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les Rosaires, romans religieux propagés dans les couvents espagnols, puis français, répandirent la galanterie ecclésiastique, particulièrement troublante par les désordres hystériques imités de ceux de Thérèse d’Avila et les « cordicoleries » subséquentes. L’Évangile était mis en romans, et Jésus en beau jeune homme, Céladon divin, comme les chromos et les plâtres de l’industrie sulpicienne n’ont pas cessé de le représenter, offrait son cœur et le reste à la frénésie des nonnes et des dévotes dont les sens, furieusement allumés, étaient appelés à témoigner des objets spirituels et d’une divinité qui n’était plus sûre que « par le tact ». On sait, par les exemples toujours actuels, jusqu’où peut aller cette sorte de « spiritualité » chez des vierges pieusement surexcitées et chez des ecclésiastiques flamidiennement disposés. Le pieux François de Sales offrait à ses belles pénitentes ses « Astrées spirituelles », Henri IV, qui s’était livré au père Cotton, y était très sensible. Il faisait ses délices des Amadis et, dans ses derniers jours, de l’Astrée. Il y puisait cette exaltation qui rendit si souvent ridicules ses aventures amoureuses et cette complaisance immorale pour les « honnêtes gens » qui, finalement, le firent assassiner.

Le XVIIe siècle, qui fut celui du roman mondain, fut celui des pires vices hérités de la pourriture physique et morale du temps des Valois, le temps où la médecine eut plus que jamais à s’occuper de la contagion syphilitique répandue par les mœurs royales. « Cent escholiers ont pris la vérole avant que d’être arrivés à leur leçon d’Aristote », écrivait Montaigne dans ses Essais. Tartufe arriva ensuite pour souiller le monde entier de sa morale. Les « honnêtes gens » — qu’il ne faut pas confondre avec « l’homme d’honneur » de Rabelais et « l’honnête homme » de Pascal, homme de mœurs franches, affable, poli, et possédant une véritable culture de l’esprit, qu’on nous présente aujourd’hui comme le type ordinaire de ces temps-là —, ces « honnêtes gens, perclus de vices, avaient besoin de ces allégories (celles de leurs romans), et pour s’illusionner sur eux-mêmes que l’on prétendait peindre, et pour témoigner de leurs inaltérables vertus devant la postérité » (E. Magne). Le roman mondain montra la psychologie du temps qui le créa. Il a continué depuis et il est à remarquer qu’il a toujours eu pour but de mettre en évidence des vertus inexistantes dans le monde qu’il a décrit. Il est le même aujourd’hui où il s’efforce de redorer le lustre d’une société bourgeoise en pleine déliquescence.

Au roman mondain du XVIIe siècle (on pourrait annexer la plupart des Mémoires, Lettres, Journaux particuliers, Historiettes, nombreux à cette époque, qui furent les premières « histoires romancées ». Jusqu’au XVIe siècle, les familles nobles, vivant dans leurs châteaux, avaient écrit leurs annales. Lorsqu’elles furent établies à la cour, leurs préoccupations familiales devinrent d’intrigue et de politique, à l’exemple de celles des princes, et l’on ne vit plus que des Mémoires plus ou moins sincères et véridiques, écrits par certains personnages, ou qu’ils faisaient écrire, sur les événements dont ils avaient été acteurs ou témoins. Il en est qui ont une véritable valeur historique, et c’est par eux que les mœurs du temps sont exactement rapportées, mais le plus grand nombre ne sont que du roman. Citons, parmi ceux auxquels on peut ajouter quelque foi, parce qu’ils ne sont pas des apologies de leur époque et qu’ils en font une critique souvent vive, les Mémoires de La Rochefoucauld, de Retz, de Mme de Motteville, de Bussy-Rabutin, de Rapin, etc. ; les Lettres de Mme de Sévigné, les Journaux particuliers de Dangeau et autres, les Historiettes de Tallemant des Réaux, et divers récits des commérages et scandales de la cour et de la ville, à l’imitation des Caquets de l’accouchée. Comme l’a dit Michelet, romans et mémoires étaient devenus « l’épopée non épique, l’histoire non historique,

descendues l’une et l’autre de la grandeur populaire à la petitesse individuelle. »

