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main à la pâte, de se servir avec dextérité de leurs bras, de faire, à l’usine ou aux champs, figure convenable et besogne utile. La Ruche a la haute ambition et la ferme volonté de lancer dans la circulation quelques types de cette espèce. C’est pourquoi on y mène de front l’instruction générale et l’enseignement technique et professionnel.


Nos ateliers. — Jusqu’à ce jour, nos ateliers n’ont rien produit pour l’extérieur. Seule, l’imprimerie a fait exception. Menuiserie, forge, couture, lingerie, reliure, n’ont travaillé que pour les besoins de La Ruche. En réalité, ces ateliers ont été et sont encore plutôt des services que des ateliers ; quelques-uns, vraisemblablement, garderont ce caractère ; d’autres, comme la menuiserie, la reliure et, peut-être, la couture, tout en restant des services et répondant aux besoins courants de l’Œuvre, deviendront sans doute, dans un avenir prochain, des ateliers de production en même temps que d’apprentissage.

Lorsque, arrivé à l’âge de seize ans environ, un enfant, garçon ou fille, possède une culture générale suffisante et un entraînement professionnel lui permettant de travailler à l’extérieur et, comme ouvrier ou ouvrière, de suffire à ses besoins, il peut, à sa volonté, quitter la Ruche ou y rester. Il est libre et il fait son choix en toute indépendance.

Il est probable qu’une certaine proportion de ces adultes restera à la Ruche. Ceux-là cesseront d’être au nombre de nos pupilles et prendront rang parmi nos collaborateurs. Nous en avons déjà quelques-uns qui se trouvent dans ce cas. Ils travaillent à l’atelier dans lequel ils ont fait leur apprentissage et exercent le métier qu’ils ont appris. Le temps est proche où nos couturières, nos menuisiers et nos relieuses seront à même d’exécuter proprement le travail qui leur sera confié et où, dans chaque atelier, ils seront assez nombreux pour que leur production dépasse les besoins constants de la Ruche. Nous entrevoyons donc, d’ores et déjà, la possibilité de travailler pour l’extérieur. Nous nous proposons, à la menuiserie, de faire le meuble. Dans les centres ouvriers — où nous trouverons la presque totalité de notre clientèle —, les ménages à situation modeste ont à choisir entre le meuble grossier, fruste, mal conditionné, mais relativement solide et le meuble tape-à-l’œil, c’est-à-dire élégant, gracieux, léger, mais fragile. Le premier ne flatte pas l’œil, mais résiste ; le second est agréable à la vue, mais il ne fait pas un long usage et ne résiste guère aux étourderies turbulentes de la marmaille ou aux chocs d’un déménagement. La Ruche rendrait un grand service à la classe ouvrière de Paris et des villes importantes de province en mettant à sa disposition un meuble qui éviterait ce double défaut : rusticité, fragilité, c’est-à-dire un meuble à la fois élégant et robuste, gracieux et solide.

Même observation pour la reliure : elle est de luxe ou par trop rudimentaire. De luxe, elle coûte trop cher ; trop rudimentaire, elle cède rapidement à l’usage. Pour les Bourses du Travail, les Syndicats, les Coopératives, les Bibliothèques populaires et les camarades qui sont appelés à constituer notre clientèle, il faut une reliure simplement confortable, dont le prix ne dépasse pas les ressources fort limitées de cette clientèle et dont la solidité est suffisante.

Il ne suffit pas, il est vrai, de produire bien et dans des conditions avantageuses, il faut encore s’assurer des débouchés. Pour la Ruche, cette question est résolue d’avance. Nos débouchés existent ; ce sont les Syndicats, les Coopératives, les Universités populaires, les Bourses du Travail, les Groupements d’avant-garde, tous amis de la Ruche, et aussi la multitude des camarades qui, individuellement, suivent avec intérêt le développement de celle-ci. Il suffira de faire appel à ces débouchés pour qu’ils s’ouvrent. Nous en avons l’assu-

rance, car ce sont ces camarades et ces organisations qui, depuis sa fondation, forment la clientèle de notre imprimerie. Celle-ci fonctionne depuis un an et les commandes lui viennent de toutes parts.

