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En effet, n’est-il pas révoltant de subir tout ce que l’on ne peut empêcher ? Mais n’est-il pas, peut-être, plus révoltant de voir avec quelle résignation, quelle soumission la multitude l’accepte, quand elle ne l’approuve pas ? N’est-il pas révoltant qu’il y ait toujours des riches et des pauvres ; des exploiteurs et des exploités ; des spoliateurs et des spoliés ; des maîtres et des esclaves ; des dupeurs et des dupés ; des voleurs et des volés ; des chefs et des supérieurs qui commandent et qui exigent et des simples qui obéissent et exécutent, des inférieurs qui respectent et se soumettent ; des juges qui condamnent ; des condamnés qui souffrent et se résignent ; des bourreaux et des victimes ; des législateurs élus qui font des lois et des électeurs qui élisent et qui subissent toujours les lois et leurs effets nocifs, mais ne profitent jamais des lois qui — leur avait-on promis — devaient les avantager ?

Il est trop tard quand l’électeur naïf s’aperçoit qu’il est berné et qu’il n’y a pas de bonnes lois… Y en eût-il qu’elles ne seraient ni appliquées, ni applicables. La loi n’est valable qu’autant qu’elle vient ratifier la chose acquise. Et le Peuple n’a jamais eu que ce qu’il avait su prendre. Ce qui justifie fort bien que le bulletin de vote n’est rien autre que ce que vaut l’électeur. Et celui-ci ne peut être grand-chose s’il ne sait s’organiser pour obtenir, en cohésion avec ceux qui ont les mêmes besoins, ce que nul mandataire ne peut lui apporter, avant qu’il ne l’ait lui-même arraché, imposé par la menace ou par l’action directe. En ce cas, il faut être stupidement aveugle pour ne pas voir et comprendre la vaste duperie du Suffrage Universel et la farce cynique par laquelle, en régime bourgeois, libéral et démocratique même, on escamote la Souveraineté du Peuple.

Duperie immonde et révoltante !

La possibilité, à chaque moment, pour un citoyen prétendu libre, après avoir subi la conscription, la caserne et toutes les atrocités inénarrables, atrocités morales du militarisme, d’être désigné pour faire partie des troupeaux envoyés au massacre, pour être massacreur malgré soi et massacré selon les grandes chances dont jouissent les malheureux qui sont chair à canon. C’est là, je crois, une perspective digne, admirable, héroïque pour ceux qui n’y vont pas, pour ceux à qui la guerre apporte gloire et bénéfices, mais révoltante pour tous ceux qui la subissent et qui se rendent compte de quel abrutissement et de quelle passivité ils sont nantis pour ne pas se révolter !

Révoltante pour la conscience, pour le cerveau, pour le cœur de l’homme, est l’Idée de Patrie par laquelle on obtient cet infâme assujettissement des hommes les plus jeunes, des plus beaux, des plus forts, des meilleurs producteurs et reproducteurs, tout l’avenir d’une nation, qui se laisse ainsi mener à l’abattoir sans résistance, sans remords, sans révolte !

Révoltant tout ce qui constitue, fortifie, soutient un régime ignoble basé sur l’égoïsme des uns et la résignation des autres ! Révoltante la prostitution des consciences, des talents, des caractères, des forces humaines au service de la bourgeoisie et de l’exploitation de l’homme par l’homme.

En un mot, révoltant tout ce qui est immonde sur la terre et que les préjugés respectent, entretiennent, conservent, fortifient. Révoltant il est que la Religion (c’est-à-dire l’ignorance, la soumission, la fourberie, l’hypocrisie) soit si puissante encore et que le Militarisme, le Patriotisme n’aient pas été tués par la Guerre et tout ce qu’en ont souffert ceux qui n’en ont pas profité ! Révoltante est l’Humanité que la honte n’étouffe pas. Il est révoltant de penser que c’est la Guerre, encore, que la Paix des gouvernants prépare ! — G. Yvetot.


