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tiat déclarait que son refus était tout simplement la proclamation de l’esclavage, l’ouvrier étant obligé de se soumettre sans discussion et sans résistance au bon plaisir patronal. L’intervention de l’armée dans les grèves était vivement critiquée, notamment par Ledru Rollin. Protestations vainement répétées depuis, chaque fois que les « défenseurs de la patrie » ont fait couler le sang ouvrier. Le « républicain » Thiers, ministre du temps, ne considérait-il pas que les ouvriers en grève étaient des « ennemis de la patrie » ? En 1846, lors de la grève des mineurs de la Loire, la troupe tira sur les ouvriers : douze furent tués. Depuis, on ne compta plus ces interventions sanglantes que l’Empire et la IIIe République multiplièrent. Tous les régimes, même les plus démocratiques, se sont consolidés dans le sang des travailleurs.

La période de 1848 à 1864 vit 1.141 poursuites, 6.812 prévenus et 4.845 condamnés. Lyon continua à tenir la première place dans l’histoire des révoltes ouvrières par le nombre et l’importance de ses grèves, celle entre autres des chapeliers, en 1853. Les dernières années de l’Empire marquèrent une véritable « série rouge ». L’Internationale ouvrière s’était formée ; elle excitait les impatients de réalisations sociales, et les grèves éclataient de tous les côtés, réprimées d’une façon sanglante. Citons celle de Roubaix, en 1867, qui s’accompagna d’émeute. Trois usines furent dévastées, une fut incendiée ; il y eut 78 condamnations. En 1869, ce furent les événements tragiques de La Ricamarie et d’Aubin. 9 ouvriers et une femme furent tués par l’armée, en juin, à La Ricamarie ; il y eut 14 morts et 22 blessés à Aubin, en octobre. La grève du Creusot, en 1870, fut suivie d’arrestations en masses. 298 mois de prison furent distribués à 24 condamnés.

Après les massacres de la Commune, la classe ouvrière, presque anéantie dans son activité revendicatrice, ne fit guère que les grèves de 1872 chez les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais. À cette occasion, le sinistre Thiers, encore tout dégouttant du sang des communards, fit marcher l’armée contre les grévistes, les déclarant « ennemis de la libération du territoire ». Les mineurs des mêmes départements firent par la suite les grèves de 1884, 1889, 1891, 1893, etc., jusqu’à la grève générale de 1902, où ils posèrent les conditions suivantes qui furent satisfaites partiellement : retraite, journée de huit heures, relèvement et minimum des salaires.

1886 avait vu la grève de Decazeville et l’épisode tragique de la mort du directeur d’usine Watrin. Le 1er mai 1891, ce fut Fourmies, avec le premier essai des balles Lebel, en attendant que l’armée fût pourvue de « balles de grève », sur des femmes et des enfants. En octobre 1892, ce fut Carmaux. En septembre 1899, Le Creusot, qui amena la reconnaissance du syndicat ouvrier par le gouvernement. En 1900, grève sanglante à Châlons-sur-Saône. Au Français (Martinique), 17 ouvriers furent fusillés par la troupe. En 1901, grève de Montereau. De 1900 à 1904, celles des dockers de Marseille. En 1903 et 1904, celles du textile, dans le Nord. En 1905, celles des porcelainiers de Limoges, des mineurs et métallurgistes de Meurthe-et-Moselle. Et, depuis, les grèves se sont succédé presque sans interruption, dans toutes les professions et toutes les régions, avec des répressions plus ou moins sanglantes. L’histoire de la Confédération générale du travail est surtout, jusqu’en 1911, l’histoire de ces conflits qui montrèrent en M. Clemenceau le plus farouche adversaire de la révolte. Tous les moyens utopiques du réformisme n’ont pu empêcher ces mouvements ouvriers devant les exigences de plus en plus draconiennes du patronat. Mais surtout, depuis 1914, les grèves sont devenues de plus en plus inopérantes. L’expérience a démontré définitivement, après le lamentable essai de

grève générale de 1920, que seule la grève révolutionnaire, expropriatrice de la société capitaliste et bourgeoise, d’une classe ouvrière organisée et unie dans une volonté d’émancipation intégrale, au-dessus des intérêts corporatifs médiocres et contradictoires, peut apporter un véritable remède à l’exploitation des travailleurs.

Telle est, rapidement exposée, l’histoire des révoltes paysannes et ouvrières. Ses épisodes sanglants en ont fait un véritable martyrologe prolétarien. Nous n’avons nommé que quelques-uns des simples hommes qui ont guidé ces révoltes, héros obscurs mais autrement grands que les belliqueux et néfastes personnages dont le « plutarquisme » empoisonne d’une admiration malsaine les mémoires populaires. Les travailleurs devraient moins oublier les véritables héros, ceux qui, sortis de leurs rangs, humbles et souffrants comme eux, ont cherché à les conduire à leur émancipation et se sont sacrifiés pour cette tâche magnifique. — Edouard Rothen.


RÉVOLUTION (du latin : revolutio ; de revolvere, retourner). Ce mot, qui est employé dans des acceptions très diverses, possède, en matière de sociologie, un sens très précis, en conformité, d’ailleurs, tant avec son étymologie, qu’avec la signification qui lui est communément attribuée. Une révolution, c’est une transformation considérable et soudaine, opérée dans la société, par le moyen de la violence et du renversement de l’ordre établi. Employer au propre, dans le langage sociologique, le mot révolution, en lui accordant un sens différent, c’est prêter à la confusion.

Il n’est, certes, pas interdit de s’en servir au figuré, mais à condition, si l’on veut demeurer clair, de le compléter par un terme explicatif, ne laissant subsister aucune ambiguïté, On pourra dire ainsi : une révolution dans les esprits, ou les arts, ou la mécanique, lorsqu’on voudra qualifier le changement profond, brusquement survenu, soit dans notre conscience par une révélation inattendue, soit dans nos méthodes par la vulgarisation d’une formule nouvelle. Mais il doit être bien entendu qu’il s’agit là de l’exploitation d’une analogie, qui ne doit pas servir de prétexte à l’altération du véritable sens du mot qui retient notre attention.

Prétendre que « la Révolution, qui a commencé avec le premier geste de révolte d’un esclave, et ne se terminera qu’avec le trépas du dernier tyran, s’opère sous nos yeux tous les jours », c’est sans doute faire surgir, dans l’esprit de ceux qui nous écoutent, une impressionnante image, et donner à leur soif de réalisations un peu d’apaisement. Mais ceci est plus littéraire que scientifique, et constitue un abus. Il est incontestable que la société est en travail de modification permanente. Cependant, lorsque, durant de longues périodes, le progrès ne s’y effectue qu’avec lenteur, de façon presque insensible, il est excessif de présenter ceci comme un des aspects de la révolution. Il est, pour désigner de telles phases, un autre terme, qui a bien son utilité, et cet autre terme est « l’évolution ».

Affirmer que celle-ci est une révolution au ralenti, et que, par contre, cette dernière est une évolution brusque, est une thèse qui, à la rigueur, peut se soutenir, Mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de deux choses bien différentes, et qui ne doivent pas être confondues. La révolution est à l’évolution ce que l’accouchement est à la gestation ; ce que la rupture d’une digue est à l’accumulation des eaux ; ce que l’éclatement de son enveloppe est à l’éclosion parfaite de la fleur. Et ce n’est qu’en accordant à la définition du mot ce caractère que l’on peut, non seulement être bien compris d’autrui, dans un exposé de propagande, mais encore se soustraire personnellement aux mirages de certains concepts abstraits.