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RUC
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Et c’est l’épopée gigantesque de la pensée ; c’est son envol, malgré la routine, vers les cimes où le ciel pur se mire dans l’eau pure de la source. C’est Christophe Colomb cherchant la route des Indes par l’ouest ; c’est Galilée faisant tourner la terre ; c’est l’esprit des Encyclopédistes détrônant les vieux dogmes ; c’est le savoir, la logique, la raison, mis à leur place souveraine. C’est le brabant remplaçant l’araire. Et c’est le tracteur remplaçant le brabant. C’est le romantisme triomphant ; et c’est, par la suite, le naturalisme s’installant au pinacle. Ce sont les diverses écoles de peinture, de sculpture, de musique, etc., qui s’imposent successivement… Mais ce sont aussi les supplices, les bûchers, les Bastilles, les haines des « cous-pelés » qui, accrochés au passé, défendent leurs situations compromises. Ce sont toutes les embûches que la routine accumule en vain pour empêcher que s’accomplisse ce qui doit être.

Tout homme qui pense doit se dresser contre la routine. Moins son emprise sera grande, et plus rapide se fera l’évolution, C’est vers l’avant que l’on doit résolument se tourner et, en évitant les sentiers tortueux, s’élancer sans œillères sur les routes neuves, vers le soleil de beauté, de justice et de fraternité. — Ch. B.


RUCHE n. f. « Demeure où les abeilles vivent et font le miel. » (Littré). Lorsque l’essaim nouveau quitte la ruche, il va, d’ordinaire, se suspendre à une branche ou se poser contre un tronc d’arbre, à peu de distance du rucher. Aussitôt, des abeilles se détachent de cet essaim et partent en éclaireurs à la recherche d’un arbre creux, d’un trou de muraille, d’une cavité quelconque. Si l’homme cueille cet essaim, les abeilles acceptent leur demeure nouvelle quelle que soit sa forme. Si l’homme néglige l’essaim, bientôt, celui-ci partira et s’installera dans une cheminée, dans un tronc de saule, sous la toiture d’un grenier.

L’abeille s’accommode de toute espèce de refuge, et que le hasard l’ait conduite dans un vieux coffre, sous les combles du château ou dans le christ en zinc des Missions, elle se met aussitôt au travail. Car l’essaim est la colonie complète, la société organisée avec tous ses rouages, prête à fonctionner. Dans nul groupement d’activité humaine, la rationalisation ne semble poussée aussi loin que dans la ruche. Ici, chaque membre a sa fonction spéciale. La mère (improprement appelée Reine — Sultan, chez les Arabes -), unique dans la ruche, à l’abdomen volumineux, est seule à connaître les joies (si joies il y a) de l’amour sexuel. Fécondée une fois pour toutes, en plein ciel, elle passe son existence sur les rayons de cire à pondre les dizaines de milliers d’œufs qui assureront le peuplement de la ruche. Timide, peureuse, incapable même de se nourrir (elle est tributaire en cela d’ouvrières qui lui offrent la pâtée), armée d’un dard dont elle ne fait usage que dans le combat contre une rivale, elle est cependant « l’âme du nid ». Si elle disparaît à l’époque où il est impossible de pourvoir à son l’emplacement, c’est la ponte arrêtée ; par suite, l’extinction progressive des vieilles ouvrières, et c’est la mort de la ruche. Avec une reine prolifique, c’est, au contraire, la colonie puissante (20.000 individus et plus), c’est la prospérité et la richesse. On comprend qu’il y ait des apiculteurs soucieux d’avoir des reines jeunes et fécondes dans leurs ruches ; et il existe toute une méthode d’élevage et de l’emplacement des reines (Consulter, à ce sujet, l’ouvrage de Perret-Maisonneuve : « L’Apiculture intensive et l’élevage des Reines »).

