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le peintre évolue en simplifiant sa manière pour aboutir aux œuvres dépouillées et fortes des dernières années. Les élèves de Hals lui doivent leur prodigieuse technique : Brouwer, Adrian Van Ostade (1610-1685), Isaac Van Ostade (1621-1649), Jan Steen (1626-1679) sont plus que des conteurs pleins de verve et de mouvement Mais les générations suivantes renonceront à cet élément d’intérêt. Déjà les intérieurs de Gérard Dow (1613-1675) et de Ter Borch (1617-1681) n’ont point d’autre sujet réel que le jeu des rapports de couleur dans la lumière. Deux grands maîtres, Pieter de Hooch (1636-1677) surtout et Jean Vermeer, de Delft (1632-1675) porteront à la hauteur des plus grandes réalisations de l’art, et par la seule magie de la peinture, le simple aspect d’un intérieur, d’un paysage urbain, de figures calmes et profondes. Le sens de l’espace, que les grands Ombriens ont cherché dans les perspectives lointaines, ils le trouvent et l’introduisent sous une fenêtre discrète, autour d’une table. La lumière est entre leurs mains l’élément d’incantation du tableau.

Mais il faut reconnaître là l’influence — qui, pour certains fut écrasante — du plus grand magicien de la peinture : Rembrandt (1606-1669). Nul peintre peut-être n’est plus complet. Il n’y a pour lui ni genres ni techniques particulières. Ce qu’il a peint, gravé ou dessiné, il l’a, pour ainsi dire, recréé. Il y a le Monde des apparences, et le Monde de Rembrandt. Qui est autre, comme il y a la lumière de Rembrandt et l’étrange vibration de sa peinture. Sa matière, au début brillante et ferme, évolue, comme celle de Frans Hals, vers une liberté, une simplicité, égales à celles de Velasquez. Mais il y introduit un élément que ses glorieux émules ont ignoré et qui est la marque particulière de son génie. Une lumière intérieure, une atmosphère d’ombre rayonnante baignent toutes ses œuvres et leur assurent une emprise que le mot seul de magie représente sans l’exprimer.

Comparés à lui, ses disciples de l’école d’Amsterdam et ses contemporains nous paraissent ou froids ou pauvres. Isolés de lui, ils reprennent leur rang qui est encore celui d’excellents peintres. Ferdinand Bol (1616-1689), Govaert Flinck (1616-1660), Niklas Maes (1632-1693) ; et plus encore Van der Helst (1612-1670) sont des maîtres de la figure humaine.

L’école de Harlem, illustrée en premier lieu, par Frans Hals, est encore l’école des grands paysagistes : Salomon Ruijsdaël (1600-1670), Everdingen (1621-1675), Wouwerman (1619-1668) et Jacob Ruijsdaël (1629-1682), le premier, en Hollande, des compositeurs de paysage, l’un des plus saisissants interprètes, avant Corot, des transparences de l’espace. Après eux, Nicolas Berchem, Berckeyden, vulgarisent le paysage et le rendent décoratif. Amsterdam eut aussi de bon paysagistes : Asselyn, Aest Van der Neer, Philippe et Salomon de Koninck, Karel Dujardin et le grand animalier ingénu : Paul Potter (1625-1655). Mais le seul rival des Ruysdaël, en cette école, est Mindert Hobbema (1638-1709) qui, avec Albert Cuyp (1620-1691), le plus grand des animaliers, prolongent aux abords et au début du xviiie siècle, la grande tradition du paysage hollandais.

Mais la Hollande a produit encore d’étonnants peintres de la mer, les plus vrais, les plus saisissants avant les modernes. Le premier et le plus grand sans doute : Jan Van Goyen (1586-1657), de La Haye, est le maître des ciels mouillés et des transparences marines. Après lui, les deux Guillaume Van de Velde, Van de Capelle, Van der Meer, Backhuysen enfin, illustrent diversement un genre spécifiquement hollandais.

On pourrait en dire autant des innombrables peintres de natures mortes, dont l’habileté dégénère parfois en virtuosité, mais parmi lesquels de vrais maîtres : Kalf, Van Beyerem, Van Huijsum ont laissé des œuvres fortes ou charmantes.

