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cet établissement que j’avais eu tant de peine à édifier, j’ai publié sous ce titre : « La Ruche : Une œuvre de solidarité : un essai d’éducation », une forte brochure destinée à faire connaître sous quelle forme y fut pratiquée la solidarité et dans quel esprit fut conçu et réalisé cet essai d’éducation. Il m’a paru regrettable que cette œuvre menacée de disparaître, soit exposée à tomber complètement dans l’oubli ; et j’ai cru utile d’en transmettre le souvenir à ceux qui, un jour ou l’autre, en France ou ailleurs, auront le désir de reprendre cet essai et de s’en inspirer.

Je ne saurais donc faire mieux que d’extraire de cette brochure les passages les plus susceptibles de permettre aux lecteurs de se faire une idée exacte de ce que fut « la Ruche », (La brochure en question est de 1914).


Brèves indications. — Cette œuvre de solidarité et d’éducation, sise à Rambouillet (Seine-et-Oise), a été fondée et est dirigée par Sébastien Faure. Elle élève une quarantaine d’enfants des deux sexes.

Pas de classement ; ni punitions, ni récompenses.


Son programme. — Par la vie au grand air, par un régime régulier, l’hygiène, la propreté, la promenade, les sports et le mouvement, nous formons des êtres sains, vigoureux et beaux.

Par un enseignement rationnel, par l’étude attrayante, par l’observation, la discussion et l’esprit critique, nous formons des intelligences cultivées.

Par l’exemple, par la douceur, la persuasion et la tendresse, nous formons des consciences droites, des volontés fermes et des cœurs affectueux.

« La Ruche » n’est subventionnée ni par l’État, ni par le Département, ni par la Commune. C’est aux hommes de cœur et d’intelligence à nous seconder, chacun dans la mesure de ses moyens.


Les trois écoles. — A l’heure où les deux écoles qui se disputent, en France, le cœur et l’esprit de nos enfants, se livrent un combat acharné, dont le plus clair résultat, jusqu’ici, est de faire éclater aux yeux des moins prévenus les tares, les imperfections et l’insuffisance de l’une et de l’autre, il est particulièrement utile que soit fondée une troisième école.

L’école chrétienne, c’est celle d’hier ; l’école laïque, c’est celle d’aujourd’hui ; « La Ruche », c’est, d’ores et déjà, l’école de demain.

L’école chrétienne, c’est l’école du passé, organisée par l’Église et pour elle ; l’école laïque, c’est l’école du présent, organisée par l’État et pour lui ; « La Ruche », c’est l’école de l’avenir, l’École tout court, organisée pour l’enfant, afin que, cessant d’être le bien, la chose, la propriété de la Religion ou de l’État, il s’appartienne à lui-même et trouve à l’école le pain, le savoir et la tendresse dont ont besoin son corps, son cerveau et son cœur.


Dans quel but et comment j’ai fondé la Ruche. — Depuis quelque vingt-cinq ans, je fais des conférences tendant à propager les convictions qui m’animent et les sentiments qui me sont chers. Favorisé par les circonstances, j’ai eu la bonne fortune d’acquérir peu à peu une certaine notoriété. Je me suis fait, pour ainsi dire, une clientèle nombreuse d’auditeurs dans la plupart des villes que je visite périodiquement, et il n’est pas rare que, si vastes soient-elles, les salles dans lesquelles je convie le public à venir m’entendre soient encore insuffisantes. A la porte, je prélève un droit d’entrée. Mes frais (voyage, salle, publicité, etc.) payés, il me reste un bénéfice appréciable, et ces bénéfices additionnés représentent, chaque année, une somme assez ronde. Je me suis tout naturellement demandé ce qu’il convenait de faire de cet argent que me procurait ma propagande. J’aurais pu, le considérant comme très honora-

blement gagné, le garder par devers moi. C’est une erreur grossière et une injustice que de refuser à l’orateur le droit de vivre de ses discours ; le conférencier a le droit de vivre de ses conférences, au même titre que vivent de la tâche qu’ils accomplissent tous ceux qui travaillent : professeurs, des enseignements qu’ils donnent ; journalistes, des articles qu’ils écrivent ; médecins, des maladies qu’ils soignent ; avocats, des causes qu’ils plaident ; ouvriers, du travail qu’ils exécutent.

