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2009

le dernier peut-on dire, il convient de noter que récole même de Raphaël a, depuis vingt ans, disparu.

Nous avons vu de quelles influences s’est formé le grand éclectique dont le nom a longtemps passé pour le parangon de toute peinture. Rafaele Santi, ou Sanzio (1483-1520) est né à Urbin, en Ombrie. Il vient à Rome en 1508 et, jusqu’à sa mort, comblé d’honneur, de gloire et de plaisirs, il accumule une œuvre immense, dont il abandonna trop souvent l’exécution à des élèves. Cet illustrateur génial, cet adaptateur prodigieux est peut-être le plus grand « compositeur dans l’espace » qui ait existé. Mais les symptômes de décadence qui germent dans l’art italien, Raphaël les porte déjà en lui : la virtuosité, une certaine négligence, un amollissement de la forme et la monotonie de la couleur. La force du contour et du modelé, la maîtrise du mouvement, conquises durement par les artistes volontaires du xvie, tombent dans l’agrément de l’art facile, dans une formule de bon ton qui est la loi de l’académisme. Le meilleur élève de Rafaël, Jules Romain (1492-1546), acheva certaines de ses œuvres.

Avant d’aborder l’École de Venise, qui résistera et survivra seule à l’académisme, nous devons étudier un autre maître dont l’influence contrebalança celle de Michel-Ange et de Rafaël. Allegri, dit le Corrège (1494-1534), peintre de Parme, formé à l’école de Ferrare, introduit dans l’art italien un élément nouveau de sensualité directe et charnelle, fait d’un clair obscur caressé de lumières, de couleurs chaudes, de formes enveloppées. Dans une atmosphère de Vinci, des formes belles et puissantes, qui semblent d’un Michel-Ange heureux, exaltent la chair comme seuls purent le faire, par la suite, les Vénitiens et Rubens. Corrège fut exploité par les jésuites et la contre-réforme. On employa son œuvre et sa manière, attirantes par leur sensualité, à l’aide de l’Église de Rome mise en péril par les chrétiens rigides du Nord et qui revenait, avec son sens naturel de l’adaptation, dans une société paganisée, à sa source païenne. L’École issue de Corrège compte un peintre secondaire, Francesco Mazolla, dit le parmesan (1503-1540).

A Venise, Giovanni Bellini relie le xve au xvie. Mais Giorgione (1478-1510), son élève, à qui on a attribué longtemps trop d’œuvres et trop d’influence, induit pourtant la peinture vénitienne à des recherches d’incantation purement picturales : mythographe de la vie contemporaine, luministe et coloriste sensuel, Giorgione n’est pas sans action sur l’œuvre de ses successeurs. Tiziano Vecelli, le Titien (1488-1576), issu, comme Giorgione, de Giovanni Bellini, ne cessa, au cours de sa longue existence, d’approfondir et de libérer son génie propre. Son œuvre, immense et de la plus grande variété, donne parfois dans l’éloquence théâtrale ; mais la matière est une des plus belles qui soient. Ces qualités de matière et de couleur distinguent aussi bien les contemporains du Titien, que sa gloire ne doit pas éclipser : Palma l’Ancien (1480-1528) ; Lorenzo Lotto (1480-1547) ; Sébastiano del Piombo (1485-1547), artistes personnels et diversement savoureux.

Mais deux très grands maîtres apparaissent, dans la génération des élèves : Tintoret (1518-1594) et Paolo Cagliari, dit le Véronèse (1528-1588). Tintoret est de tous les peintres de Venise celui qui, par sa force, sa fécondité d’invention, sa hardiesse et sa nouveauté, rappelle le plus Michel-Ange. Véronèse s’assimile la plénitude vénitienne avec une solennité qui semble presque espagnole, mais qui n’est, à tout prendre, que la magnificence hautaine de ses prédécesseurs de l’Italie du Nord. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher de lui le grand peintre de Brescia, Moretto (1498-1555) et son élève G. Moroni (1520-1578). Avec Véronèse et Tintoret, Bonifazio et son élève Jacopo Bassano (1510-1592), prolongent jusqu’à la fin du siècle le grand âge de la peinture vénitienne.

