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Sandras de Courtilz, auteur des Mémoires de d’Artagnan, commença le roman historique à la façon d’A. Dumas.

Le xviiie siècle fut plus simple, plus naturel, sinon plus sincère. Il fut moins soucieux de pompeuse et trop souvent grotesque sublimité. Mme de La Fayette et La Bruyère avaient commencé une évolution du roman de mœurs que Lesage continua par son Gil Blas de Sentillane. Dans le genre picaresque auquel il donna ainsi son chef-d’œuvre, Lesage multiplia l’observation des milieux et des individus les plus divers, vus dans toutes les classes de la société. Si l’éparpillement de l’action dans une foule d’actions secondaires fait que les personnages y sont noyés, les milieux où s’agitent ces personnages sont supérieurements dépeints et il en ressort une psychologie collective qui remplace celle de l’individu. On a reproché à l’œuvre de Lesage d’être peuplée surtout de coquins ; c’est qu’ils étaient plus nombreux que les honnêtes gens dans les milieux que Lesage décrivait, sans souci des convenances d’une hypocrisie qui mettait le masque de l’honnêteté sur le visage des coquins.

Marivaux (Vie de Marianne, le Paysan parvenu, etc.), continua la réforme du roman par une observation plus directe des mœurs. 11 donna plus d’importance aux caractères, à la psychologie des individus, et moins à l’action. Il commença le roman moralisateur, mais sans y insister trop, à une époque de scepticisme et de frivolité où les derniers moralistes n’étaient que des tartufes attardés. Il faudrait attendre J.-J. Rousseau pour rendre à la morale un caractère, celui de la nature, qui la mettrait à sa vraie place dans les préoccupations humaines. L’abbé Prévost fit abstraction de toute morale conventionnelle dans sa Manon Lescaut où l’intensité de la passion, exclusive de toute considérations, fait de Manon l’égale des plus humaines et des plus vivantes héroïnes de l’amour, à côté d’Yseult, fille de roi, et de la patricienne Juliette. La passion se répandait d’ailleurs dans la littérature avec une expansion qui emportait toutes les convenances, et son déchaînement de plus en plus déclamatoire serait la caractéristique du romantisme. (Voir ce mot.) Elle fut, en attendant, le mobile du roman philosophique, comme la nature en fut le cadre.

Les philosophes, qui employaient toutes les formes littéraires pour la propagande de leurs idées, ne pouvaient négliger le roman et l’importance qu’il avait prise dans la vie mondaine. Par des conventions nouvelles qu’ils y apportèrent, ils y firent pénétrer leurs conceptions sociales. Ils n’insistèrent pas trop sur le côté de la morale. Le ton de la volupté servit à mieux faire passer la philosophie, et l’on eut ainsi, à des degrés divers d’innocence et de perversion, de sérénité et d’orage, toute la gamme des passions, toutes les couleurs des paysages. Les Lettres persanes, de Montesquieu, commencèrent le genre du roman philosophique en apportant une sorte de détachement aristocratique, un objectivisme complet, dans la satire la plus aiguë. Par contre, dans la Nouvelle Héloïse, Rousseau se mit lui-même avec un subjectivisme qui en fit le centre de toutes les passions et de toutes les sensibilités, multipliées par une imagination impétueuse et un ardent lyrisme. Rousseau fut Saint-Preux comme il fut, dans les Confessions, le « petit » de Mme de Warens. Entre le pondéré Montesquieu et le bouillant Rousseau, le sceptique Voltaire donna ses chefs-d’œuvre au roman philosophique (Zadig, Candide, l’Ingénu). Il érigea au dessus du domaine des sentiments celui de l’esprit et de la raison. De son côté, Diderot renouvela le naturalisme scientifique et philosophique de Rabelais (Jacques le Fataliste, la Religieuse, le Neveu de Rameau).

