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l’État, conformément à uns estimation officielle et « juste » ; 2° le Parti social-démocrate préconisait une aliénation pure et simple des terres indispensables aux paysans, lesquelles terres constitueraient ainsi un fonds national distribuable aux paysans au fur et à mesure des besoins (nationalisation ou municipalisation des terres) ; 3° le Parti socialiste révolutionnaire offrait la solution la plus radicale ; à savoir : la confiscation totale de toutes les terres faisant l’objet de propriété privée, la suppression immédiate et complète de toute propriété foncière, la mise à la disposition des collectivités paysannes de toutes les terres (socialisation des terres).

Une note importante est à ajouter à ce qui vient d’être dit. À l’époque de la Révolution de 1905, deux courants d’idées (qui allaient aboutir plus tard à une scission complète) se dessinèrent déjà nettement au sein des deux partis de gauche (Soc.-Dém. et Soc.-Rév.) : dans l’un comme dans l’autre, se précisa, à côté du courant « officiel », une mentalité réfractaire au programme établi. D’après cette idéologie nouvelle, la révolution qui approchait avait des chances de devenir, dès à présent, une vraie révolution sociale. Les partisans de ce courant, dans les deux partis, insistaient donc sur la nécessité d’abandonner le programme minimum en cours et de le remplacer par un autre, plus révolutionnaire, plus socialiste. Dans le parti social démocrate, ce courant aboutit, déjà en 1903, à la naissance du bolchevisme (voir ce mot) et, plus tard, à la formation du Parti communiste (bolcheviste). Et quant au Parti socialiste révolutionnaire, il se divisa finalement aussi en deux partis distincts : celui des socialistes révolutionnaires de droite, qui défendait toujours la nécessité de passer, avant tout, par une république démocratique bourgeoise, et celui des socialistes révolutionnaires de gauche, qui prétendait, parallèlement au bolchevisme, que la prochaine révolution devrait être poussée le plus loin possible, notamment jusqu’à la suppression immédiate de l’État capitaliste et l’instauration d’une République sociale. Lors de la révolution de 1905, l’influence pratique de ces deux courants réfractaires était encore insignifiante.

Pour compléter l’exposé de divers courants d’idées, lors de la révolution de 1905, signalons que le parti socialiste révolutionnaire donna naissance, vers la même époque, à un troisième credo social, qui alla jusqu’à l’idée de devoir supprimer, dans la prochaine révolution, non seulement l’État bourgeois, mais tout État, en général, comme institution politique. Ce courant d’idées se rapprochait donc sensiblement de la conception anarchiste, sans toutefois l’adopter en entier. Il est connu en Russie sous le nom de maximalisme (voir ce mot).

Quant aux conceptions anarchistes et syndicalistes, elles étaient, à cette époque, très peu répandues en Russie. Comme déjà dit, quelques groupements libertaires existaient à Saint-Pétersbourg, à Moscou et dans le Midi. C’était tout. Cependant, un groupe anarchiste de Moscou participa très activement aux événements d’octobre et se fit remarquer dans des manifestations révolutionnaires.

Les conséquences morales, les effets psychologiques des événements de 1905 étaient plus importants encore que les réalisations concrètes immédiates. Tout d’abord, comme nous l’avons déjà signalé, la légende du tsar s’évanouit, l’absolutisme fut moralement détrôné. Ce ne fut pas tout. Car, du même coup, les masses populaires se tournèrent vers les éléments qui, depuis longtemps déjà, combattaient cet absolutisme : vers les milieux intellectuels et avancés, vers les partis politiques, vers les révolutionnaires, en général, etc. Ainsi, un contact solide et vaste s’établit, enfin, entre les milieux avancés et la masse du peuple. Désormais, ce contact ne put que se consolider et s’approfondir. Le « paradoxe russe », dont nous avons parlé plus haut, avait vécu.