RÉVOLTE n. f. (du latin revolvere, retourner ; de l’italien rivolta, de re ou ri, et volta, faire volte-face,

c’est-à-dire tourner la face contre). Il semble que le sens le plus ordinaire de révolte soit de faire volte-face ; mais pour nous, anarchistes, révolte n’a pas ce sens commun. Il signifie soulèvement contre un état de choses existant, lutte contre l’ambiance, contre la stabilisation d’un régime, révolte contre la loi, contre l’autorité établie. Par là, il marque une volonté humaine, en marche vers la réalisation d’un idéal. La révolte est un acte d’intelligence, qui naît et se développe avec le sentiment de la personnalité ; elle est la concrétion de l’évolution d’une individualité qui prend conscience d’elle-même en s’insurgeant contre l’oppression collective des majorités qui veulent imposer leur façon de voir et de penser. Mais le mot révolte a également un sens social. C’est pourquoi, à certaines époques, elle devient nécessaire.

Lorsque des idées nouvelles germent et sont véhiculées un peu partout, cherchant à se faire jour de ci, de là, elles se heurtent toujours à la routine du milieu. Continuellement, elles sont arrêtées par ceux qui ont intérêt à ne point les voir se propager, et l’indifférence du plus grand nombre fait que ces idées nouvelles sont ballottées de droite à gauche, durant tout un temps, avant d’avoir droit de cité dans la conversation, les écrits, ou les diverses manifestations de la pensée humaine. Cette force d’inertie, il faut la vaincre ; ce n’est pas toujours facile ; à la révolte de l’esprit vient s’adjoindre l’action. À ce moment, la révolte s’impose comme une libération attendue et désirée ; elle éclate, et c’est heureux, car un danger plus grand guettait la société, danger que l’on peut comparer au nirvana des Hindous, qui aurait pour conséquence de conduire la société vers une dissolution de l’être. Dans leur évolution, la vie des sociétés draine avec elle des scories dont il faut se débarrasser ; manquer de prévoyance, ou tarder à le faire, opposer une barrière systématique à leur évacuation, c’est rendre cette société inhabitable. En effet, si le code de moralité en vigueur jusqu’alors est devenu caduque, si ce qui semblait équitable se révèle d’une injustice criante, l’atmosphère qui se dégage de cet état de choses ne peut durer ; une action se dessine : nous sommes au seuil d’une révolte. Des époques de crise sont propices à l’éclosion de ces sentiments de révolte ; elles créent l’état d’esprit nécessaire et préparatoire à la révolte. Ce sont des situations révolutionnaires. Alors, nous voyons les résignés d’hier, qui semblaient être à jamais courbés sous le joug oppresseur de la misère qui les terrassait, s’insurger brusquement, et se déterminer à l’action. L’audace naît en eux, et, avec elle, l’esprit de révolte. On comprend qu’il ne s’agit pas, alors, de réduire, d’atténuer cet esprit de révolte, mais de tenter l’impossible pour en améliorer les manifestations, c’est-à-dire rendre cette révolte plus efficace, plus consciente, et faire naître des sentiments de lutte pour un but précis. C’est là une tâche que se doivent de réaliser tous ceux qui se réclament de l’idéal anarchiste.

P. Kropotkine, dans Paroles d’un Révolté, au chapitre intitulé « L’esprit de révolte », a analysé le processus historique de la révolte, prélude indispensable pour qu’une situation révolutionnaire aboutisse à un changement radical des engrenages de la société capitaliste actuelle : « Aux époques de course effrénée vers l’affranchissement, de spéculations fiévreuses et de crises, de ruine subite de grandes industries, et d’épanouissement éphémère d’autres branches de la production, de fortunes scandaleuses, amassées en quelques années et dissipées de même, on conçoit que les institutions économiques, présidant à la production et l’échange, soient loin de donner à la société le bien-être qu’elles sont sensées lui garantir ; elles amènent précisément un résultat contraire : au lieu de l’ordre, elles engendrent le chaos ; au lieu du bien-être, la misère, l’insécurité du lendemain ; au lieu de l’harmonie, la guerre, une guerre perpétuelle de l’exploiteur contre le