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Les premières impressions « formidables » sur la révolution bolcheviste, impressions qui donnèrent un grand espoir et un bel élan aux travailleurs du monde entier, ne furent qu’une illusion. Comme telle, elle était dangereuse, même à cette époque. Car, un jour ou l’autre, une illusion amène nécessairement, non pas le succès, mais la vérité sur l’insuccès et, ensuite, la désillusion, le découragement, l’indifférence, l’effondrement. C’est ce qui est arrivé déjà, dans une certaine mesure, un peu partout. Continuer à soutenir sciemment cette illusion aujourd’hui, serait aggraver le danger. Car, plus l’illusion dure, plus on insiste à y faire croire, plus la désillusion, le découragement, l’effondrement — qui approchent fatalement — seront désastreux. Il est grand temps, au contraire, de dire toute la vérité, de dévoiler l’illusion, de la reconnaître, de chercher à comprendre les causes de l’échec, de se consacrer — et d’aider les masses — à rechercher la vraie solution. L’attitude courageuse de l’écrivain Panaït Istrati (son œuvre : Vers l’autre flamme), attitude souvent incomprise, parfois blâmée, même flétrie par certains éléments, est pourtant la seule qui soit juste et digne d’un homme et d’un révolutionnaire.

3o « Les bolcheviks sont déjà fortement attaqués et calomniés par la bourgeoisie de tous les pays. En les attaquant à notre tour, nous avons l’air d’être de connivence avec cette dernière, ce qui prête à une confusion fâcheuse ».

Pour moi, la vérité prime tout, car c’est d’elle, c’est de son grand éclat que dépend, en premier lieu, l’issue de la gigantesque lutte engagée. Je me moque pas mal de ce que dit la bourgeoisie. Les raisons et les buts de nos attaques sont diamétralement opposés. Nous n’avons qu’à l’expliquer, au besoin. Tant pis pour ceux qui ne voudraient pas nous comprendre. Ils finiront d’ailleurs par y arriver quand même ; car, tôt ou tard, les bolcheviks se disqualifieront eux-mêmes aux yeux du monde laborieux. Nous serons bien contents, alors, de pouvoir dire que nous avions raison. Car, ce jour-là, notre attitude droite, franche et nette nous attirera des sympathies et des forces indispensables pour la victoire de la véritable Révolution sociale.

D’ailleurs — en réalité — les bolcheviks s’entendent aujourd’hui à merveille avec la bourgeoisie de tous les pays (même avec celle, fasciste, de l’Italie et de l’Allemagne). Ils pactisent avec elle ; ils passent des traités avec elle ; ils font des affaires avec elle ; ils prennent I part à ses conférences ; ils lui rendent des visites de politesse ; ils font avec elle l’échange de notes de félicitations et de condoléances, etc., etc… Il est à regretter i que les prolétaires de tous les pays ne réfléchissent pas assez à des faits de ce genre. Car, cette attitude des bolcheviks mérite bien la réflexion approfondie : elle est une des conséquences fatales de leur erreur et de leur révolution bâtarde. Si la bourgeoisie critique le régime bolcheviste dans sa presse, c’est qu’elle ne voudrait tout de même pas de troubles bolchevistes chez elle. Et, naturellement, elle note, elle met à profit les défauts et les échecs lamentables du système. Pour cela, elle n’a même pas besoin de calomnier. Je trouve, au contraire, qu’elle le fait assez mollement, assez paresseusement — pour de multiples raisons dont je n’ai pas à parler ici. Et quant à l’hostilité du bolchevisme pour le capitalisme, elle est de pure apparence et plutôt d’usage « domestique ». En U. R. S. S., c’est toujours une arme à effet. Au dehors, cette arme s’émousse de plus en plus. Car, en réalité, le bolchevisme n’est qu’une variété du capitalisme. Au fait, les deux capitalismes s’entendent assez bien. Les multiples déclarations des grands seigneurs bolchevistes affirmant que « les deux systèmes économiques peuvent parfaitement coexister et collaborer en étroite amitié », en font foi. Cette attitude du bolchevisme est mille fois plus suggestive, plus effective et plus significative que

}la coïncidence superficielle et purement accidentelle de notre critique avec celle de la bourgeoisie.

