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dictature. Cette dictature a temporairement faussé les révolutions russe et mondiale ;

c) Ce ne sont pas les « élites », les « führers » (guides), les partis, les dictateurs qui sauront mener et mèneront la révolution sociale à bon port, mais les millions d’hommes – les masses « océaniques » – acculés à la faire et à savoir la faire, par la marche historique des choses. La « légende de l’élite » devra être et sera détruite au cours de cette révolution ;

d) Les masses sont acculées à la révolution par la destruction et l’expérience historique. La destruction et l’expérience sont aussi les premières éducatrices des masses. Deux conditions doivent s’y ajouter pour que la révolution puisse prendre le bon chemin et passer à la vraie construction : l’existence d’un mouvement ouvrier révolutionnaire indépendant des partis politiques, et une intense propagande libertaire. L’absence totale de celui-là et l’insuffisance de celle-ci furent la raison principale de la non-réussite de l’idée anarchiste et de la « victoire » du bolchevisme dans la révolution russe ;

e) Le véritable rôle des « élites » est d’aider les masses, de les éclairer, de les enseigner, d’agir dans leur sein, de leur donner l’exemple, mais non pas de les gouverner ;

f) La dictature est toujours la violence publique d’une personne, violence soutenue par une couche privilégiée et fatalement dirigée contre les masses subjuguées et exploitées ;

g) Au cours de la vraie révolution, les masses savent se débarrasser facilement, et sans contrainte, de tous les préjugés inhérents à la société actuelle.

5° La dernière conclusion qui se dégage des faits étudiés, la plus importante, la plus féconde et encourageante, est celle-ci : pour beaucoup de gens, le vrai sens de notre époque est la lutte décisive – la « lutte finale » – entre le capitalisme (acculé à son dernier rempart : le fascisme) et le bolchevisme (qui, pour ces gens, représente la vraie révolution et l’émancipation). C’est une erreur. Le sens historique profond de notre temps sera d’avoir posé et résolu d’une façon concrète cette question fondamentale : Peut-on vaincre le capitalisme, accomplir la révolution sociale et supprimer l’exploitation des masses à l’aide d’un groupe d’hommes – ou d’un homme – qui mènera ces millions d’humains au moyen de la violence politique ? Ou, au contraire, sont-ce ces millions d’humains eux-mêmes qui, par leur action libre et librement coordonnée, pourront seuls atteindre le but ? Qui fera la révolution sociale ? Une élite, un dictateur bolchevique qui tirera « par les cheveux » les masses forcées de lui obéir ? Ou bien les masses libres, conscientes de leur tâche et agissant à l’aide de leurs organisations librement créées ?

Le vrai sens de notre époque n’est pas la lutte entre le capitalisme, d’une part, et le bolchevisme, d’autre part, mais la lutte entre le capitalisme sous toutes ses formes (le « socialisme » autoritaire, ou « bolchevisme », en est une) et le socialisme libre, antiautoritaire.

Le véritable problème de notre époque n’est pas celui d’un choix entre la dictature blanche et la dictature rouge, mais celui d’un choix entre la dictature et la liberté comme levier de la Révolution Sociale. Et le véritable sens de la révolution russe est d’avoir posé concrètement, définitivement, et dans toute sa grandeur, ce problème fondamental qui, ainsi, sera résolu pour les masses d’une façon expérimentale.

Je ne doute pas un instant qu’il sera résolu, par les événements qui vont suivre, dans le sens de la liberté.

La destruction continuelle, fatale, catastrophique, acculera les masses à la révolution sociale. L’expérience durable, présente, de la Révolution russe leur permettra d’éviter, en temps opportun, l’erreur bolchevique. Elles ne voudront plus édifier un nouvel État, une nouvelle autorité, un nouveau gouvernement, sur les ruines de l’État capitaliste détruit. Alors

commencera la période vraiment constructive de la Révolution Sociale, dans l’ambiance d’une liberté d’action des masses laborieuses librement organisées et soutenues dans cette action par les vastes masses tout entières et par les individus. Et c’est alors que sera hautement, mondialement, concrètement et triomphalement confirmée et reconnue l’idée anarchiste. (Lire sur la Révolution Sociale l’ouvrage connu de Pierre Besnard : Les syndicats ouvriers et la Révolution Sociale.)

Tout en se rattachant à l’étude de la révolution russe (d’ailleurs, inséparable de la révolution sociale mondiale), ces conclusions complètent dans une certaine mesure, en l’illustrant et en le concrétisant, l’intéressant aperçu général sur la révolution sociale par Sébastien Faure (voir plus haut). — Voline.

Bibliographie. — Au cours de mon étude, j’ai déjà cité quelques ouvrages à lire. Naturellement, ce n’est pas suffisant. Toutefois, pour le moment, je ne saurais recommander au lecteur aucune œuvre sur la Révolution russe, digne du sujet. Je lui conseille donc de lire tout ce qu’il pourra trouver, à condition, bien entendu, que le livre et l’auteur soient sérieux. Le sujet est extrêmement vaste et presque inexploré. Chaque ouvrage contiendra donc des faits intéressants et inconnus, et aussi des grains de vérité, sans aucun doute. Mais alors, encore une condition s’impose : celle d’apporter à la lecture de chaque ouvrage assez de sens critique. À cette condition, le lecteur saura, je l’espère, lui-même dégager les choses vraies, les faits définitivement acquis, des affirmations douteuses. Il saura aussi, dans la mesure du possible, formuler quelques déductions et conclusions. S’il continue ses lectures au fur et à mesure de la publication de nouveaux ouvrages, il pourra constamment comparer et contrôler aussi bien les faits que les appréciations.

À titre d’exemples, je dirai quelques mots sur deux ouvrages assez connus, notamment : 1° Les œuvres de Trotski. — Il faut les lire avec une très grande circonspection. En effet, extrêmement subjectives et partiales, pleines de polémiques, de haines et de rancunes, traitant les faits à travers une doctrine préconçue, passant sous silence certaines choses, défigurant certaines autres, ces œuvres ne méritent pas une grande confiance. Mais, en sa qualité d’un des acteurs principaux de l’épopée gouvernementale bolchevique, l’auteur fournit sur certains événements une documentation exceptionnellement intéressante, souvent inédite. — 2° L’An I de la Révolution Russe, par Victor Serge. — Ce livre n’est pas mauvais. Il contient beaucoup de faits exacts. Mais, en même temps, il a été écrit assez nonchalamment. Séjournant depuis longtemps en Russie, connaissant la langue, ayant été en relation, non seulement avec presque tous les bolcheviques éminents, mais aussi avec des anarchistes, lui-même ancien anarchiste (aujourd’hui trotskiste en disgrâce et déporté), l’auteur puise, néanmoins, sa documentation uniquement aux sources bolchevistes. Il ne s’est même pas donné la peine de contrôler cette documentation intéressée, partiale, souvent mensongère, de vérifier certains faits à d’autres sources. En résultat, à côté des informations et des appréciations exactes, son œuvre contient beaucoup d’erreurs, d’inexactitudes, d’omissions, et même d’interprétations complètement fausses. Naturellement, ceci diminue de beaucoup sa valeur. La lecture de cet ouvrage exige aussi la plus grande circonspection. — V.


RHÉTORIQUE. La rhétorique, dit l’Académie, est « l’art de bien dire ». Elle est la théorie de l’éloquence comme la grammaire est la théorie du langage.

« Tant que l’homme sait peu, il parle nécessairement beaucoup ; moins il raisonne, plus il chante ; et quand il n’a rien à dire, il amuse l’oreille par son joli babil », a dit Proudhon. L’éloquence – qui est naturelle à