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vigoureux et sincèrement populaire, puis, plus tard, chez Louis Pergaud (la des Boutons, De Goupil à Margot, Mirant chien de chasse, les Rustiques, etc.).

Erckmann-Chatrian écrivirent du bon roman populaire, historique et rustique, avec un esprit nettement anti-guerrier et démocratique (l’Ami Fritz, le Juif polonais, Histoire d’un paysan, Histoire d’un. conscrit de 1913, etc.). Ferdinand Fabre montra un naturalisme rude et franc dans ses peintures de mœurs campagnardes et ecclésiastiques (les Courbezon, l’Abbé Tigrane, etc.). Emilie Pouvillon fut aussi un romancier des mœurs champêtres (l’innocent, Chante-Pleure, les Antibel, etc.). Édouard Rod, d’abord naturaliste (Palmyre Veulard, la Femme de Henri Vanneau, etc.), passa à ce qu’il appela « l’intuitivisme » pour écrire des romans moraux (la Sacrifiée, la Vie de Michel Teissier, l’inutile effort, etc.). Edmond About (Tolla, le Roi des Montagnes, l’Homme à l’oreille cassée, etc.) fit une œuvre pleine de fantaisie et d’esprit. Alphonse Daudet (Lettres de mon moulin, le Petit Chose, Jack, le Nabab, Sapho, Numa Roumestan, Tartarin, etc.) semble avoir subi l’emprise de l’école naturaliste plus qu’il n’était dans son tempérament. Peut-être se serait-il endormi sur le molleton du roman sentimental bourgeois sans la forte influence de Zola et des Goncourt. En bon Provençal qui se forçait pour être morose, il a agréablement doré de soleil et farci de <• galéjade » nombre de ses œuvres. Mais le véritable esprit populaire provençal lui échappa ; on le trouve plus exact dans Maurin des Maures, de Jean Aicard, que dans les Tarbarin. Pierre Loti fut un impressionniste, à la fois romantique et réaliste, de l’exotisme (Mon frère Yves, Pêcheurs d’Islande, le Spahi, Madame Chrysanthème, etc.). Il y eut enfin deux formes de romans pour la jeunesse qui eurent le plus grand succès : le roman d’aventures à la Mayne Reid, dont Gustave Aimard a été le principal auteur en France, et le roman scientifique dans lequel Jules Verne a anticipé sur des inventions dépassées depuis (navigation sous-marine et aérienne), ou qui sont encore à réaliser (communications inter-planétaires et autres). Ces romans ont eu une nombreuse suite d’imitations motivée par leur vogue persistante.

Le romantisme a eu son prolongement dans deux écoles, celles des « parnassiens » et des « symbolistes » (voir Symbolismes, qui se sont quelque peu mêlées. Barbey d’Aurevilly (Une vieille maîtresse, l’Ensorcelée, le Chevalier des Touches, les Diaboliques), fut un dandy du catholicisme et du satanisme. Il a influencé Léon Blov dans la voie du catholicisme et Huysmans dans celle du satanisme. Les romans de L. Bloy (le Désespéré, la Femme pauvre) sont des pamphlets dont la langue est plus solide que les idées. On ne sait comment faire la part de la sincérité et celle de l’attitude chez ce « mendiant ingrat » si souvent en contradiction avec lui-même. Jean Lorrain (les Buveurs d’âmes, Monsieur de Bougrelon, Monsieur de Phocas, Monsieur Philibert, etc.) fut un autre dandy, celui de la pègre équivoque vivant de la haute et basse prostitution des filles du ruisseau qui s’anoblissent et deviennent des dames pieuses, et des filles nobles qui roulent dans le ruisseau. Il a le premier dépeint, avec une observation aiguë, le monde alors spécial, vers 1900, des maniaques, des intoxiqués, des sadiques, des mouchards, des marlous qui sont arrivés, depuis la guerre dite « régénératrice » de 1914, à former « l’élite dirigeante » !… Elémir Bourges (le Crépuscule des dieux, Sous la hache, les Oiseaux s’envolent et les fleurs tombent), fut le plus magnifique évocateur du rêve dans le roman symboliste. Peladan fut le meilleur romancier du symbolisme. Il lui donna son œuvre la plus significative dans les seize volumes de la Décadence latine. Il fut ensuite plus réaliste dans les Amants de Pise, les Dévotes d’Avignon, etc. Son style est d’un maître écrivain. Remy de Gourmont (Sixtine, etc.) a été le plus compliqué et le