Un seul mâle (on faux-bourdon) a fécondé la reine. C’est le plus fort, le plus hardi, le mieux doué pour le vol (d’après Maeterlinck). D’après d’autres auteurs, c’est le plus chanceux. Lorsque, par un beau jour d’été, la reine, encore vierge, quitte la ruche pour le vol nuptial, elle est suivie du troupeau hardi des mâles, gros bourdons trapus, velus et sans dard. L’élu, poussé par

l’instinct de l’espèce, sait-il que ses noces seront suivies de sa mort, par suite de la rupture de ses organes qui restent dans l’abdomen de la reine ? Aussitôt la fécondation accomplie, les faux-bourdons deviennent inutiles. Les ouvrières les tolèrent cependant jusqu’à l’automne. (Certains auteurs prétendent qu’elles sont, par cette présence, stimulées au travail). Mais, dès que les fleurs se font rares, dès que la miellée touche à sa fin, les utilitaires abeilles ne peuvent tolérer plus longtemps ces oisifs simplement bons à consommer et à salir ; et c’est le massacre impitoyable.

Si la reine est l’âme de la ruche, les ouvrières en sont les moteurs agissants. Toutes filles d’une même mère, elles semblent intimement pénétrées de cette idée qu’elles doivent assurer, par un travail incessant, acharné (dira-t-on « librement consenti », parce qu’il ne paraît pas y avoir de paresseuses parmi elles ?), la prospérité de la colonie. Spécialisées, elles s’occupent aux multiples besognes intérieures et extérieures : soins aux larves, aux nouveau-nés ; propreté de la ruche, construction des rayons de cire (aux dimensions rigoureusement mathématiques) qui seront tour à tour berceaux des jeunes et réservoirs à miel ; ventilation ; gardiennage à l’entrée ; calfeutrage des interstices par où pourraient se glisser le froid ou la pluie ; et puis récolte du pollen, de la propolis et du nectar ! Travail de forçats qui, dans la belle saison, use une abeille en quarante jours. C’est en cette période de grande activité qu’il faut voir l’animation qui règne à la ruche, véritable usine où pas un rouage ne semble grincer et où les apports de nectar se chiffrent journalièrement par kilos ! Il faut aller près de la planche de vol pour assister à l’arrivée et à la sortie incessante des abeilles. Leurs pattes postérieures velues, aux fossettes pleines d’énormes boules de pollen, ou le corps alourdi par leur jabot garni, elles se posent, comme à bout d’effort, devant l’entrée qu’elles franchissent sans tarder, tandis que celles qui se sont déchargées de leur fardeau montrent par leur trou de vol leurs antennes, puis leur tête et à peine dehors, s’élancent d’un trait dans le soleil. Et qu’elles soient jeunes, — à l’abdomen légèrement velu comme la joue d’un éphèbe, aux ailes puissantes et neuves -, ou vieilles an corps lustré, aux ailes parfois déchirées, une seule et impitoyable loi semble les dominer : la loi d’airain du travail. Lorsque la nuit est venue, on pourrait croire que c’est le moment du repos : le travail persiste à l’intérieur et se révèle à l’observateur par un continuel bourdonnement produit par le battement des ailes, car il faut assurer la ventilation, chasser l’excès d’évaporation et concentrer le miel. Il y aura bien assez des longs mois d’hiver pour se reposer !

Pas de police entre abeilles. Le communisme intégral étant, ici, réalisé (chacun consommant selon ses besoins et. produisant selon ses forces), un organisme de commandement, un État (si l’on peut s’exprimer ainsi) serait une absurdité. Il n’en existe pas, en effet. Mais ce que nous constatons aussi, c’est l’absence totale de « poids morts » dans la société : malades, infirmes, consommateurs inutiles n’ont pas droit de cité dans la ruche. La pitié est un sentiment inconnu des abeilles. Le cœur semble absent ; la froide raison domine : « Produis ou disparais ! »

L’individu n’est rien, la colonie est tout. Et, non seulement les mâles, comme nous l’avons déjà rapporté sont tués à l’entrée de l’hiver, mais les larves sont, à cette même époque impitoyablement tirées de leur berceau et transportées au dehors pour y être abandonnées (l’avortement, nécessité sociale!) ; et, en tout temps. L’abeille malade, qui traîne la patte, victime de son travail — pour que la ruche vive — est rejetée de la ruche. Nous avons vu de ces malheureuses lutter désespérément contre deux ou trois de leurs sœurs qui les traînaient vers le large. Place aux forts ! Car