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à la Constitution. Mirabeau, qui était l’idole du peuple, se rapproche de la Cour. La Fayette de même. Mais l’Ami du Peuple veille. Il dénonce les trahisons. Le Roi, dans son palais des Tuileries n’est plus qu’un prisonnier. On demande, au club des Jacobins, sa déchéance ; ce club est issu, après scission, de la société fondée par les premiers Constituants. Il n’allait pas tarder à devenir tout puissant et à rallier toutes les énergies révolutionnaires. En face des Jacobins, les Cordeliers se montrent aptes aux coups de force et aux émeutes. Ils avaient d’ailleurs un sens aigu des besoins du peuple et ne perdaient pas de vue les nécessités économiques. C’est à eux qu’on doit, en 1791, les grèves des charpentiers, des typographes, des chapeliers, des maréchaux-ferrants, etc…

L’Assemblée s’était prononcée contre les ouvriers et elle votait la fameuse loi Le Chapelier, réprimant sévèrement toute coalition tendant à imposer un salaire aux patrons. Ainsi l’Assemblée devenait de plus en plus réactionnaire.

De son côté, La Fayette interdisait fout cortège. Les journalistes révolutionnaires, sentant le péril, redoublaient d’attaques. Le peuple fut convié à signer une vaste pétition, au Champ de Mars, sur l’autel de la Patrie. On prit pour prétexte la pendaison de deux individus cachés sous l’autel et que la foule qualifiait de brigands, pour appliquer la loi martiale. La foule résista. Puis ce fut la fusillade. Marat, les jours suivants, estimait, dans son journal, qu’il y avait eu quatre cents morts.

Pour la première fois depuis la prise de la Bastille, la troupe tirait sur le peuple. Ce ne devait pas être la dernière.

L’épouvante règne sur Paris. Mais l’Assemblée avait reçu le rmp mortel. Elle n’était plus en communion avec la Révolution. Sur quoi Robespierre fit décréter qu’aucun des Constituants ne pourrait être réélu. Quant au Roi, il paraissait triompher. Il était armé du veto. La Révolution, abandonnée par ses journalistes, semblait bien malade. Marat jetait un cri d’alarme et se réfugiait en Angleterre. Camille Desmoulins, lui-même, cédait au désespoir. Loustalot se taisait. L’heure était tragique.

Les élections eurent lieu dans le milieu de 1790, parmi de nombreuses abstentions. Le 1allemand octobre, la Législative se réunit. Il y avait 745 députés, pour la plupart jeunes et ardents. Presque tous inconnus, d’ailleurs. L’élément le plus agissant et remuant se composait des députés de Bordeaux : les Girondins, flanqués de Brissot et de Condorcet, élus de Paris. L’un d’entre eux va émerger et faire presque oublier Mirabeau : c’est Vergniaud.

Cependant, la vie économique est de plus en plus précaire, aussi bien à Paris qu’en province. La récolte s’annonce mal. On manque de pain et de sucre. La foule affamée assiège et pille boulangeries et épiceries. Un peu partout on signale des bagarres, des coups de main. La Jacquerie semble renaître et s’étendre, et l’inflation poursuit ses ravages.

Déjà la bourgeoisie s’installe dans la Révolution qu’elle va escamoter à son profit. Par bourgeoisie, il ne faut pas entendre une classe homogène. Les profiteurs de la Révolution sont généralement des fonctionnaires, des agents de cette Révolution, des miséreux d’hier, tripotant sur les fournitures, sur les assignats, touchant de tous côtés. Ce sont ceux-là qui constitueront, avec les débris de l’ancienne, la nouvelle bourgeoisie qui connaîtra la toute-puissance durant le xixe siècle.

Quelques-uns des hommes les plus représentatifs de la Révolution sont, d’ailleurs, soupçonnés de vénalité et de trahison. On accuse Danton d’avoir touché de l’argent anglais. Albert Mathiez, documents en mains, a montré de quoi ce tribun vendu était capable et ses

contradicteurs ont dû s’incliner (voir Louis Madelin). Mirabeau est également un homme d’argent et il en reçoit aussi bien de la Cour que de l’Anglais. Parmi les agitateurs, combien de personnages louches, provocateurs et policiers !