Ce qui se passe pour l’imprimerie se passera pour la reliure et la menuiserie ; cela n’est pas douteux.


Notre budget. — Entre nos dépenses et nos recettes, la différence a été de 29.719 francs, du 30 juin 1913 au 30 juin 1914. Ce déficit de 30.000 francs a été comblé par le produit de mes conférences au cours du même laps de temps, soit du 30 juin 1913 au 30 juin 1914. Il est équitable de reconnaître que ce déficit est considérable et inquiétant. Je ne suis plus de première jeunesse ; j’arrive à l’âge où les forces fléchissent. Je me sens encore robuste et bien portant ; j’ai la même ardeur au travail, la même énergie, la même endurance qu’il y a vingt ans. Il faut néanmoins prévoir que je ne pourrai pas impunément prolonger, au delà de quelques années, l’effort soutenu et énorme que j’accomplis depuis plus d’un quart de siècle. La vieillesse, malgré tout, vient avec son inévitable et douloureux cortège de défaillances et d’infirmités. Il est prudent de prévoir aussi la maladie, l’accident, la mort, qui peuvent fondre sur moi et brusquement m’emporter ou me mettre hors de combat.

Et, à l’examen des chiffres ci-dessus, les amis de la Ruche peuvent concevoir sur son avenir de vives appréhensions. Ils peuvent redouter que l’apport que, depuis sa fondation, je fais, chaque année, à la Ruche venant à lui faire subitement défaut, cette œuvre ne disparaisse sous le poids de charges devenues trop lourdes. Je conçois les alarmes de nos amis et, depuis longtemps, je vis, en dépit de mon robuste optimisme, dans l’angoisse d’une de ces éventualités que j’énumère plus haut et de cette fatalité inéluctable : la vieillesse, au seuil de laquelle je me trouve.


Confiance en l’avenir. — Eh bien ! Que nos amis se rassurent. Peu de temps nous sépare de l’heure à laquelle la Ruche, cessant d’être obligée de compter sur les ressources au caractère nécessairement aléatoire qu’elle doit à mes conférences, parviendra à se suffire à elle-même et finira par substituer à ces ressources des produits ayant un caractère régulier et assuré. Très sincèrement je pense qu’il est permis de le croire, et je le crois. Quoi qu’il en soit, nos efforts tendent vers ce but et nous avons, mes collaborateurs et moi, pleine confiance que nous l’atteindrons. Le plus difficile est fait. Nous avons vaincu les premières et plus grandes difficultés ; nous avons traversé la période de tâtonnement et, si loin qu’apparaisse encore ce but si désirable et si ardemment désiré, il est certain que la route déjà parcourue est beaucoup plus longue et ardue que celle qui nous en sépare. Notre confiance est donc légitime ; elle est fondée ; elle est inébranlable.


J’arrête ici les emprunts que je fais à la brochure qui a pour titre : « La Ruche. Une œuvre de solidarité. Un essai d’éducation ». Les indications ci-dessus seraient incomplètes si je n’y ajoutais les renseignements propres à faire connaître en quoi la Ruche fut un essai d’éducation intéressant à plus d’un titre. Au moment où j’aborde la question entre toutes délicate et complexe de l’éducation et de l’enseignement, qui furent en honneur à la Ruche, j’engage le lecteur à se reporter aux études remarquables qu’il trouvera aux mots École, Éducation, sous la signature de notre collaborateur E. Delaunay.


Idéal et réalité. — Il est à désirer que l’enseignement s’étende à des matières de plus en plus nombreuses et l’idéal serait qu’il pût embrasser tout le domaine du savoir, afin que, d’une part, tout écolier fût initié à