde toute sa valeur animatrice de l’expression psychologique indépendante de leurs règles. Il échappe à la technique de la trinité mécanique. Il est plus d’instinct et d’inspiration que de science. Il en est tellement ainsi que dans la musique, le rythme, tout en en étant le premier élément, n’a pas suivi les progrès des autres.

Berlioz disait : « le rythme, de toutes les parties de la musique, nous paraît être aujourd’hui la moins avancée. » C’est le caractère psychologique du rythme qui le tient en marge de ce progrès ; mais il fait, en même temps, qu’une mélodie du XIIIe siècle sera, dans sa nudité harmonique, aussi émouvante que la plus belle polyphonie moderne. Le rythme est comme l’éthique ; il ignore l’esthétique. Il est en lui-même la beauté et il la communique à l’œuvre d’art quelle que soit la science de l’artiste. Ce n’est que par lui que cette œuvre est ou non vivante.

Le philosophe L. Boisse a écrit :« Le rythme est une notion essentiellement subjective… Il est l’âme de la durée, et cela partout : en psychologie, en poésie, en musique, en mathématique, et aussi en architecture, car il y a un rythme dans les lignes, mêmes droites, s’il y en a un en nous. »

Terminons par la définition suivante que M. Robert de Souza a donnée du rythme, et qui comble fort heureusement la lacune laissée par la platitude académique : « Rythme. — Figure de l’espace ou du temps, déterminée selon des intervalles plus ou moins rapprochés ou compensés, réguliers ou irréguliers, par les retours, les rappels, les groupements de phénomènes quelconques, séparés, opposés ou associés. — La figure d’un rythme dépend surtout de la forme que nos sens lui donnent ; elle prend d’eux, ainsi, une valeur personnelle, spécialement expressive : cette valeur est donc de qualité, non de quantité. Le rythme intéresse l’explication et l’application de toutes les sciences, naturelles, mathématiques, philosophiques, et de tous les arts, plastiques, musicaux, littéraires, mais lorsque les phénomènes sont étudiés à l’état vivant, dans leurs relations mobiles et dynamiques. Il est à la source de l’existence même ». — Edouard Rothen.