C’est aux maîtres de Venise et de l’Italie du Nord, que les Néerlandais et les Flamands du xvie siècle demandent leur inspiration. En Quintin Matsys, d’Anvers, (1466-1530) survit pourtant une pointe de réalisme mystique à la Van der Weyden. Mais Jean Gossaert de Mabuse (1470-1541), grand technicien, Van Orley (1488-1541) n’évitent que dans le portrait les déviations de l’italianisme. Lucas de Leyde (1494-1533) est plus personnel et, dans son œuvre de graveur, entièrement original et grandiose.

Jérôme Bosch (1465-1516) et ses grotesques, Joachim de Patinir (1475-1524) et plus encore Pieter Brueghel (1520-1569) gardent la tradition flamande. Les figures du dernier sont un étonnant mélange de rusticité fruste et de grandeur humaine. Joos Van Cleve le Jeune (1510-1554), Isenbrant (1510-1580) et Willem Key (1515-1568) suivent, au contraire, de près, l’exemple de Mabuse et de Van Orley. Anthony Mor (1512-1576), l’un des premiers maîtres hollandais, est, dans le portrait surtout, égal aux plus grands.

Par contre, le xvie siècle est, pour l’école allemande, la grande période d’activité. De nombreux maîtres y apparaissent : Bernard Strigel (1460-1528) encore près des enlumineurs, Zeitblom, inspiré des sculpteurs sur bois de la Souabe, Hans Fries, et ses vierges suisses (1465-1518), Holbein le Vieux, puissant et lourd.

Tous ces maîtres sont dépassés par un homme au génie universel, Albrecht Dürer (1471-1528), de Nuremberg. Dürer, comme les Flamands de son temps, fut imprégné d’influence italienne ; mais à travers les italiens, c’est l’antiquité elle-même qu’il veut atteindre. En ce sens, il est le premier à poser et à résoudre le problème de l’humanisme allemand, comme le posera et le résoudra Goethe. En dehors de son œuvre de peintre, Dürer accumula toute sa vie, dans la gravure, des chefs-d’œuvre d’une invention, d’une beauté de forme et d’une exécution incomparables. L’influence de Dürer sur la peinture allemande fut immense, même sur ses contemporains dont plusieurs furent d’un réel mérite. Hans Von Kulmbach (1476-1522) reste près des tailleurs de bois franconiens ; Schaüffelein (1480-1540) annonce déjà le style baroque. Martin Schaffner (1480-1541) et Beham (1502-1540) sont plus italianisés. Mais bien plus significatifs sont l’alsacien Hans Baldung Grien (1480-1545), grand maître de la forme et graveur d’un haut et pur style, et le bavarois Albrecht Alldorfer (1480-1538), poète aux rêves grandioses, génial paysagiste, étonnant romantique. Coloriste aux effets neufs, qui parfois annonce Greco, Alldorfer est le plus puissant inventeur que l’art allemand ait connu entre Dürer et Mathias Grünewald (œuvre entre 1500 et 1529). Celui-ci est un grand peintre, le plus peintre des Allemands, d’un réalisme et d’un mysticisme également saisissants, et d’une personnalité intense dans le dessin, âpre et tragique. Le courant flamand n’est pas cependant, en Allemagne, entièrement épuisé. Joos Van Cleve le Vieux (mort vers 1540) détermine à la flamande toute l’école de Cologne. Bruyn (1493-1555), son disciple direct, est le dernier artiste notable de ce milieu. En Westphalie, les frères Heinrich et Victor Dünwegge doivent aussi beaucoup à cet enseignement.

Mais en dehors de ces deux courants, flamand et italien, si bien fondus dans le grand humanisme de Dürer, Lucas Cranach (1472-1553) inaugure un art qu’on peut dire propre à la Réforme allemande. Observateur précis, peintre sec et dessinateur sans ampleur, Cranach donne l’expression la plus typique de l’art populaire à tendances nationales. Hans Holbein, le jeune (1497-1543) est un génie tout différent. Sans aucune trace d’influence de Dürer, il est, lui aussi, et plus que Dürer même, un humaniste. Pour ce déraciné, mêlé à la société intellectuelle de France, de Hollande et d’Angleterre, la question de l’alliance de l’âme antique et du génie allemand ne se pose pas.