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lins, la bagarre des Tuileries, la ruée vers les prisons et l’Arsenal. Qu’il suffise d’indiquer qu’à la vérité la Bastille n’était pas défendue et qu’on s’explique difficilement le hasard qui conduisit le peuple armé vers cette vieille forteresse royale. La vérité aussi, c’est qu’une armée de mendiants était descendue de Montmartre et que les brigands, comme on disait alors, avaient mis le feu aux barrières, terrorisant Paris. La petite bourgeoisie, les artisans, les ouvriers s’armaient beaucoup plus contre ces brigands et contre les mercenaires étrangers que contre le Roi. Toutefois, le renvoi de Necker, alors populaire, fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres.

Pendant trois nuits, la population parisienne fabriqua des piques. Des patrouilles de patriotes sillonnaient les rues, entraient dans les maisons, veillaient sur la sécurité de la ville. Des bandes pillaient les armuriers. Le 14, au matin, toutes ces bandes se dirigent vers la Bastille où tenait M. de Launay, à la tête d’une petite garnison. Tout d’abord, le gouverneur semble céder aux sommations de la foule, fait retirer les canons, consent à recevoir des représentants de cette foule qui visitent la forteresse. Puis la foule essaie d’entrer ; elle tente de mettre le feu à l’une des tours, d’abattre les portes à coups de hache. La garnison prend peur et tire. Puis, de plus en plus apeurée, elle se révolte contre le gouverneur qui doit se soumettre. Ainsi tombe la Bastille. La foule se précipite. Elle trouve dans la vieille prison sept prisonniers, dont deux fous. C’est tout. Mais la Bastille était comme le symbole de l’oppression et, pour la première fois, le peuple ivre de joie, se sentait vainqueur de l’autorité.

Des siècles de servitude et de misère avaient fait à tous ces hommes des âmes dures. Il s’en suivit des représailles sanglantes. On tranche la tête de Launay. Mais de Launay était un tripoteur avare et voleur, connu comme tel dans le quartier Antoine. On abattit Flesselles, prévôt des marchands. Mais Flesselles s’était moqué de la population et était complice de de Launay. Quant à Berthier et Foulon, ils étaient tout désignés à la vindicte populaire, comme accapareurs et affameurs.

Au fond, le nombre des victimes de la vengeance du peuple n’est pas considérable et les historiens réactionnaires ont systématiquement monté en épingle ces « horribles forfaits ».

La Cour, attérée, n’eut même pas l’idée de réagir. Elle laissa Bailly s’installer, triomphant, à l’Hôtel de Ville et rejeter la cocarde blanche pour lui substituer la cocarde tricolore. Cependant, le Roi demeurait sympathique. Nul ne songeait à l’attaquer. La Monarchie paraissait à tous intangibble. Toutefois, la prise de la Bastille faisait naître tous les espoirs de libération. En province, quand on apprit la chute de la forteresse, ce fut une explosion de joie. Partout, on prend les armes. La Révolution est en marche.

À Versailles, l’Assemblée discute sur la Constitution. Elle supprime la plupart des privilèges (Nuit du 4 août) et acclame le Roi, restaurateur de la liberté française. À Paris, les clubs s’agitent. Des hommes nouveaux apparaissent. Des journaux voient le jour. À ce moment, l’Assemblée se coupe en deux : d’un côté, les modérés ; de l’autre, les révolutionnaires. Le 30 août, une émeute éclate à Paris, que la garde nationale, commandée par La Fayette, disperse brutalement.

La Cour, mal conseillée, croit alors pouvoir tenir tête. Elle fait entrer à Versailles le régiment de Flandre auquel elle ménage une réception scandaleuse, au cours de laquelle la reine, Marie-Antoinette, ne craint point de danser avec des soudards ivres, parmi les cris de : « À bas l’Assemblée ! ». À Paris, l’impression est profonde. La révolte, de nouveau, gronde dans les rues. De plus, c’est la misère qui continue. On fait la queue aux portes des boulangeries. Et le duc d’Orléans,

prétendant à la couronne, distribue l’argent, lance ses agents. Mais, selon le maire Bailly, l’autorité royale aurait organisé, elle-même, des pillages qui, empêchant le ravitaillement, conduisait le peuple de Paris à la famine. Qu’espérait la Cour ?