Quelques mots sont à dire ici sur le sort personnel de Nossar-Khroustaleff, premier président du premier so-

viet ouvrier de Saint-Pétersbourg. Arrêté lors de la liquidation du mouvement, il fut condamné à être exilé en Sibérie. Il se sauva et se réfugia à l’étranger. Mais, de même que Gapone, il ne sut pas s’adapter à une nouvelle existence et encore moins se mettre au travail régulier. Certes, il ne mena pas une vie de débauche, il ne commit aucun acte de trahison… Mais il traînait à l’étranger une existence déréglée, misérable, malheureuse. Cela continua jusqu’à la Révolution de 1917. Aussitôt celle-ci éclatée, il se précipita, comme presque tous les émigrés russes, en son pays, et y participa aux luttes révolutionnaires. Ensuite, on l’a perdu de vue. D’après quelques informations, venues d’une source digne de foi, il se dressa finalement contre les bolcheviks et fut fusillé par ces derniers.

Vers la grande explosion (1905–1917). — Les douze années – exactement – qui séparèrent la véritable révolution de son ébauche n’apportèrent rien de saillant au point de vue révolutionnaire. Au contraire, c’est précisément la réaction qui triompha bientôt sur toute la ligne. Le sort de la Douma en fut la manifestation la plus éclatante.

La Douma commença à siéger en avril 1906. Un enthousiasme populaire débordant l’accueillit à sa naissance. Malgré toutes les machinations du gouvernement, elle s’avéra nettement en opposition. Le Parti constitutionnel démocrate la domina par le nombre et la qualité de ses représentants. Le professeur V. Mouromtzeff, un des membres les plus éminents de ce parti, fut élu président de l’Assemblée. Les députés de gauche – sociaux démocrates et socialistes révolutionnaires ( « travaillistes » ) – y formaient également un bloc imposant. La population entière suivait les travaux de la Douma avec un intérêt passionné. Tous les espoirs volaient vers elle. On en attendait au moins des réformes larges, justes, efficaces.

Mais, dès le premier contact, une hostilité – sourde d’abord, de plus en plus ouverte par la suite – s’établit entre le « parlement » et le gouvernement. Ce dernier entendait traiter la Douma du haut en bas, avec un dédain qu’il ne masquait même pas. Il la tolérait à peine. Il l’admettait difficilement, même à titre d’institution purement consultative. La Douma, elle, cherchait, au contraire, à s’imposer comme une institution législative, constitutionnelle. Les rapports entre l’un et l’autre devenaient de plus en plus tendus. Naturellement, le peuple prenait parti pour la Douma. La situation du gouvernement devenait ridicule et dangereuse. Toutefois, une révolution immédiate n’était pas à craindre. Et puis, le gouvernement comptait sur ses troupes. Il se décida donc bientôt à une mesure énergique. Un beau jour, au lendemain de quelques discussions orageuses avec les représentants du gouvernement, la Douma – la soi-disant « première Douma » – fut dissoute (en été 1906). À part quelques émeutes, dont la plus importante fut celle de Cronstadt (plus sérieuse encore que celle d’octobre 1905), le pays resta tranquille. Quant aux députés eux-mêmes, ils n’osèrent pas résister efficacement. Ils se soumirent à la dissolution et se bornèrent à lancer une note de protestation contre cet acte arbitraire. Pour élaborer cette note, les ex députés – il s’agit surtout des membres du Parti constitutionnel démocrate – se rendirent dans une ville de Finlande, la ville de Vyborg, ce qui fit appeler cette note « l’Appel de Vyborg ». Après quoi, ils se rendirent tranquillement chez eux. Malgré le caractère anodin de leur « révolte », ils furent jugés quelque temps après par un tribunal spécial et condamnés à quelques peines, d’ailleurs légères. Un seul député, jeune paysan du gouvernement de Stavropol, le « travailliste » F. Onipko, ne se résigna pas. Ce fut lui l’animateur de ce second soulèvement de Cronstadt. Saisi sur place, il faillit être passé par les armes. Finalement, il fut jugé