plus nuageux des écrivains de la « vie cérébrale ». Le style de ses romans est étrangement artificiel à côté de celui, si aisé et si clair, de ses Promenades littéraires et philosophiques. Symbolistes et parnassiens écrivirent généralement bien, mieux que les naturalistes, en bons disciples de la forme, tels : Villiers de l’Isle-Adam (Isis, Tribulat Bonhomet, l’Éve future, Contes cruels, etc.) visionnaire de génie qui promenait l’âme pure d’un Don Quichotte dans une bohème parfois fangeuse où on le pillait en l’insultant ; Pierre Louys (Aphrodite, la Femme et le Pantin, les Aventures du roi Pausole) aussi délicat et spirituel romancier que poète ; Henri de Régnier (la Double maîtresse, la Pécheresse, le Bon plaisir, etc.) qui para le libertinage mondain d’affectation académique.

Plus réalistes que romantiques ont été, ou sont encore, Catulle Mendès (la Maison de la Vieille, Zohar, Gog, etc.), François Coppée (le Coupable), Jean Richepin (la Glu, les Étapes d’un réfractaire, Miarka, etc.), Colette (les Vrilles de la vigne, Claudine, Toby-chien, etc.), Rachilde (les Hors-nature, le Meneur de Louves, la Jongleuse, etc.). Entre Paul Hervieu, romancier très supérieur (Peints par eux-mêmes, l’Armature, etc.), et le très inférieur M. Henry Bordeaux, ombre falote du déjà falot M. Paul Bourget, mais que les critiques aspirant à l’Académie flagornent à l’envi, Marcel Prévost, Henri Lavedan, Abel Hermant, René Boylesve et d’autres ont continué sous des aspects divers le roman mondain.

Nous terminerons ces indications sommaires sur le roman français d’avant 1914 par Anatole France et Romain Rolland qui lui ont apporté des notes différentes mais également fortes et dignes de les faire distinguer parmi les romanciers contemporains. Anatole France (le Crime de Sylvestre Bonnard, Thaïs, la Rôtisserie de la reine Pédauque, le Lys rouge, Histoire contemporaine, l’Île des Pingouins, la Révolte des Anges, les Dieux ont soif, etc.) à qui on peut appliquer plus qu’à tout autre le titre de « parfait magicien des lettres françaises », a donné au roman la note d’un dilettantisme supérieur, inspiré de Renan, et que la question sociale a fortement influencé, mais sans qu’il sorte d’un souriant scepticisme. Il est d’un réalisme que la finesse de l’expression rend encore plus aigu dans l’observation de ses contemporains, de leurs mœurs et de leur pensée ; c’est chez lui qu’on retrouvera la plus exacte notion de ce qu’ils ont eu d’odieux et de ridicule. Il est en même temps d’un idéalisme dont l’éloquence, nourrie de belles lettres, le rattache à la véritable famille humaniste, celle du cœur et de l’esprit. Romain Rolland (Jean Christophe, Colas Breugnon, Pierre et Luce, Clerambault, l’Âme Enchantée), également nourri d’humanisme, possède un idéalisme plus convaincu et une foi plus agissante, plus communicative. Moins parfait dans la forme — certains prétendent même qu’il écrit mal — il est plus chaleureux dans l’expression d’une pensée qui vient profondément de l’âme et non seulement du cerveau. Il est soucieux avant tout de la hauteur spirituelle qui seule fait la vraie joie de l’esprit et commande la véritable discipline sociale. Qu’il lève son verre avec son compère Colas Breugnon, qu’il chante ou pleure avec Beethoven, ou qu’il médite avec Goethe, Tolstoï et Gandhi, il est toujours un vrai fils de Rabelais, un de ces hommes « d’honneur » de la Thélème pour qui « science sans conscience est la ruine de l’âme » et de la société.

Avant de parler du roman dans le temps actuel, voici quelques indications très générales sur ce qu’il a été à l’étranger. Il y a suivi, comme en France, les différents courants littéraires (voir Littérature) et il y a produit des œuvres non moins intéressantes.

En Italie, Boccace fut le plus célèbre des premiers romanciers. Il subit l’influence française dans son