A l’extérieur, la situation est tendue. Les émigrés de Mayence, de Coblence, se répandent en menaces. Ils escomptent une prompte revanche. Les deux frères du Roi publient un manifeste anonyme. Le Roi se montre indécis. Il est conseillé par les Lameth, par Barnave, par Dupont, les auteurs de la Constitution. Et, d’autre part, la lassitude commence à gagner le peuple.

Cet état d’esprit et ces incidents ne vont pas tarder à provoquer la guerre. Cette guerre, les Girondins la désirent, l’appellent de tous leurs vœux. Ce sera un dérivatif puissant. C’est Brissot, surtout, qui, pendant des mois, s’efforcera d’habituer les esprits à l’idée de guerre. Il est soutenu par Vergniaud, par Isnard. Seul, Robespierre résiste. Mais il est impuissant devant cette sorte île psychose et ne trouve devant lui que des hommes qui rêvent d’imposer par la force l’idée révolutionnaire. Il n’est question que d’abattre les tyrans et de proclamer la guerre sainte. Mais, à la vérité, ce ne sont pas les révolutionnaires — ceux qu’on appellera plus tard les Montagnards — qui prêchent la guerre ; ce sont les hommes de droite, les têtes chaudes de la Gironde. Et la Cour, un instant rebelle, finira par s’incliner. Le ministre, Narbonne, du reste, s’affirme d’accord avec les Girondins. Il va si loin que Louis XVI, pour une fois clairvoyant, décide de le renvoyer. C’est alors que Vergniaud prononce son fameux discours, dénonçant les Tuileries, et menaçant la Cour du glaive de la Loi. Discours sensationnel. Les rares hommes qui demeurent pacifistes sont débordés. Le ministère s’effondre. Il sera remplacé par le ministère girondin avec Roland, Clavière, Dumouriez. Et un ultimatum est adressé à l’Autriche.

Le 20 avril 1792, le Roi, devant l’Assemblée, propose de déclarer la guerre au « Roi de Hongrie et de Bohème ». Cette proposition est votée presque à l’unanimité, parmi les acclamations. Mais, il ne faut pas l’oublier, c’est le Roi qui fait voter ce décret. D’accord, avec Marie-Antoinette, il espérait que l’ennemi serait à Paris avant peu et qu’il le rétablirait dans ses privilèges.

Les débuts, d’ailleurs, sont terribles. Biron et Dillon se font battre effroyablement. Les fuyards croient à la trahison et massacrent Dillon. Les Girondins, furieux, dénoncent les lâches et s’en prennent aux prêtres non assermentés. Puis ils licencient la garde constitutionnelle du Roi et laissent se former, au Champ de Mars, un camp de 20.000 fédérés, fidèles à la Révolution et venus de tous les coins des départements. Du coup, le Roi se trouvait isolé, sans défenseurs. Mais, conseillé par la Reine, il résiste. Les Girondins commencent à songer à une journée d’émeute.

Les faubourgs sont armés. Les agitateurs habituels font leur réapparition. Le 20 mai, la foule se dirige vers les Tuileries, où elle pénètre. Le Roi est obligé d’accueillir les émeutiers. Mais la « journée » demeure sans conclusion. Vers le soir, la foule, fatiguée, se retire.

La Gironde prépare aussitôt sa revanche. De nouveaux soldats patriotes sont appelés, en grand nombre, à Paris. Les 48 sections de Paris sont décrétées en permanence. Le 11 juillet, l’Assemblée déclare la Patrie en danger. Un Comité d’Insurrection est constitué, qui se réunit soit au Soleil d’Or, place de la Bastille, avec Santerre, Chaumette, Chabot, Fournier l’Américain ; soit chez Duplay, le menuisier de la rue Saint-Honoré, qui héberge Robespierre. C’est Robespierre qui rédige les pétitions réclamant la déchéance du Roi. Danton, lui, est absent de Paris. On ne le reverra qu’à la veille de la bataille. Pétion est maire de Paris. Mais il sera débordé par la Commune insurrectionnelle.