J’aurais donc pu, sans scrupule et en toute équité, garder pour moi les ressources que me procuraient mes conférences. Mais, constamment préoccupé de la besogne à faire par les militants auprès de la foule ignorante de notre idéal, pouvais-je conserver tout ou partie de cet argent dont, à tout instant et en toutes circonstances, il est besoin ?

Une foule de gens — c’est de beaucoup le plus grand nombre — sans conviction, sans idéal, n’ont qu’un souci : s’enrichir, en tous cas, économiser pour leurs vieux jours. On ne trouve pas un vrai militant qui ait cette préoccupation. Le militant marche, tout éveillé, dans son rêve. N’ayant de passion ardente que celle qui le mouvemente incessamment vers le but qu’il s’est volontairement assigné, il ne tient à l’argent que dans la mesure où celui-ci lui est indispensable pour la réalisation de son rêve, pour l’obtention de son but. Vingt années durant, j’ai fait comme tous mes amis : attribuant tout ce que je gagnais aux œuvres de propagande, aux campagnes d’agitation, à l’effort d’éducation, aux gestes de solidarité qui guettent et sollicitent à chaque pas l’éducateur des foules.

Toutefois, un jour vint où, au cours d’une de ces haltes qui apportent un peu de calme à la marche enfiévrée de l’apôtre et lui confèrent le repos momentané dont la nécessité s’impose, j’examinai, tranquille et de sang-froid si, des ressources mises à ma disposition par mes conférences, je faisais l’usage le meilleur, c’est-à-dire le plus fécond. De réflexion en réflexion, je fus amené à considérer qu’il serait préférable de concentrer sur une œuvre unique toutes les disponibilités que, jusqu’alors, j’avais disséminées, au hasard des circonstances, des besoins ou des sollicitations. Ce point acquis, il ne me restait plus qu’à préciser la nature et le caractère de cette œuvre unique. Or, au cours de ma carrière déjà longue de propagandiste, j’avais été amené à faire les deux constatations suivantes :

Première constatation : de toutes les objections qu’on oppose à l’admission d’une humanité libre et fraternelle, la plus fréquente et celle qui paraît la plus tenace, c’est que l’être humain est foncièrement et irréductiblement pervers, vicieux, méchant ; et que le développement d’un milieu libre et fraternel, impliquant la nécessité d’individus dignes, justes, actifs et solidaires, l’existence d’un tel milieu, essentiellement contraire à la nature humaine, est et restera toujours impossible.

Seconde constatation : quand il s’agit de personnes parvenues à la vieillesse ou simplement à l’âge mûr, il est presque impossible, et quand il s’agit d’adultes ayant atteint l’âge de 25 ou 30 ans sans éprouver le besoin de se mêler aux luttes sociales de leur époque, il est fort difficile de tenter avec succès l’œuvre désirable et nécessaire d’éducation et de conversion ; par contre, rien n’est plus aisé que de l’accomplir sur des êtres jeunes encore : les petits au cœur vierge, au cerveau neuf, à la volonté souple et malléable.

Plus d’hésitation : l’œuvre à fonder était trouvée. Il s’agissait de réunir 40 à 50 enfants en un vaste cercle familial et de créer avec eux un milieu spécial où serait vécue, dans la mesure du possible, d’ores et déjà, bien qu’enclavée dans la Société actuelle, la vie libre et fraternelle : chacun apportant au dit cercle familial, selon son âge, ses forces et ses aptitudes, son contingent d’efforts, et chacun puisant dans le tout alimenté par la