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rant des besoins, des aspirations et de la volonté de l’humanité parvenue au vingtième siècle, découlant d’un état social où les problèmes politiques, économiques et moraux s’enchevêtrent à tel point qu’ils ne sauraient être séparés que pour les nécessités d’une classification artificielle, destinée tout uniment à en faciliter l’étude, la révolution qui s’impose sera sociale ou elle ne sera pas. Cette révolution sociale aura pour but et devra avoir pour résultat de déchirer le contrat social qui, présentement, codifie les rapports de toute nature que la complexité de la vie individuelle et collective impose à chacun et à tous et de rédiger un contrat social entièrement nouveau, aux fondements totalement opposés à ceux du contrat actuel. Ce serait faire preuve d’une impardonnable inexpérience ou d’une inexcusable candeur que d’imaginer et d’admettre qu’il en sera autrement.

Quand je dis que cette révolution sera et qu’il faut qu’elle soit sociale, faute de quoi elle ne sera pas, j’entends affirmer par ce qualificatif qu’il faudra qu’elle soit à la fois politique, économique, intellectuelle et morale. J’entends soutenir qu’elle ne devra négliger, respecter, épargner aucune partie de l’édifice social qu’elle aura pour fin de ruiner de fond en comble, afin qu’il n’en reste pas pierre sur pierre.


Le mot Révolution est galvaudé. — Je me rappelle – ô temps de ma jeunesse, comme tu es déjà loin ! – l’impression de terreur que le seul mot de révolution jetait dans le monde bourgeois, il y a une cinquantaine d’années. Ce mot avait alors une signification sur laquelle il n’était pas possible de se méprendre. « Révolution sociale », cela signifiait : confiscation pure et simple, sans indemnité d’aucune sorte, des fortunes particulières ; suppression de tous les privilèges que la naissance, l’instruction, les protections influentes, la richesse et le pouvoir confèrent injustement à une poignée d’individus ; destruction de cette armature de violence collective, de répression systématiquement organisée qui va de l’infect mouchard qui dénonce à l’ignoble bourreau qui exécute, en passant par le policier ou le gendarme qui arrêtent, le magistrat qui condamne et le gardien de prison qui enferme ; abolition de l’État et de toutes les institutions de duperie, d’oppression, de brigandage, de spoliation et d’iniquité qui en découlent et le soutiennent : gouvernement, parlementarisme, magistrature, police, armée ; anéantissement des impostures juridiques, patriotiques, familiales, religieuses, intellectuelles et morales qui paralysent l’essor et entravent le libre développement de l’individu ; disparition de toutes les tyrannies, exploitations, flibusteries, inégalités, fourberies, compétitions, haines et scélératesses sans nombre, qui portent le sceau de tout milieu social dans lequel il y a, en perpétuel et fatal conflit, des riches et des pauvres, des salariants et des salariés, des gouvernants et des sujets, des maîtres et des serviteurs, des chefs et des subordonnés. Tel était, alors, le contenu du mot « révolution ».

On n’abusait pas de ce mot, tant ceux qui se risquaient à le prononcer ou à l’écrire – quelques unités dans la foule immense– se sentaient faibles à la pensée des forces incalculables dont il évoquait la violente irruption, l’explosion brutale et le déchaînement tumultueux dans la vie des hommes. Ceux qui avaient l’audace de le proférer publiquement avaient conscience que ce mot est de ceux qu’on se doit de ne pas prononcer à la légère, parce qu’il synthétise tout un monde de destructions et de bouleversements destinés à ensevelir à jamais sous les décombres la misère et l’esclavage, et à faire jaillir de ces ruines nécessaires une vie nouvelle faite de bien-être de liberté et d’harmonie. Aussi, fallait-il voir le frisson d’épouvante que suscitait dans le monde des privilégiés ce mot terrifiant et lourd de catastrophes : « Révolution » ; mais aussi, et par contre, l’émotion profonde et le tressaillement d’espérance que ce mot

magique faisait descendre dans le cœur des déshérités !