La riposte ne se fit pas attendre. Les clubs tonnèrent. Les femmes se mirent de la partie. Formées en cortège et ayant à leur tête l’huissier Maillart, un des vainqueurs de la Bastille, elles se mirent en route pour Versailles.

Au moment où elles arrivaient à Versailles, le Roi chassait dans les bois de Verrières. Il venait de repousser la Déclaration des Droits de l’Homme. Il avait l’âme paisible. La Reine était à Trianon. Le ministre, comte de Saint-Priest, proposait de faire marcher la troupe sur les femmes. Necker s’y opposa. Alors, des femmes envahirent l’Assemblée et d’autres se jetèrent vers le château. À l’Assemblée, les députés se sentaient impuissants. Robespierre monta à la tribune pour défendre les femmes. Déjà, il commençait à donner sa mesure, et Mirabeau qui l’observait avec curiosité, disait : « Cet homme ira loin, il croit ce qu’il dit ».

Finalement, le Roi donna son consentement à la Déclaration. Mais le château était envahi. La Fayette, accouru de Paris et, ayant tout apaisé, était allé se coucher. Mais, au matin, les portes du château sont enfoncées. Les femmes pénètrent dans les appartements de la Reine, qui s’enfuit par un couloir dérobé. Des gardes du corps sont massacrés. La Fayette surgit ; il apparaît au balcon, flanqué du Roi, de la Reine et des enfants. Un immense cri retentit : Le Roi à Paris ! Il faut s’incliner. La garde nationale fait escorte à la famille royale. Les femmes reviennent triomphantes dans la capitale avec le boulanger, la boulangère et le petit mitron. On crie partout : Vive la Nation ! Le Roi, conduit à l’Hôtel de Ville, fait triste figure.

Désormais, il va s’installer aux Tuileries. Là, il est sous l’œil et dans les mains du peuple.

Quelques jours après, l’Assemblée déclare que les biens du clergé étaient à la disposition de la Nation. C’est Talleyrand qui est l’auteur de cette proposition. Puis l’assignat est décrété. Il jouera un rôle terrible pendant toute la Révolution, sans amener une amélioration au sort des malheureux citoyens, en proie à la plus affreuse disette.

Nous avons parlé des journaux. Ils vont exercer une action de plus en plus prépondérante sur le peuple. Ce sont, d’abord, les brûlots de Camille Desmoulins : Discours à la Lanterne, La France Libre. Camille va lancer bientôt : Les Dévolutions de France et de Brabant. Puis, Les Révolutions de Paris, de Prud’homme et Loustalot, L’Orateur du Peuple, de Fréron, et, surtout, L’Ami du Peuple, de Marat. Marat, c’est l’œil du peuple ; il clame furieusement ce qu’il croit être la vérité ; il dénonce les ennemis de la Nation. Tour à tour, Bailly, La Fayette, Necker sont les objets de ses accusations, d’ailleurs justifiées. Il est poursuivi, traqué par toutes les autorités, défendu par les clubs, au premier rang les Cordeliers, avec Danton. L’influence qu’il va exercer, sera formidable. Ce savant, auquel on doit de nombreuses découvertes, notamment dans le domaine de l’électricité médicale, est inouï d’activité et de passion révolutionnaire. On peut affirmer que, durant ses premières années, alors que Robespierre se cherchait encore, il fut l’âme de la Révolution.

Cela nous amène à la tentative de fuite de Varennes. Le Roi est arrêté, ramené à Paris. Mais l’effet produit est des plus fâcheux sur l’esprit populaire. On accuse la Reine de l’avoir conseillé et de pactiser avec l’ennemi. Elle est sans cesse accusée et bafouée. On l’appelle déjà : l’Autrichienne. Cette fuite avortée de Varennes, a fait beaucoup contre la Monarchie.

Les événements se précipitent. Barnave fait voter le fameux décret obligeant les prêtres à prêter serment