Mais cette immense et savoureuse école s’éteint d’un

coup dès la fin du xviie siècle. Au xviiie, il n’y a plus rien que quelques disciples glacés et mièvres de Gérard Dow et de Van Mieris, plongés dans un académisme de petit genre, de conversations galantes et d’élégances de salon, qui ne se distingue en rien, sinon par sa faiblesse plus grande, de l’esprit des petits maîtres français.

C’est pourtant en partie à la Hollande, mais plus encore à la Flandre et particulièrement à Van Dyck que l’école anglaise du xviiie siècle doit sa naissance et son développement. Mais ce n’est qu’avec un retard de près d’un siècle que se produit cette éclosion. Et l’art anglais apparaît aussitôt fortement caractérisé dans ses éléments de terroir auxquels il doit peut-être de rayonner, à la fin du xviiie siècle, sur toutes les autres écoles.

Hogarth (1697-1764), le premier de ses peintres, ennuyeux dans ses sujets moralisateurs est pourtant un bon peintre, franc et expressif. Mais c’est surtout à la génération suivante que les influences mêlées des Flandres, de Venise et d’Espagne font surgir les grands portraitistes mondains, parmi lesquels Reynolds (1723-1792) et Gainsborough (1727-1788) tiennent une place particulière, celui-ci plus complet, plus génial et l’un des premiers maîtres du paysage où l’école anglaise se distinguera. Après eux, Rneburn, Romaney, Hoppner, Opie ; et Lawrence (1769-1830) qui les égale presque en renom. En même temps le paysage, naturaliste à la manière hollandaise mais avec une originalité savoureuse, se développe à la suite de Gainsborough et de John Crome (1769-1831). Mais ses plus belles réalisations et ses directives magistrales, celles qui de Constable et de Turner viendront influencer le romantisme français, appartiennent déjà au xixe siècle.

XIXe siècle. — La grande fermentation des esprits qui précède la Révolution française n’a pas son équivalent dans l’histoire de la peinture ; mais son pendant, s’y retrouve. Si l’on veut bien comprendre que l’œuvre de la Révolution fut moins l’explosion de passions populaires qu’une imitation de juristes épris d’héroïsme à l’antique, on ne manquera pas de noter la réaction archéologique qui se produisit en peinture, environ le milieu du xviiie siècle et dont Vieu, J.-B. Pierre, Regnault, Peyron et, plus que tous, David (1748-1825), furent les truchements ou les prophètes. C’est un nouvel académisme, non plus inspiré de la Renaissance, mais puisant directement à l’antique compris à la façon de Montesquieu, un paganisme sans volupté, cérébral, une conception de moralistes. Cette réaction contre les polissonneries et les manières de la peinture de boudoir, cette tendance au grandiose n’eût donné que des œuvres ennuyeuses si David n’avait été, à côté d’un théoricien pompeux, un grand peintre simple. Son exemple plus que ses leçons restituèrent à la peinture ses nobles ambitions, la conscience et le respect du beau métier. On n’accepta plus le faire facile, ni la hâte. À cette rigueur l’école française dut de s’élever au grand art qu’elle avait entrevu et manqué au xviie ; mais si, cette fois, elle y réussit, c’est que des éléments d’une technique forte et vivante lui vinrent, à la fois, des espagnols, des vénitiens, des flamands, des hollandais et des anglais et qu’elle sut les utiliser sans s’y asservir. C’est aussi qu’elle rencontra dès les premières années du xixe quelques puissants génies qui l’empêchèrent de dévier.

Les débuts de cet âge, le plus grand, le plus vivant de la peinture française, ne manquent pas de confusion. Il brillera d’ailleurs plus par la profusion des génies particuliers que par l’unité de tendances. Le classicisme à la romaine de David est dominé par ses fortes réalisations. En même temps un romantisme d’inspiration, une inquiétude sentimentale, pénètrent l’école, à la suite des littérateurs. En marge P.-P. Prud’hon (1758-1823), qui n’échappe pas toujours à l’allégorie, est un séduisant coloriste, influencé tardivement