4o « La bourgeoisie cherche surtout à détrôner la révolution russe (comme telle, en son entier) qui la gêne et lui fait peur. Cette révolution est tout de même un fait formidable. Elle reste aujourd’hui le seul grand espoir des classes exploitées de tous les pays. En l’attaquant, nous ne pouvons arriver qu’à décourager profondément les masses ouvrières, à les détourner de toute révolution. Nous faisons ainsi le jeu de la bourgeoisie, que nous le voulions ou pas ».

D’abord, nous n’attaquons pas la révolution russe. Tout au contraire, nous attaquons ceux qui ont — momentanément, nous l’espérons — arrêté, déformé, castré cette révolution. Rien n’est plus erroné, plus faux, plus dangereux, que de confondre la révolution russe avec le bolchevisme. Je crois l’avoir suffisamment démontré au cours de mon exposé. Ensuite, si aujourd’hui la bourgeoisie peut, encore et toujours, critiquer cette révolution ; si, d’autre part, les travailleurs arrivent à en être découragés au bout des quinze années qu’elle compte, les seuls responsables en sont les bolcheviks eux-mêmes. Qu’ils s’en prennent donc aussi à eux-mêmes ! Nous n’y sommes pour rien, nous n’y pouvons rien. Enfin, en attaquant le bolchevisme en tant qu’une erreur néfaste, mortelle pour la révolution, nous ne le faisons pas à la légère, ou pour le bon plaisir de critiquer : nous indiquons le fond de l’erreur, nous analysons cette dernière en détails, et nous désignons le moyen de l’éviter à l’avenir. Nous ne poussons donc nullement les travailleurs au découragement ; tout au contraire : nous les en prémunissons. Car, lorsque les masses se seront détournées de la révolution bolcheviste, — non pas à la suite de nos critiques, mais en raison de son échec qui éclatera un jour de façon retentissante et décisive, — elles trouveront dans nos idées et dans notre attitude un nouvel encouragement ; elles sauront déjà que cette révolution n’est pas la seule possible ; elles saisiront nettement le fond de l’erreur ; et elles percevront au même instant la lueur de cette « autre flamme » vers laquelle elles tendront alors leurs efforts.

En plus de ce qui vient d’être écrit, il existe une raison suprême pour laquelle toute la vérité sur le bolchevisme doit être affirmée — que dis-je ? — inlassablement, implacablement criée à travers le monde par tous ceux qui la connaissent.

Nous vivons en pleine époque révolutionnaire. Or, même au sein de telles époques, celle-ci est exceptionnelle. En effet, d’après de nombreux indices, le gigantesque bouleversement qui commence, sera, cette fois, fondamental, complet, définitif. Il aboutira, en fin de compte, non pas à un simple remaniement partiel des rapports économiques et sociaux, — comme ce fut le cas dans les révolutions précédentes, — mais à un changement des bases mêmes de la société humaine. Cette fois, il s’agira, vraisemblablement, non pas d’une nouvelle répartition des privilèges et des biens, laissant intacts l’exploitation des masses et le système de répression politique, mais bien de l’abolition totale de toute exploitation de l’homme par l’homme, et de toute autorité politique. Selon toute probabilité, il s’agira, cette fois, enfin, de l’émancipation intégrale de l’homme.

Cette nouvelle substance de la révolution, sans précédent, exigera de nouveaux procédés, de nouvelles méthodes, toute une nouvelle psychologie, — fait qui est souvent oublié, notons-le entre parenthèses, par ceux qui analysent les événements.

Le processus de cet immense changement sera long, laborieux, pénible. Durant une bonne partie du chemin, il y aura des égarements, des erreurs, des défaillances. des culbutes, des arrêts, des reculs… Tous ces accrocs, tous ces trébuchements serviront d’expériences, de leçons. Et c’est à force de ces expériences surtout