Le roman du xviiie siècle eut encore une assez grande variété de fond et de forme avec les fadeurs champêtres et la fausse innocence de Florian (Galatée, Estelle),

les naïvetés idylliques de Bernardin de Saint-Pierre (Paul et Virginie) qui, en même temps que Marmontel (les Incas), mit l’exotisme à la mode. Ce fut aussi la froide évocation de la vie antique par l’abbé Barthélémy (Voyage du jeune Anacharsis). Les romanciers appelés « libertins » firent les peintures les plus licencieuses des mauvaises mœurs du temps. Laclos (Les Liaisons dangereuses), avait des intentions morales. Il voulait rendre service aux mœurs en dévoilant « les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes ». Crébillon fils (Lettres de la marquise de…, les Egarements du cœur et de l’esprit, l’Ecumoire, le Sopha) et Louvet de Couvray (le Chevalier de Faublas), eurent des intentions moins édifiantes. Enfin, le cycle se ferma sur le réalisme qui fut appelé « cynique » et « monstrueux » de Restif de la Bretonne (le Pied de Fanchette, la Fille naturelle, le Paysan perverti, Monsieur Nicolas, etc.) esprit véritablement encyclopédique, producteur fécond, que les vertueux gens de plume pillèrent d’autant plus qu’ils le méprisèrent davantage, ce qu’ils appellent le « vice » perdant sa mauvaise odeur quand ils en tirent profit.

Le roman du xviiie siècle eut une très grande part d’influence dans l’avènement du romantisme en France. A l’étranger, le romantisme eut des sources plus considérables. (Voir Romantisme.) Bernardin de Saint-Pierre, disciple candide et incompréhensif de Rousseau, qu’il exagéra en faisant un système fantaisiste et arbitraire de ce qui était raisonnable et naturel chez ce dernier, fut l’inspirateur direct du Chateaubriand des Natchez, d’Atala, de René, des Martyrs et aussi du Génie du Christianisme, toutes œuvres qui terminèrent le xviiie siècle plus qu’elles ne commencèrent le xix- siècle, malgré leurs dates.


Le xixe siècle a été la grande époque du roman français, époque qui s’est prolongée jusqu’en 1914. Elle est finie depuis la Guerre qui a bouleversé toutes les « va leurs », surtout celles de la pensée, malgré une production plus abondante que jamais. Le roman ne s’attarda pas dans le romantisme comme la peinture, la musique et surtout la poésie. Dès Balzac, dont les nombreuses œuvres composant la Comédie humaine parurent à partir de 1830, il commença à s’en dégager pour s’établir dans la vie réelle. Le roman romantique eut pour principaux auteurs Ch. Nodier, qui traduisit un des premiers le « vague à l’âme » de l’époque dans le Peintre de Salzburg « journal des émotions d’un cœur souffrant », et dans ses Contes, Senancour (Obermann), Mme de Staël (Delphine, Corinne), B. Constant (Adolphe), A. de Vigny (Servitude et grandeur militaire, Cinq Mars, Stello, Daphné), Th. Gautier (la Jeune France, Mademoiselle de Maupin, dont le préface fut au roman ce que celle de Cromwell fut au théâtre, le Roman de la momie, le Capitaine Fracasse, etc.). George Sand exprima dans le roman le sentimentalisme outrancier de Chateaubriand (Indiana, Lélia, Leone Leon, Jacques, Mauprat, etc.). Elle le reporta sur le monde ouvrier lorsqu’elle partagea les idées des humanitaires de 1848 (Spiridion, les Compagnons du tour de France, Consuelo, le Meunier d’Angibault, etc.). Mais ses meilleures œuvres sont celles dont elle puisa l’inspiration dans la nature (Jeanne, François le Champi, la Mare au Diable, la Petite Fadette, les Maîtres sonneurs, etc.), et dans l’amour (le Marquis de Villemer, les Beaux-Messieurs de Bois-Doré, Mlle de la Quintinie, etc.). Alfred de Musset (Confession d’un enfant du siècle) se dégagea du romantisme, sinon par le fond, du moins par les formes d’un art plus libre. Il fut moins romancier que poète. De même Lamartine (Graziella) romantique dans le fond, eut plus de sérénité classique dans la forme.

Victor Hugo, étroitement romantique dans son théâ-