Le véritable roman, considéré dans son sens moderne, avait eu déjà, plus ou moins indépendantes de la mode littéraire, plusieurs formes intéressantes et qui, développées, conduiraient peu à peu à celles d’aujourd’hui. Il était plus vrai, plus sincèrement inspiré de l’observation des hommes et des événements, des mœurs et des milieux. Il avait produit au XVIe siècle le Petit Jehan de Saintré, d’A. de la Salle, et les Cent Nouvelles nouvelles. Au XVIe, Rabelais, dans son Gargantua et son Pantagruel, en avait fait une « horrifique » farce, en même temps qu’une véritable somme des connaissances de son époque, une satire audacieuse et une réconfortante « pronostication » des possibilités de la sagesse humaine, si les hommes la voulaient suivre. Dans le même esprit, Despériers avait écrit ses Joyeux devis, et Du Fail ses Propos rustiques et son Eutrapel. Marguerite de Navarre avait composé les contes de l’Heptaméron. Le commencement du XVIIe siècle avait vu les Aventures du baron de Feneste, d’A. d’Aubigné. Vers 1650 furent publiés les États et empires de la lune et du Soleil, romans d’anticipation scientifique que leur auteur, Cyrano de Bergerac, appela « histoires comiques » et qui font penser par bien des points à J. Verne et à Wells. Ces deux ouvrages étaient surtout des romans d’une hardiesse philosophique et d’un esprit naturiste tels, que toutes les éditions qu’on a tenté d’en répandre jusqu’en 1789 ont été systématiquement supprimées, à l’instigation de la congrégation de l’Index, malgré les coupures qu’y pratiquaient les éditeurs. Il en est résulté, à l’encontre de Cyrano de Bergerac, une méconnaissance de son œuvre qu’entretiennent encore les Histoires de la Littérature, celle de M. Lanson, entre-autres. Cyrano était disciple de Gassendi et ami de Campanella ; la Cité du Soleil de ce dernier paraît avoir inspiré son œuvre.

En 1651 paraissait le Roman comique, de Scarron, imité du genre « picaresque », d’après les picaros types populaires espagnols, mendiants et voleurs, dont Mendoza avait dépeint les mœurs un siècle avant dans son roman Lazarille de Tormes. Le Roman comique tranchait, par son réalisme, avec le roman mondain ; mais plus réaliste encore que Scarron furent Sorel et Furetière. Il est regrettable pour la renommée littéraire de ces deux auteurs qu’ils n’aient pas eu des qualités d’écrivains plus solides, car leurs œuvres méritaient de demeurer par leur caractère. Trente ans avant Boileau et Molière, Sorel avait apporté une réaction nécessaire contre le roman à la mode. Dans son Francion, paru en 1622, il avait montré dans toute leur vérité les bas-fonds sociaux et, en particulier, le monde déjà prostitué des gens de lettres. Dans son Berger extravagant (1627), il avait tourné en dérision la littérature du Pays de Tendre et devancé Molière dans la caricature des « précieux ». De son côté, Furetière, dans son Roman bourgeois (1666) fit une peinture exactement observée des mœurs bourgeoises, mais l’esprit d’un Molière y manquait trop pour en faire l’œuvre fortement satirique que le sujet comportait. La peinture des individus et des mœurs trouva en ce temps-là son expression la plus élevée dans les Caractères de La Bruyère, œuvre d’un véritable romancier.

Ce fut Mme de La Fayette qui donna au XVIIe siècle son chef-d’œuvre dans le roman. La Princesse de Clèves ne fut pas seulement le premier roman d’analyse ; elle apporta un ensemble de qualités qui la mit nettement au-dessus de tout le genre romanesque de l’époque. Ce roman est remarquable autant par le fond que par la forme, par la noblesse des sentiments que par son style, qualités qui sont celles du meilleur classicisme. Le XVIIe siècle vit encore le roman mythologique avec les Amours de Psyché, de La Fontaine, et le roman d’éducation avec le Télémaque, de Fénelon. Enfin,