Il n’en est – hélas ! – plus ainsi. Tous les écrivassiers qui déposent dans les journaux leurs petites ordures et tous les sonores et vides bavards de parlement et de réunion publique prodiguent, à plume et à bouche que veux-tu, ce mot : « Révolution », si riche, pourtant, de menaces contre les uns et de promesses pour les autres. Tous l’emploient ou, plus exactement, l’exploitent frauduleusement et à tout propos.

Les royalistes ne dédaignent pas d’y recourir quand ils proclament l’urgence et la nécessité d’en finir avec le régime républicain et la démocratie qu’il est censé incarner. Lorsque, pour électriser leurs éléments jeunes, pour entretenir la ferveur, qui fréquemment se décourage, de leurs partisans, pour faire cracher au bassinet de l’Action française les riches douairières, et pour calmer l’impatience des imbéciles qui sont las d’attendre sous l’orme « le retour du noble héritier des quarante rois qui ont fait la France », lorsque, dis-je, les Maurras et les Daudet déclarent, en termes rudes, violents, incendiaires, que l’heure est venue « d’étrangler la Gueuse », ils n’hésitent pas à se servir du mot révolution en déclarant que, pour arracher la France aux maîtres qui, actuellement, la déshonorent, la perdent et la poussent aux abîmes, il faudra employer les moyens violents et les méthodes illégales.

Les flagorneurs du suffrage universel qui se prétendent « radicaux-socialistes » et, par-dessus le marché, « démocrates », sont rongés d’un si violent désir et d’un si pressant besoin de capter la confiance et de piper les suffrages de tous les travailleurs, qu’ils abusent, avec une déconcertante désinvolture, du terme « révolution », dont ils torturent cyniquement le sens, à l’occasion de la moindre réforme proposée ou introduite dans la mécanique juridique, fiscale, militaire, diplomatique ou scolaire, ces charlatans présentent cette insignifiante et stérile mesure comme une sorte de révolution dans le fonctionnement des lois dans l’administration des finances publiques, dans l’organisation des armées, dans le jeu des relations diplomatiques ou dans les principes de l’enseignement et les méthodes pédagogiques. En réalité, c’est tout juste une manœuvre, à l’aide de laquelle ces politiciens sans scrupules s’ingénient à masquer la ridicule timidité de leurs programmes et la stérilité des améliorations qui y sont inscrites. Par l’audace volontairement outrée du mot « révolution » qui les pose en champions du progrès, résolus à ne reculer devant aucune mesure, dût-elle appeler, voire nécessiter, le recours aux moyens extrêmes, ils espèrent se préserver de l’accusation d’insuffisance ou de lâcheté dont les électeurs déçus sont enclins à les accabler.

Le Parti socialiste (S.F.I.O.) est né, il a grandi, il vit encore à l’ombre du mot superbe de « révolution ». Il serait comique d’entendre les Blum, les Déat, les Paul Faure, les Marquet, les Renaudel, les Vincent Auriol, les Moutet, les Compère-Morel, les Varenne et les autres premiers sujets de cette troupe lyrique et dramatique s’affirmer révolutionnaires ; oui, ce spectacle serait d’un comique irrésistible, d’un grotesque hilarant, si ces cabotins n’étaient pas pris au sérieux et crus sur parole par les prolétaires naïfs, crédules, gobeurs, médusés, à qui leurs déclarations emberlificotées – ils se disent révolutionnaires, sans l’être, tout en l’étant – finissent par persuader que les discoureurs du parti socialiste sont les fourriers de la Révolution sociale.

Toutefois, c’est aux incomparables bluffeurs du Parti communiste (S.F.I.C.) que revient la palme dans l’art de faire subir les pires outrages au mot « révolution ». S’ils ont la plume en main, ils n’écrivent pas vingt lignes, et, s’ils tiennent le crachoir, ils n’enfilent pas cinq phrases sans que, de leur encrier ou de leur bouche ne s’échappe le mot « révolution ». Ils le glissent partout, à qui mieux mieux, à tout bout de champ. Et ils ne se contentent pas d’en user et d’en abuser à propos de tout